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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:22

N E M O  sur  le  Net   :    dans  les  moteurs  de  recherche :  Google,  Yahoo,  Gallica…

Définitions de « maxime nemo », synonymes, antonymes, dérivés de « maxime nemo »,

dictionnaire analogique de « maxime nemo » (français)

Latin :

Nemo, gén. nullius (rarement neminis); dat. nemini; abl. nullo; acc. neminem; acc. avec prép. nullam rem) : personne, nul, pas une personne; nul, sans valeur, méprisable.

- l'article de Quicherat
- voir la déclinaison
- nemo quisquam (nemo unus) : personne.
- nemo alius : aucun autre, nul autre.
- nemo omnium mortalium, Cic. : personne au monde.
- nemine juvante, Just. 9, 1, 4 : sans le secours de qui que ce soit.
- nemini odio est, Cic. : nul ne le hait.
- neminis miserere, Plaut. : n'avoir pitié de personne.
- nemo non : tout le monde sans exception, chacun.
- nemo non videt : il n'est personne qui ne voie, tout le monde voit.
- non nemo : quelqu'un, quelques-uns, plus d'un.
- nemo est qui putet : il n'y a personne pour s'imaginer.
- nemo est quin putet : il n'est personne qui ne pense ...
- nemo fuit qui non surrexerit : il n'y eut personne qui ne se fût levé.
- nemo neque orator neque poeta... Cic. : personne, ni orateur ni poète...
- is quem tu neminem putas, Cic. Att. 7, 3, 8 : celui dont tu ne fais aucun cas.
nemo peut être un adjectif masculin ou féminin.
- nemo opifex (= nullus opifex), Cic. N. D. 2, 32, 81 : aucun ouvrier.
- nemo civis : aucun citoyen.
- nemo homo, Cic. : aucun homme.
- neminem novi poetam, Cic. : je ne connais pas de poète.
- nemo dies, Prud. : aucun jour.
- nemo vicina, Plaut. : aucune voisine.

Librairie NEMO : Montpellier

Le NEMO : Univers du Bien être

Capitaine Nemo personnage de Jules Verne

Le Monde de Nemo de Disney

Nemo Groupe de rock progressif

Nemo Institut : transport et logistique

Nemo Philippe: Philosophe

Nemo Jean: Directeur des éditions de manuels scolaires La Librairie des écoles

Nemo (Is-notus) Courtat laisse entendre qu’un M.NEMO a été élu à l’Académie Française en remplacement de Victor Hugo et que dans on parallèle entre Voltaire et Hugo, celui-ci déclarait que « si Voltaire avait été le bienfaiteur des éditeurs, Hugo avait été le bienfaiteur de la papeterie française ». (le Mercure de France (01/09/1909) . 

Nemo pseudonyme d’un gascon parisien qui écrit dans le Conservateur du Gers comme le signale P.Pader dans Lettres gasconnes (à Nemo) en 1874.

Nemo Georges Paul : artiste dramatique 1857 -1910

Nemo : auteur d’un article sur les Colonies Françaises  « le syndicat de la Presse coloniale française et les journaux français publiés à l’étranger » pour l’Exposition universelle de 1900

Nemo pseudonyme d’un rédacteur au Journal d’Arcachon en 1905

Nemo pseudonyme d’un rédacteur au Franc Tireur de Marseille Journal de défense religieuse et sociale Hebdomadaire fondé en avril 1907- 26 avenue de la Timône. Directeurs J Ferrari et Ch.Suchet. Rédacteur en chef R.Icard.  Tirage 15 000 ex. Abonnement 3f.

Nemo  pseudonyme d’Ernest Delahaye rédacteur littéraire dans la revue Jeune Champagne : lettres sur la patrie (1903 à 1905)

NEMO Léon secrétaire général de théâtre parisien membre de l’Association des Secrétaires généraux des théâtres et concerts de Paris comme le signale  L'HUMANITE du 6 Juillet 1904 (Numero 80)

Nemo , pseudonyme de Max Heinrich Hermann Reinhardt Nettlau, (né à Neuwaldegg (aujourd'hui une partie de Vienne, le 30 avril 1865, mort à Amsterdam le 23 juillet 1944) était un important historien du socialisme, et de l'anarchisme prussien ou plutôt allemand. A rédigé dans Libertaire en 1913 puis dans A contre courant d’Henry Poulaille en 1937.

La Banque Nemo est une comédie de louis Verneuil adaptée au cinéma en 1934 par Marguerite Viel
REALISATION: Marguerite VIEL. SUPERVISION: Jean CHOUX. SCENARIO, DIALOGUES: Louis VERNEUIL, d'après sa comédie. IMAGES: Henri BARREYRE, André THOMAS.NB. MUSIQUE: Armand BERNARD. DECORS: Lazare MEERSON. MONTAGE: André VERSEIN.92mn. PRODUCTION: A.S.Film, Sociétédes Films Sonores Tobis.FRANCE, 1934. INTERPRETES: Victor BOUCHER(Gustave Labrèche), MONA GOYA(Charlotte), Charles FALLOT(Némo), Alice TISSOT(Mme Némo), René BERGERON(Emile Larnoy), Henry BONVALLET(Vauquelin), Gustave GALLET(Biscotte), Georges PRIEUR, Guy RAPP, Viviane BREINO, Fred MARCHE(Pignolet), Claire GERARD(locataire), André CARNEGE(inspecteur), Georges PALLY(président), Micheline BERNARD(secrétaire), Roger ASTRUC, GUILHON, Georges SIX(client banque), Henry CHARRETT(journaliste), Gaston MAUGER, Georges PRIEUR(ministres).
NOTA: La censure interdit la projection du film dans sa version intégrale: les cinq cents mètres relatant un conseil des ministres pouvaient faire naître dans l'esprit des spectateurs un rapprochement avec l'affaire Stavisky. Or la pièce que le film suivait fidèlement avait été écrite trois ans auparavant (Bessy, Chirat). http://encinematheque.net/seconds/S56/index.asp?page=filmo1.htm

 

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:21

Chapitre XI

Les contradictions d’une époque

 

-        Le paradigme de l’existence : Existentialisme

-        Le refus de l’engagement politique

-        Les sphères d’influence : Vichy (Luchaire ) anticléricalisme (Mauriac et Teilhard)  (socialisme (SFIO, R.Gosse, L. Chirac, E.Testut ), communisme (JR.Bloch)

franc maçonnerie, gaullisme ( R.Capitant ) ,protestantisme (E.Perochon)

-        Quel Occident ? Dans le sillage de P.Valéry ou de H. Massis.

-        Un récit inachevé : « Occident Terre de l‘homme »

-        Humanisme et Ecologie : le dernier combat

 

Les peuples vont là où les pouvoirs les conduisent.                        Charles Péguy

Dans un article d’un récent numéro d’Europe d’avril 2010, Margaret Teboul rappelle bien que «  Les années trente sont un moment-charnière, un moment de crise où prend fin un monde dans lequel l'idéalisme avait encore droit de cité et dans lequel les philosophies de l'existence marquées du sceau du tragique adviennent, mais justement à propos de la religion ».

C’est la lecture attentive et critique de Nemo dans les années 20 à 30 qui vont forger en lui ce paradigme de l‘existence dans le sillage de ses maîtres Brunschvicg et Bergson dont il possède déjà tous les ouvrages. Bien sûr c’est en humaniste athée qu’il interviendra toujours dans les débats sur la place de la religion et notamment dans ses deux essais : « l’Acte de Vivre » et dans un inédit : « Réplique à l’abîme ».Souvenons nous avec Margaret Teboul que «  Léon Brunschvicg et Henri Bergson publient respectivement « Les Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale » en 1928 et « Les Deux Sources de la morale et de la religion » en 1932. Comme Husserl dans la conférence de 1935 sur « La Crise de l'humanité européenne et la philosophie », tous deux tentent de répondre à la crise des années trente par un élargissement « historique » de leur philosophie ».Nemo a longuement dialogué avec Brunschvicg puis avec Gilson sur la critique de la science au nom de la vie. Il a été évidemment très impressionné par ses lectures de  Spinoza qu’il cite régulièrement lequel  à l'issue du désastre des guerres de religion différenciait dans son « Traité théologico-politique » la religion des ignorants et celle des philosophes. Comment imaginer que Nemo resterait à l’état de la problématique que s’étaient fixés Bergson comme Brunschvicg qui veulent tous deux remettre l'Europe dans la marche du progrès en envisageant la spiritualité comme une réponse à la crise des années trente, c’était le vrai combat de Maxime Nemo, reste à savoir comment ?

Rappelons les deux thèses en présence, pour Bergson : « L'humanité est comparée à un homme dont le corps aurait connu un accroissement considérable du fait du développement des sciences et des techniques, mais dont l'esprit n'aurait pas changé ». Quant à Brunschvicg, il souligne « les écarts entre les potentialités de la raison et ses réalisations en faisant de « l'exigence de spiritualité », la condition de la sincérité est la dernière chance de salut pour une humanité réconciliée avec elle-même. Plus enclin à suivre la thèse de Brunschvicg  empreinte d’anticléricalisme que celles de Bergson qui propose un retour au mysticisme ou celle d’un Jacques Maritain un Etienne Gilson. Je renvoie pour cela à l’article d’Europe (1)

 Le vocabulaire philosophique de l’existence proposé par la revue Esprit va aider Nemo dans ses essais philosophiques à se positionner dans le débat et notamment dans ses correspondances avec Teilhard de Chardin. On a vu que c’est vers la reconstruction des grands mythes qu’il propose de se tourner.

(1)   NAISSANCE DU PARADIGME DE L'EXISTENCE par MARGARET TEBOUL in Europe 972 avril 2010

Il m’a été difficile de trouver dans la lecture de ses correspondances une allusion directe à l’existentialisme comme « doctrine philosophique d'après laquelle l'homme se crée et se choisit lui-même en agissant » même si sa lecture de Sartre a été essentielle dans son parcours.  C’est plus vers les premiers penseurs de l’existence que sont Pascal, Kierkegaard, et surtout  Nietzsche et Dostoïevski que Nemo va se forger sa propre opinion. Il n’est plus là hélas pour nous répondre à cette question sur la primauté à l'existant et à son expérience directe de l'existence par rapport à la réflexion métaphysique sur l'essence de l'être. Un jour peut-être un doctorant se penchera sur ses Essais philosophiques qui traversent le siècle.

C’est sans doute lors des conversations avec Cioran dans les années 70 que Nemo a pu développer ses positions par rapport à Roger Garaudy qui selon Lepp dépeint l'existentialisme comme une "maladie", une philosophie déconnectée du réel [...] un subjectivisme, une philosophie de ratés » La polémique entamée par le marxiste Henri Lefebvre dans son « Existentialisme»  en 1946, était née d’un chapitre « Pourquoi je fus existentialiste et comment je suis devenu marxiste ». Alors pourquoi Nemo ne fut ni existentialiste, ni marxiste à proprement parler ?

On sera étonné en effet de suivre pendant ces 87 années ce baladin du monde occidental et de ne jamais le trouver engagé ni dans un Parti socialiste (même au PSU comme son ami Bloch)  ou Communiste comme Martinet, oscillant en toute indépendance mais jamais indifférent aux contradictions de son époque comme le montrent son journal et ses correspondances. Pourtant des zones d’ombre subsistent que l’on dévoile peu à peu au détour d’une lettre, ou dans une carte postale parfois d’un télégramme laissé dans une Poste restante. Les envois autographes nous renseignent aussi sur les relations les plus ouvertes que Nemo entretenaient avec le monde des Lettres et de l’université française.

La plume acerbe court dans ses chroniques littéraires et il ne manque jamais de s’en prendre aux plus célèbres comme Mauriac à qui il reproche son cléricalisme ou Romains d’avoir délaissé son talent de poète unanimiste pour une prose parfois « pornographique » (sic)

On ignore s’il a été approché par la Franc Maçonnerie et j’ai peu de témoignages à ce sujet même si nombre de ses contacts « en étaient » comme on dit aujourd’hui.   

Celle adressée à Jean Luchaire, fils de Julien Luchaire. Rappelons qu’il était né le 21 Juillet 1901 à Sienne (Italie) et qu’il fonda en 1927 "Notre Temps". Il  rencontre lors d'un voyage en Allemagne, Otto Abetz.

Après l'Armistice, Laval le charge de renouer avec Abetz qui a épousé sa secrétaire.

Il est rédacteur en Chef du "Matin", et lance en Novembre 1940 un quotidien du soir Les "Nouveaux Temps". Son beau-frère est H. Filipacchi du service Librairie des Messagerie Hachette. C’ets lui qui protège pendant la guerre Simone Kaminker (future Simone SIGNORET) et il sera le fondateur et Président de la Corporation de la Presse Française. En 1944, en Allemagne il lance un nouveau journal destiné aux Français du STO : « La France ».Il est condamné à mort le 22 Janvier 1945.

Se réfugie en Italie avec sa fille Corinne Luchaire actrice de cinéma, ils sont arrêtés, elle est emprisonnée jusqu'en 1946, et décède en 1950(elle écrira  ses souvenirs: "Ma drôle de vie » en 1949 Jean Luchaire est fusillé le 22 Février 1946.

En prison il s'est converti au catholicisme, et il écrit:" Apologétique"(réunions de méditations et de commentaires) Bien sûr il s’agit d’une lettre polémique de juillet 1941 en réponse à l’article de Luchaire dans « les Nouveaux Temps » sur le rôle de l’Université, problème que Nemo connaît bien depuis plus de vingt ans pour l’avoir côtoyée et animée de l’intérieur quand il y enseignait à Strasbourg par exemple,   et sur laquel il a des positions très arrêtées.

 

 

 

Maxime NEMO 5 av. Porte de la Plaine  Paris XVè  ce 21-7-41

Monsieur,

Votre article paru dans les « Nouveaux temps » du 20 juillet dernier, traite d’une si grave question (l’Université et la France de demain) que je vous demande d’intervenir, à titre privé, dans ce conflit.

Depuis 1920, je suis, dirai je, le collaborateur bénévole, sur le plan esthétique de l’université française. A ce titre déjà, la question m’intéresse.

Voulez vous me permettre de vous demander si vous êtes vraiment certain, Monsieur, que la France d’hier était sur le point « d’étouffer » sous le poids de l’intelligence ?  L’ayant parcourue pendant 20 ans, je suis d’un avis opposé. Et je connais l’Europe aussi, en particulier l’Allemagne. Je crois même avoir écrit, en 27, le premier livre français sur l’Allemagne nouvelle. Nous ne chercherons, si vous le voulez bien, la preuve de l’intelligence ni chez les avocats, ni même excusez-moi parmi des milieux d’écrivains. Si nous cherchons notre réalité sociale, sous l’angle intellectuel, c'est-à-dire parmi les chefs d’entreprises, les industriels, le haut commerce, les ingénieurs et l’armée, nous trouverons dans ces éléments des techniciens – et encore (les événements ne l’ont que trop prouvé !) pas au courant des découvertes les plus récentes, mais peu d’esprits aptes aux idées générales. Nous ne trouvons là que de l’intelligence médiocre puisque particularisée. C’est au contraire cette médiocrité intellectuelle, qui, au contact de l’épreuve, a révélé sa médiocrité et je partage ici, l’opinion de que Déat, exprimait dans un article de l’œuvre, il y a quelque temps, dans lequel il prétendait, que nous avions été vaincus par un défaut d’intelligence. Nos diverses techniques ont été manifestement inférieures et ce sont elles les responsables, et uniquement elles. Si nos techniciens n’ont pas encore compris et n’ont pas le courage d’assumer la responsabilité  de leur déficience, leur décadence, dans l’Europe future, nous entrainera.

Je n’ai cessé de glorifier la double exaltation de l’Esprit et du Corps ; concevant le sport comme le développement physique acheminant l’être humain vers la double Beauté, spirituelle et corporelle, je considère que la part faite à la vie entière était insuffisante.

Il me semble cependant excessif de rendre encore le Sport ou le « non-sport » responsable de notre défaite ou de la formation des caractères. Il est une cause profonde, que votre article ne signale ^pas : la déchéance des caractères rendue fatale par la vie telle qu’elle a été « donnée » par l’autre après guerre. Dans cette vie de facilités, l’esprit sportif était, inopérant que l’esprit tout court. Et la sacro sainte Famille prônée par nos thérapeutes vichyssois est, ici directement responsable de cette décadence. Elle a dissout par l’adulation dont l’enfant était l’objet, le peu d’énergie privée ou collective  dont l’Ecole avait pourvu l’enfant. La vie veule a engendré des cadres veulent. Mille témoignages sont venus à moi de cette désagrégation opérée par l’élément familial qui ne dédaignait pas, parfois, de faire appel  à l’influence politique pour que la résistance d’un éducateur fût brisée. 

Que je sache, Monsieur, il y avait sur le front des Flandres, en mai 40, dix divisions anglaises ! Je n’ai pas appris qu’elles aient mieux tenu que les nôtres et je n’ai jamais entendu dire que l’éducation sportive  ait fait défaut chez les anglo-saxons. Je ne pense pas non plus que les générations mobilisées  en 1914 aient été plus sportives que celles de 39.Ce sont cependant elles qui ont opéré le redressement de la Marne et elles étaient pourvues d’une éducation pour le moins aussi livresque que celle qui sévissait à la veille de la dernière guerre ?

Ce qui vient d’être vaincu en nous, c’est une image du bien être particulier, égoïste. On ne transforme pas un sybarite en Spartiate  à l’aide d’un ordre de mobilisation ! Et lorsque le principe de la vie gratuitement aisée atteint – en se développant progressivement-  l’élite ou, au moins l’élément qui dirige un pays, on ne doit pas être surpris que l’état de crise qu’est l’état de guerre, dévoile impitoyablement  l’amollissement particulier et général.

La présence ou l’absence du grec dans les programmes ne permettra de « faire des hommes »

Qu’à la condition que les questions d’ambiance sociale  ne soient pas opposées à la formation de l’esprit, du cœur – et même du muscle ! – que bien des éducateurs tentaient  de réaliser, mais leur œuvre était constamment recouverte par la marée toujours montante de la vie non-énergique, voulue par les influences  économiques, familiales, politiques…pour ne citer que celles-ci !

Si, avec raison, nous concevons l’être jeune comme celui qu’il nous appartient de vraiment former, encore faudrait-il que la « touche » soit juste, sinon, comme en peinture, tout le tableau sera faux !

Je vous serre très cordialement la main, Monsieur en vous priant de croire à mes sentiments les plus distingués.   

Maxime NEMO

Plus tard, on apprendra dans un poème de son ami Henri Vendel extrait d’un de ses recueils de poésies « Chants de Couvre feu » publiés aux Editions du Pavois en 1945 qu’il a dédicacé à son ami  que c’est Maxime Nemo qui a contribué à le faire libérer des geôles nazies. Par quelle intervention par quelles relation cela n’est jamais dit ni cité. Mais rappelons qui était cet Inspecteur général en charge des Bibliothèques sous l’Occupation grace à un Blog qui lui est consacré  http://alifer61.blogspot.com/ :

 «  Je suis de noblesse paysanne. Mes ancêtres labouraient. Et si mon père et mon grand-père vendirent du drap, ce fut par un détour, afin d'acquérir plus sûrement quelques lopins, car la terre, suprême richesse, n'enrichit pas... »

Il fit des études à l'Institution Sainte-Marie de Tinchebray, au Petit séminaire de Sées, à l'école de l'Immaculée-Conception de Flers:

« Mes parents me mirent au collège à 11ans. Pensionnaire, je garde le souvenir des murs.De hauts murs froids, nus, lisses, peints à l'huile, sans un détail où le coeur pût s'accrocher. Des murs épais de pierre dure, sur lesquels le temps même ne semblait avoir prise... Mon enfance désormais se trouvait emmurée. Pour mon bien, pensait-on. Les prêtres qui dirigeaient ce collège croyaient qu'il était bien d'emprisonner l'enfant dans ses études... »

Il obtint la licence de lettres (latin-grec) à l'Université catholique de Paris. Il réussit le concours d'entrée à l'Ecole nationale des Chartes ...............

Henri Vendel sera obligé de quitter l'Ecole des Chartes puisque le 07septembre 1914 , il est mobilisé à Falaise avec le 5e Régiment d'Infanterie puis incorporé au 403e Régiment d'Infanterie... Il sera successivement soldat, caporal, sergent, aspirant, sous-lieutenant...

En 1917 il est cité à l'ordre de l'armée et reçoit la croix de guerre avec deux étoiles et en 1918, il est cité à l'ordre du régiment...,  évacué à la suite d'une blessure par les gaz au Chemin des dames...

Il reprend et termine ses études à l'école des Chartes dans la promotion des démobilisés et y soutient, en 1921, sa thèse: "Etude sur l'abbaye d'Almenèches" de sa fondation à 1599.

La même année, il sera nommé Conservateur de la Bibliothèque municipale et des musées de Châlons-sur-Marne...

En 1922, il épousera Vera Ogloblina (1893.1979)... Il prendra alors dans ses écrits le nom de Nadel (dernière syllabe de chacun de leur nom)....

Voilà un petit aspect donné par Jean BLETON, inspecteur Général des Bibliothèques et de la lecture publique qui s'ajoute à d'autres aussi chaleureux que je rapporterai peut-être un jour dans un de mes articles :

"Je ne pense avoir vu Henri Vendel avant 1945, nos démêlés avec l'occupant nous ayant interdit, à l'un comme à l'autre, en 1943 et 1944, de participer à des réunions de caractère professionnel.

C'est du printemps 1945 que datent nos premiers contacts: l'Inspecteur général qu'il était devenu, entre deux voyages en province, faisait une brève apparition rue Saint-Dominique pour consulter les dossiers des bibliothèques ou se faire chasseur d'ouvrages au profit des dernières nées des bibliothèques, les "centrales de prêt", 8 en 1945 et 9 en 1946............... .

Bibliothèques centrales de prêt à faire vivre, bibliothèques municipales à ranimer ou à créer, quel programme exaltant pour Henri Vendel qui allait mettre toute son énergie, jusqu'à l'avant-veille de sa mort, à le remplir !................. .

Ah ! ce bibliobus,....................... .

............. A travers ses rapports que je viens de relire, des silhouettes de bibliothécaire me sont apparues, des aménagement que je connais ou que j'ai connus au cours de voyages faits avant ou après 1972, sont revenus à ma mémoire, les changements intervenus depuis ses passages me pressant de témoigner en faveur de ce précurseur, de cet apôtre de la lecture publique, dont le nom n'est déjà plus qu'un nom pour tous ceux qui sont entrés dans la profession après février 1949 .

En trois ans et demi, Henri Vendel est passé dans près de cinquante départements................

.......... Non sans fierté il pouvait déclarer en février 1948: "Pour les seules bibliothèques municipales inspectées par moi en 1947, l'accroissement des crédits d'achats de livres a dépassé 6 millions"..............  Evoquer les qualité d'Henri Vendel est sans doute ce qui est le plus facile....... .

Une des rares lettres concernant le différend familial adressée à M.J. en octobre 1949 de Montmorency évoque la mort de Claude et précise que Nicole avait été confiée dès 1947 au couple encore illégitime, Maxime et Yvonne, mais que cette garde leur a été retirée subitement en raison  des propos tenus envers l’enfant. Il convient de citer un passage : « Quant à mon « antisémitisme », il ne m’a pas empêché de refuser en 1943 les propositions qui m’étaient faites par un ministre de Vichy, ceci, à un moment où je ne gagnais pas un sou. Et j’ai répondu en des termes qui pouvaient me faire arrêter, car je disais rudement ce que je pensais sur Laval et sur Pétain. Nous avons camouflé deux personnes juives ; car nous ne sommes pas des délateurs : nous sommes des « humains » avant tout.

Il apparaît que cette lettre était adressée au grand père de Nicole et d’Alain les deux petits enfants de Nemo et donc enfants soit de Claude et Germaine soit du  deuxième fils Christian.

Les activités de « l’Ilôt » on été suspendues pendant l’Occupation et les conférences devenues rares et difficiles à organiser comme en témoignent certains textes. Une lettre de Lucienne Gosse (1) à Maxime Nemo de 1945 après l’éxécution par la gestapo de rené Gosse et de son fils, évoque ainsi les heureux temps d’autrefois à «  la Villa Bérengère » près de Grenoble où l’avenir semblait radieux pour cette famille d’universitaires accueillant dans les années 20 le petit groupe de l’Ilôt .

La Tronche, le 27 février 1945.

Mon cher ami, Merci de la pensée que vous l’avez adressée au moment de l’anniversaire de mon deuil.

Après une si longue séparation, tant d’événements, tous ces deuils, ce n’est pas une lettre qui pourrait rétablir un contact entre nous.

Si je me rends prochainement à Paris, nous pourrions peut-être avoir une entrevue, et si vous venez dans le courant de l’été dans le Sud Est, ne manquez pas de faire un détour à la Villa « Bérengère » où vous serez reçu, non point comme autrefois hélas, mais très amicalement. Lucienne Gosse.

En effet, parmi les amitiés de Nemo, le parcours de René Gosse, venu du Languedoc,  parait  constituer un "modèle".

Très antimunichois, il considéra la signature des accords comme un "coup terrible", une "capitulation" et une "forfaiture"(76 ). Le doyen des sciences se sentit "gaulliste" dès le 18 juin 1940, dénoncé comme tel au gouvernement le 1er juillet. Mais, inquiet de la faiblesse de la position du "général à titre temporaire", surtout sur la scène internationale, il crut sincèrement qu'un fort courant d'opinion pourrait entraîner le maréchal Pétain à quitter la France pour reprendre la lutte contre les Allemands, jetant tout son prestige dans cette nouvelle bataille. Non sans naïveté, mais prouvant ainsi que l'ambiguïté entretenue par Vichy pouvait tromper les plus lucides, René Gosse écrivit donc une lettre "passionnée" en ce sens au maréchal. Lucienne Gosse doute que le destinataire l'ait reçue, mais remarque qu'il fut cependant répondu au professeur de mathématiques que "le maréchal avait lu sa lettre et en avait éprouvé une pénible déception" (77) . Les dénonciations, cette missive et peut-être l'action personnelle de Jacques Chevalier valurent à René Gosse une double révocation universitaire et politique, en décembre 1940, le décret du 17 juillet autorisant les révocations par décret "sans autres formalités"(78) . Déchu de son poste de directeur de l'Institut polytechnique et du décanat, malgré une récente réélection, René Gosse fut remplacé par Félix Esclangon (comme directeur) et Maurice Gignoux (79) (comme doyen).

Privé de sa fonction de conseiller municipal pour "manifestations publiques de sentiments extrémistes" (80) - sa participation à la démonstration imposante du 12 février 1934 (20 à 25000 manifestants dans les rues de Grenoble) n'avait pas été oubliée par ses adversaires

- il ne bénéficia guère du soutien de ses collègues, seul ou presque Maurice Pardé, pourtant pétainiste, lui manifestant "son respect et sa reconnaissance"(81).

Ainsi revenu de ses illusions quant au rôle du maréchal, René Gosse se lançait quasi immédiatement dans l'action clandestine. En aidant d'abord les persécutés du nouveau régime, fonctionnaires révoqués et surtout Juifs qui trouvèrent à « la villa Bérengère » aide, conseils dans une "atmosphère de sérénité" (82), à tel point que de bonnes âmes grenobloises qualifièrent la maison de ghetto (83)

(1)    René Gosse (1883-1943) Chroniques d’une vie française  par Lucienne Gosse (Plon-1963) Lire le bel hommage rendu par son collègue Jean Favard de la faculté des Sciences de l’Université de Grenoble dans les Annales de l’Institut Fourier (Grenoble 1963)   AIF Tome 13 n°2

Entre amertume et désespoir parfois, l’autodidacte Maxime Nemo a-t-il souffert de ne point appartenir à ce cénacle de « la République des Normaliens » comme on le disait alors sous Edouard Herriot même s’il les connaissait fort bien et fut reçu par eux comme un égal. Il aura sans cesse fallu lutter par sa plume et sa ténacité pour convaincre les éditeurs, les élites qu’il fustigeait, les politiques aussi dans son combat pour le retour des cendres de Rousseau à Ermenonville avec le cabinet d’André Malraux ou pour propager ses Manifestes pour défendre les « Valeurs du monde actuel » en 1964 avec le gaulliste René Capitant et René Maheux de l’Unesco.

Nemo passe et refait surface toujours dans la défense de l’Humain, on le voit tantôt aux côtés de Charles Vildrac et d’André Cuisenier aux réunions des « Amis des Hommes de Bonne Volonté », sur les antennes nationales comme défenseur d’un Humanisme tragique dès 1937  ou commentateur de Rousseau en 1947, certaines mauvaises langues comme Guéhenno  diront en aparté à Giono dans une lettre du 14 février 1950 (1) « Je le connais peu ou mal mais j’ai l’impression qu’ il se pousse sur le dos du malheureux Jean Jacques ». Et il ajoute plus loin à l’occasion du bicentenaire du Discours sur les Sciences et Arts, « Je ferai la conférence promise mais je suis peu enclin à m’engager dans l’Association » mais qu’importe, fort de son Comité directeur qu’il a constitué autour de ses solides amitiés littéraires, Nemo va son chemin, même si les Universitaires français patentés, détenteurs du Panthéon Rousseauiste comme Starobinski ou Raymond Trousson et Frédéric- Eigeldinger (qui le connaissait bien) ne le citent même pas dans leur somme, à savoir  le  « Dictionnaire Rousseau » chez Champion en 1970 et cela est bien injuste !

Qu’importe !  La masse de messages de sympathie venus de toutes parts et de tous pays à sa veuve Yvonne Nemo en septembre 1975 et le  vibrant hommage de quelques anonymes qu’elle reçut, tout comme  le bel article de son ami Roger Secrétain, Maire d’Orléans, un Péguyste convaincu  dans le journal «  Le Monde », rendent justice à l’Homme et à son infatigable activité intellectuelle.

Bien sûr on relèvera quelques petites phrases dans un témoignage de Simone Boué, collègue d’Yvonne Nemo et mais surtout compagne d’EM Cioran, qui répond dans une interview à Norbert Dodille : « II y avait aussi un certain Maxime Nemo, c'était son nom de plume, qui était très séduisant, très beau parleur, qu'on a présenté à Cioran, au Flore. Sa compagne qui était professeur de mathématiques, avait un manoir dans les environs de Nantes, extraordinaire, complètement isolé, entouré de très hauts murs, au milieu de vignes. On y allait assez souvent l’été, passer huit jours. Cioran était parfaitement heureux, il passait son temps à élaguer les arbres, à réparer les murs. II adorait travailler avec ses mains. Pour lui, jardin égalait bonheur. Le revers de la médaille, c'était les conversations. Ce Nemo avait des dons mais aussi des admirations qui heurtaient Cioran ».

Quelles sont ces « admirations » qui heurtaient l’invité, je n’en ai pas souvenance,  sans doute à cause de mon jeune âge, éloigné des vraies causeries entre adultes  sans soute sur l’idée d’Occident et de Nation, peut-être aussi d’Europe à moins qu’il ne s’agisse de conversations à bâtons rompus autour de Maistre (dont Cioran avait choisi commenté les textes en 1957) ou les souvenirs d’un Européen de 1948 , Stefan Zweig ce nostalgique, (comme Nemo) d’un Monde d’hier ; les immigrés tunisiens ou libyens n’étaient point encore à nos portes même si les combats pour les Indépendances faisaient rage.

Il faut pout cela relire tous ses écrits et Manifestes sur « l’Occident » par Occident bien sûr il faut comprendre l’héritage gréco-romain et le patrimoine de la civilisation occidentale que vont défendre à leur façon un Francis Delaisi dans « les Contradictions du monde moderne » de 1925,  un Paul Valéry mais aussi un chrétien Henri Massis. Voici la réponse apportée par Nemo  à « Défense de l’Occident » de Henri Massis paru chez Plon en 1927 et qui est bourrée d’annotations souvent rageuses ou dubitatives:

« Je viens de relire un livre d’Henri Massis et les pages de Paul Valéry.

Il est difficile de rencontrer deux esprits plus opposés. L’un vous le savez, est un dogmatique chrétien, l’autre possède l’intellectualité païenne la plus aigüe qui se puisse concevoir.

Cependant, ces esprits reconnaissent le même mal : l’occident perd cette maîtrise qu’il exerçait sur les esprits, et, par les esprits, sur les choses. Mais l’intellectualité d’un Valéry va bien plus loin que le dogmatisme de Massis. Celui-ci demande le retour au mysticisme médiéval, c'est-à-dire à l’unité chrétienne.» Et Nemo d’annoter p.59 :« Pourquoi arrêter l’idée de l’Occident à celle de la latinité ? » ou encore«Pourquoi forcément cette association, salut de l’Occident = salut de l’homme ? «   

Les trois livres « Regards sur le monde actuel », « la Civilisation européenne » et « la Crise de l’esprit »  de Valéry sont abondamment annotés et le portrait de l’auteur du Narcisse y figure en bonne place.

Rappelons en passant que  Valéry se posait dès  1900 la question de comment définir « le monde actuel d'un point de vue global ». Quels en étaient les modalités du jeu politique et des régimes démocratiques ou dictatoriaux. Pour cela, il faisait  une analyse spectrale de L'Europe, de la France et de Paris tout comme Nemo se livrera en 1940 à une « une psychologie de la France »  Si l’on relit « Regards sur le monde actuel » aujourd’hui, et si l’on devait inscrire Valéry au sein d’un des courants des relations internationales on le qualifierait certainement de globaliste. Pourtant s’il y a eu déclin du poids des nations au cours du XXème siècle croire en leurs disparitions semble encore se heurter dans l’immédiat à des aspirations populaires réclamant leur maintien. Comme Maxime Nemo (son disciple ?) Paul Valéry est un personnage complexe. Malgré un dégoût marqué pour le politique et un non-engagement total - mis à part durant l‘affaire Dreyfus, il prend une place à part dans la sphère publique et incarne certains des doutes et des déceptions de son temps, notamment une méfiance à l’égard d’une science en laquelle il plaçait beaucoup d’espoir. Son intérêt pour l’idée européenne semble naître assez tôt. Ainsi écrit- il en 1900 dans ses Cahiers des propos qui résonnent d’une brûlante actualité aujourd’hui : « le monde sera bientôt fait de nations extrêmement étrangères les unes aux autres et très semblables (elles seront donc hostiles) si on n’y trouve pas des liens nouveaux, analogues à l’ancienne chrétienté ou à ce que l’on a nommé plus tard la civilisation européenne »

Sans doute faudrait-il rééditer le texte de Nemo de 1957 « Occident terre de l’homme » qui faisait suite à « Réplique à l’abîme », on aurait ainsi sa trilogie sur la Fonction Humaine. Dans cet Essai de deux cents pages environ, qu’il subdivise en deux parties : « Une éthique de l’homme » puis « De Salamine à Stalingrad » La Conclusion aurait dû s’appeler « Message à l’Humain » en voici un extrait :

S’il devait disparaître, l’Occident serait mort déjà. Je suis le dernier à nier la crise dans laquelle le principe humain se débat ; néanmoins mes raisons de croire à la survivance de ce même principe me paraissent suffisamment fondées pour justifier un état de foi.

Notre situation actuelle n’est pas comparable à ce qu’elle fut au cours du VIè siècle de notre ère. Alors, tout était à terre, et la barbarie triomphante. Or, l’homme s’est relevé de cette épreuve. Les dangers sont loin d’être équivalents. Aujourd’hui le principe humain est présent sur toute la terre. Que, demain un cataclysme ravage, même l’Europe et l’Amérique, il est des coins du globe qui resteront préservés, et la puissance de notre expansion est telle que la disparition radicale de la pensée, et surtout de la pensée humaniste est presque inconcevable. Ce monde « fini » dans lequel nous sommes entrés, nous l’avons peuplé de notre inquiétude, de notre désir – disons bien : de notre prométhéisme. Ainsi que nous l’indiquions, notre « mesure » s’est étendue à la totalité de la planète ; seule une destruction totale de la terre et de l’homme pourrait correspondre à celle de l’inquiétude humaine. Même la folie imbécile des dirigeants hésiterait en présence d’un tel cataclysme. Je sais qu’il est dangereux, surtout pour des fous imbéciles de jouer avec le feu : cependant ceux qui dirigent encore ont eu depuis dix ans, toutes les occasions d’allumer l’incendie ; même Staline a éteint l’allumette au besoin, à deux centimètres de la mèche ; et nous avons vu les Américains encaisser leur défaite en Chine, en joueurs qui risquent une partie de leur avoir, mais non le capital. Je ne sais si la paix, relative, dont on nous fait profiter est définitive ou simplement durable, j’espère que l’appréhension de la catastrophe obligatoire, si le conflit était déclenché, rendra nos dirigeants prudents. Et comme il faut dire d’eux comme je ne sais plus qui, du XVIèè siècle, disait au sujet du Prince : que lorsqu’il ne fait aucun mal il convient de le remercier d’être resté inoffensif ! Nous nous déclarerons satisfaits de ne vivre que sous la menace de notre anéantissement. C’est ce temps de répit qu’il faut mettre à profit pour maîtriser ce qui n’existait pas au VIè siècle : nos chances de destruction ne sont pas qu’extérieures. Nous portons en nous notre propre fonction barbare, incarnée par cette catégorie d’êtres, pour qui le principe de l’argent est tout, et dont le type nous est fourni par l’Américain parfait. Le culte monstrueux du dollar est la signification suprême de cet état d’esprit qui malheureusement menace et inonde déjà, une partie du monde européen. En particulier l’Allemagne est en ce moment immergée par cette masse de faiseurs d’or et il y a en ce pays une planification du bien être qui le rend insensible aux vigoureux appels de la vertu nietzschéenne. Penser que ce grand peuple n’a d’autre pulsation que celle des élections, pour ou contre M. Adenauer, et qu’il est malséant d’y évoquer l’horreur des camps de concentration et de la fulgurance hitlérienne constitue un symptôme alarmant. On regrette que l’Allemagne n’assume pas la responsabilité de ses crimes ; pour ensuite exiger de participer au mouvement qui doit procréer le principe de l’Humain nouveau. Il convient en effet de puiser dans l’état de notre être pour l’arracher à ce présent transitoire. Nous possédons assez le sentiment de notre grandeur pour savoir à quel degré nous dérogeons actuellement à ses exigences ! L’Homme qui nous habite n’est pas ; même il est tout à faire ! Et avec des données que le Rêve d’hier ne pouvait pas prévoir. Nous savons parfaitement qu’à la notion, ou juridique ou simplement civique, s’ajoute une responsabilité économique que l’organisation de la pensée humaniste n’avait pas envisagée. Mais ce que nous savons aussi, c’est qu’il faut partir de l’Humain réel, et non de conjonctions qui ne seraient que celles du rêve pur. Nous opposons les deux termes, car nous entendons que notre puissance d’instituer, si elle part d’un rêve, aboutisse à une concrétisation de ce pouvoir d’imaginer. Peut-être est-ce ce facteur permanent qui nous sépare de l’Orient. (…)  

(…) L’Occident de demain – et ce mot ne peut-être réel qu’étendu à la surface du globe – va se trouver en présence de l’énorme tâche que la science lui confère. Une définition de l’Humain est à extraire des énormes possibilités instituées par l’invention de l’Homme. Hier, dans une certaine mesure, tout pouvait rester à l’état d’idée, même d’idée métaphysique. Cette idée planait au dessus de contingences matérielles que le développement du temps modifiait à peine. Les conditions de vie au XVIIIè siècle, sont à peu près identiques à ce qu’elles étaient au temps de Rome et d’Athènes. La prévision était possible, puisqu’un continu réel l’autorisait. A cette uniformité, notre génie inventif substitue l’infini de nos formes changeantes de vie pratique, de Connaissance. Que sera celle-ci si, demain, le livre de l’Espace s’ouvre devant nos regards attentifs ?...

Il serait imprudent de compter sur une non-transformation de nos mythes, dans une transformation démesurée de la Connaissance, et de nos façons de vivre. L’Homme que nous pensons, ne sera-t-il pas dépassé, demain, par l’ampleur, à peu près imprévisible, des réalisations entrevues aujourd’hui ? Et où se situera la référence valable ? J’interroge le suprême regard des combattants de Salamine  et de Stalingrad. Que demeurera-t-il de réel, de vivant, près de vos tombes associées ? La notion de ce devenir me préoccupe davantage que celle de l’au-delà. Dois-je faire confiance à l’instinct de conservation de la race, et penser qu’il sera supérieur à celui de destruction ? Rien n’est mort, il est vrai, de la fonction première ; mais nous avons introduit le mouvement dans nos façons d’être ; le Temps ne se mesure plus à l’échelle de jadis et selon la permanence d’hier. Le mouvement nous emportera-t-il, désintégrant jusqu’au squelette, jusqu’à la terre des tombes de deux combattants de l’humanité ? Et replaçant la Vie au cœur du tourbillon original, tout, ce qui fut, sera-t-il effacé par ce qui sera ? J’ai toujours pensé que l’angoisse du réel, de la Vie est supérieure – au moins, quelle est égale à celle que le plus pur mysticisme peut éprouver. La position de nos espérances est-elle différente ? Par un effort d’ascétisme et d’élan, le Mystique espère rejoindre Dieu et trouver, dans la béatitude, la récompense de son effort. Aussi haute est notre pensée ; puisque nul ne possède de  certitude définitive. Notre espoir réside dans ce capital de pensée et d’actes que forme notre passé. Ce souffle de Vie peut-être un souffle d’espoir. Je ne sais si sa permanence est « divine » - et pourquoi pas ? – mais estime qu’elle constitue la preuve à laquelle, également, il est possible de croire. Si tout est vain d’une telle affirmation, il est permis de supposer que Dieu lui-même le deviendrait. En ce cas, Prométhée serait, non le démiurge bienfaisant, mais un fou démoniaque entraînant l’espèce vers la plus sordide des aventures. Le mal serait le Maître et les orientaux triompheraient

Je ne sais quelle puissance intérieure se hérisse au contact de ce soupçon. L’idée d’une Forme monte des nuées de l’angoisse éprouvée, celle d’un être nu, juvénile et puissant, dont la présence projette une telle impression de pureté qu’il paraît impossible qu’un tel pouvoir d’innocence réalisée puisse, ne jamais correspondre au mensonge.

Que se cache-t-il donc de mystérieux dans la beauté, qui fasse, à ce degré, soupçonner la présence d’une intention qui attire et fascine ? Peut-être un pouvoir de compréhension à ce point considérable qu’il lui a été possible d’utiliser le mouvement et sa vibration, sans jamais les détruire, ni succomber à leur attraction. En cela réside la puissance de notre Occident et se résumerait en une ligne : Le tout est de comprendre ; mais pour comprendre, il faut aimer.

La Crétinière – 20 septembre 1957.

Je serais tenté de me poser la question de savoir si,  mon parrain mort en 1975, après les contre feux de Mai 68 qu’il a passés loin des barricades dans la rédaction de ses deux  essais sur la fonction humaine  «L’ Acte de Vivre »  et  « Occident terre de l’homme » resté inachevé, aurait polémiqué sur les grands débats actuels du XXIè siècle ?

Je pense bien sûr au combat écologique, cher au premier des écologistes s’il en fut, Jean Jacques Rousseau mais aussi au dialogue qu’il avait engagé avec le journaliste écologiste suisse Franz Weber, pour orienter l’Association vers une actualité brûlante : écoutons ce qu’il lui écrivait en 1971 :

Monsieur, J’ai lu avec infiniment d’intérêt l’article que vous avez fait paraître dans le Monde du 13 novembre 1971 sous la rubrique : «  la défense des sites à l’heure des professionnels » et avec comme sous titre : « Un Suisse dans les Alpilles ». (1)

Vous  ne serez certainement pas surpris que la question abordée intéresse au plus haut point une association qui a Jean Jacques Rousseau comme « patron ».

Notre Association, dont l’activité a été vive au moment de la célébration du 250è anniversaire de la naissance de Jean Jacques se propose de préparer l’autre célébration de, cette fois la mort de J.J.Rousseau, que nous commémorerons  en 1978 sous la forme d’un deuxième centenaire de l’événement.

Nous aurions l’ambition d’ici là de joindre notre activité à celle des divers organismes qui se proposent d’imposer, dans la mesure de leurs possibilités, le respect des choses de la Nature. Nous sommes certains en agissant ainsi non seulement d’obéir à l’injonction de sa pensée, mais cette pensée de la faire revivre en l’introduisant en tant que référence philosophique dans la campagne qui commence en Europe pour la préservation des sites.  

Et Nemo ajoutait en mars 1972 avec des accents précurseurs que ne renieraient pas aujourd’hui les  mouvements « Europe Ecologie » ou « Ecologie les Verts » jugeons en plutôt: 

« L’Association J.J. Rousseau modifie ses perspectives en se proposant d’apporter aux mouvements qui, à travers le monde s’émeuvent devant les diverses forces de spoliation de la Nature, un élément de réflexion philosophique qui parait leur faire encore défaut et en leur proposant de se fédérer afin d’opposer une puissance d’une volonté mondiale aux forces de déprédations qui sévissent autour de nous.

Mais l’originalité de notre action s’étend, car nous estimons que rien d’efficace ne sera accompli si l’ensemble du système éducatif n’est pas « imprégné » par le désir d’établir un principe de référence engageant la responsabilité humaine en lui inspirant le respect de la  Vie. C’est une action à entreprendre dès l’entrée de l’enfant à l’école maternelle. » (…)

(1)    Un Suisse dans les Alpilles par JP Quélin in le Monde des Loisirs et du tourisme du 13 novembre 1971 p.13 ; Un Suisse veut sauver la Provence par Maurice Fabre-Rubrique Environnement ; Le Chevalier des Baux par Nicole Muchnik Le Nouvel Observateur n°366 du 15 novembre 1971 ; Franz Weber, un petit suisse courageux qui prétend sauver les baux de Provence in Feuille d’Avis de Lausanne du 8 décembre 1971

Nemo n’aura eu ni le temps de Commémorer le Bicentenaire de la mort de Rousseau en 1978 ni celui de commenter les deux essais du brésilien José Guilherm Merquior (1941-1991) parus en 1990 sur la théorie de la légitimité sur Rousseau et Weber. Restons sur ce disciple de Foucault et sur la thèse qu’il propose sur le concept de la « littéro-philosophie » pour décrire le rapport très français de nos philosophes (au moins depuis Victor Cousin) à l'excellence littéraire. Ce qui veut dire en, clair qu'un philosophe n'est reconnu en France — à commencer à ses propres yeux — que s'il accède au statut de « grand écrivain », et par là même à celui de « grand intellectuel ». Non parfois sans une certaine dénégation de la réalité. en revanche il n’est pas inutile de relire le chapitre que Daniel Lindeberg a consacré à « l’éternelle trahisons des clercs » faisant ainsi écho à l’ouvrage de Benda commenté pour « Monde » par Maxime Nemo dès sa parution, le philosophe socialiste y rappelle les bouleversements intervenus dans le statut des intellectuels depuis mai 68:        

« Le « pouvoir spirituel laïque» à la française, tel que Paul Bénichou l'a défini, avait ses lois. Mais comme le montre Pierre Grémion dans un remarquable article,(1) il est aujourd'hui en état de décomposition avancée. Grémion date ce processus de 1968. Il s'intéresse en particulier à la figure de Michel Foucault qui est l'homme-orchestre de cette époque cruciale. L'auteur des Mots et les choses proclame que «nous vivons la disparition du grand écrivain» au moment même où, comme le fait remarquer Grémion, il écrème l'École normale supérieure de la rue d'Ulm pour encadrer le Centre expérimental de Vincennes où gauchisme et structuralisme célèbrent leurs noces. Mais peut-on comprendre ces bouleversements sans faire référence à un certain syndrome propre à la haute Université française, bien avant que l'on ne dépave la rue Gay-Lussac ? »

(1)  Pierre Grémion, « Écrivains et intellectuels à Paris », Le Débat, n° 103, 1999.  

Sans doute faudrait-il reconsidérer à l’aune des années Nemo la phrase de Jacques Bouveresse sur le règne des « autophages » « Pour les représentants les plus autorisés de l'intelligentsia « de gauche», être de gauche voulait dire essentiellement s'opposer à toute espèce d'ordre ou de pouvoir politique en place [...] puisque tout « progrès » et toute amélioration sur ce point sont parfaitement illusoires ». Le pessimisme viscéral de l’auteur de « l’Acte de Vivre » se serait retrouvé dans cette formulepubliée un an après sa mort par Jacques Bouveresse dans  le Philosophe et les autophages, Paris, Minuit, 1976. Comme le fait remarquer Daniel Lindenberg ,  on voit bien que « ce tropisme des intellectuels français traverse toutes les époques et les modes ».Mais Nemo serait aujourd’hui plus du côté de Finkielkraut et de Muray que des nouveaux actionnaires enclins au « bougisme » tel que le définit André Taguieff . En effet on peu considérer qu’ une espèce de catastrophe anthropologique aurait eu lieu au cours des années 60 et depuis cette époque, nous aurions cessé d'être de plein pied avec notre culture et avec notre histoire, nous serions devenus des étrangers ou mieux des touristes errant parmi les vestiges d'une très ancienne civilisation, cette civilisation que Nemo cherchait toujours à donner un sens quitte à la rattacher aux grands mythes fondateurs. Nous vivrions sans même avoir le droit de le dire au sein d'une réalité appauvrie.

Pas plus que  Muray, Maxime Nemo ne fut pas un théoricien des idées mais un essayiste et parfois pamphlétaire même s’il dut modérer son propos quand il présidait aux destinées de l’Association Rousseau. Il a très tôt été le témoin d’une époque où selon l’expression de Marcel Aymé "le réel commence à ne plus être ce qu'il était". Le spectacle pour parler comme les situationnistes a commencé progressivement à grignoter la réalité. Et c’est surtout dans l’entre deux guerres qu’il a exercé son analyse la plus aigüe dans des récits de fiction où il met en scène « les Frères Dardenne » ou quand il déconstruit les causes de la débâcle de 1940 dans ses tableaux  très durs et impitoyables où il mêle tantôt la sociologie  et la géopolitique sans jamais tomber dans l’anti modernisme ou le catastrophisme.

On pourrait reprendre à son sujet la critique du philosophe Damien Leguay lorsqu’il dit : « Comment penser un pays qui n'est plus dans une idéologie d'avancée et qui toujours est mû par ce progressisme, cette envie d'aller de l'avant, ce camp du bien qui pense qu'il faut y aller de plus en plus vite même si on ne sait pas où l'on va. De plus en plus vite vers nulle part. Sa problématique du "vers où allons nous " lui donne la liberté de pensée suffisante pour analyser les dérives d'un monde qui perd sa tête ; on rejoint là un Marcel Gauchet sur une démocratie livrée à elle même et qui finalement se retourne contre elle-même » Peut-on dire que Nemo  se situe dans la filiation d’un  Jan Patochka ou d’un Marcel Gauchet et était à la recherche de « la mentalité nouvelle » dont parle aujourd’hui Chantal Delsol dans sa fin du judéo christianisme qui prophétise un retour du paganisme après la parenthèse du nihilisme.

La quête de la vérité dans les questions existentielles par les grecs (la mort de Socrate) et par les chrétiens (le tragique de la mort du Christ) telle est finalement la grande question à laquelle Nemo n’aura eu  de cesse de chercher une réponse dans l’Humanisme et non par la foi.

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:20

Chapitre X

Les silences d’une vie

 

-        Parmi les silences les plus obsédants dans cette quête généalogique, il en est que rien ne vient interrompre ce sont les  silences sur son enfance « subie ». Qui était vraiment ce père qualifié tantôt de représentant de commerce puis d’artiste dramatique qui naît à Vernon au milieu du XIXè siècle et adopte le jeune orphelin Renou ? Qui est cette Albertine Renou est-elle la véritable mère en quête d’une paternité pour son fils ? Pourquoi change –t-elle de prénoms et reste dans l’ombre d’Charles Albert  Baugey et du jeune Maxime Baugey-Dailly ? Après avoir vécu « aux crochets » du petit prodige, pourquoi cette fin anonyme du père à la Roche sur Yon en 1908 dont on ne relève qu’un avis à l’état civil dans le Messager de la Vendée du 2 février 1908 ? « Baugey Charles-Albert, 43 ans né en 1865 artiste dramatique, époux de Renou, Albertine- Aldegonde , rue des Halles ».

-        Ce père qui a managé la carrière de son fils de façon remarquable semble-t-il,  a su trouver les réseaux pour le mettre à l’honneur mais aussi pour en tirer quelques bénéfices substantiels. Comment l’enfant a vécu cette exploitation et l’on pense évidemment au jeune Mozart dans les cours européennes qui s’épanchait vers sa sœur Nanette. On ne connaît pas de frères et sœurs dans l’entourage de Maxime Nemo, même si sa famille biologique entre Anjou et Touraine dont il fait une émouvante évocation dans le texte : « Pour se perdre »  semble avoir été prolifique. Après la disparition de ce père à l’âge de 43 ans, il est normal que le jeune Nemo âgé de 20 ans cherche l’appui d’une figure paternelle tutélaire chez ses aînés  les poètes comme Valéry, Verhaeren, Maeterlinck.

-        Trois ans plus tard à 23 ans le voilà père d’un fils et à charge de famille avec une jeune épouse, une mère et un fils qui vient de naître à Annecy en 1912. Comment-va-t-il subvenir à cette situation qui le dépasse ? La biographie est muette sur ce sujet et jusqu’à la guerre si l’on excepte la parenthèse du Château d’Eau ou les seconds rôles sont fort mal payés et où Jouvey avoue avoir mis sa troupe en faillite pendant l’été 1913 en offrant des places à petit prix.

-        Silence sur la période 1914 -1918 et jusqu’à la création de « l’Ilôt » où le couple Nemo refait surface et peut faire vivre le foyer grâce à une gestion rigoureuse et à un enchaînement infernal des prestations dès 1919 à Mayenne. On peut imaginer qu’il place son épouse, sa mère et leur jeune fils au Mareynou à Razac sur l’Isle en Dordogne grâce à la bienveillance de la famille Testut et que de là il peut couvrir ses engagements dans tout le sud ouest dans les Universités, Lycées et Ecoles Normales.         

-        La descendance Christian Baugey né en octobre 1912 et de Claude né en 1925restent mystérieuses. Si Christian Baugey l’aîné est connu comme photographe et américaniste-ethnologue reconnu, on peut suivre sa carrière au Mexique, en Amérique centrale puis en Mission au Cambodge pour l’Unesco. Des photos attestent des visites de sa fille Nicole à la Crétinière jusque dans les années 70 puis la rupture brutale et le silence entre le père et le fils aîné. Le deuxième fils cadet Claude né en 1925 meurt à la fin de la guerre en 1945 et nous ne savons rien sur ses 20 années son éducation, ses projets de vie, ses relations avec son père si ce n’est 2 poèmes qui lui sont dédiés et une lettre du poète Henry Vendel en 1945 qui compatit au chagrin de son ami Nemo.    

-        S’il est bien une figure qui reste également dans l’ombre, c’est bien celle d’ Antoinette Pègues (née le 23octobre 1882 à Rodez) et qui accompagne Nemo jusque dans les années 30. Il l’épouse à Dijon en 1909 et semble l’avoir suivi à Annecy en 1912 puis au Mareynou en 1921 et enfin à Meyreuil jusque dans les années 30.Les témoins  en pays aixois se souviennent encore de ce couple épisodique et atypique où le principal protagoniste « charmeur et fantasque » selon un voisin, disparaît puis reparaît soudain.  Madame Nemo semble avoir été du voyage dans la découverte du Maghreb dont se feront l’écho la Revue Alger Etudiants et Tunis Socialiste. Quelles impressions a recueilli la jeune institutrice aveyronnaise de cette découverte ? Nous n’en saurons rien sinon à travers les deux Poèmes Tozeur et Vers la Casbah écrits en 1924 par Maxime Nemo

-        La découverte de l’Allemagne d’avant guerre (Le Dieu sous le Tunnel)

-        L’Occupation

-        Hommages posthumes à Yvonne Nemo (amis proches et lointains ; Dansel et le Père Lachaise)

-        L’anonymat : ou comment l’on passe de Renou (un des pseudonymes de Rousseau)  à Baugey (nom du père adoptif) puis à « Nemo » nom de scène puis de plume.

-        La voix captée par les archives de l’INA : Conférences de « Radio Paris 1937 » aux entretiens de 1949 et 1962 sur Rousseau

 

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:19

Chapitre IX

Les lieux d’une vie

« Une patrie est un soporifique de chaque instant » EM Cioran

Si le France et son cœur historique la Touraine à deux pas de Chenonceaux a vu naître Maxime Nemo au siècle dernier, ce Citoyen du Monde  aura parcouru en quatre vingt sept années une partie de l’Europe et l’Afrique du Nord et se disposait, si la destinée lui en avait laissé le loisir,  à découvrir l’Amérique latine vers son ami Coppetti Burla et le Japon vers son ami E. Nagata.

Si les trois grandes périodes de sa vie l’ont amené à parcourir la France avec son père du nord au sud sans doute vers la Belgique et jusqu’à l’Espagne, il aura connu tous les hôtels les plus improbables, les pensions et les relais puisque de gares en gares il sillonne la terre de France à la rencontre d’abord une aristocratie européenne représentée par la reine Victoria, qui avait élu avec sa cour, la Côte d’azur, nouvelle destination à la mode comme d’autres Princesses éliront la Côte basque d’Arcachon à Saint Sébastien puis ensuite les  forces vives de la Nation, catholique dans els Grands séminaires de Nice ou à l’Ecole St Elme d’Arcachon, puis les hussards de la République laïque et radicale socialiste de Brive à Vannes, de Brest à Nice sur les pas du professeur Jules Romains, rencontrant tantôt la famille Chirac en Corrèze en la personne de Louis Chirac puis la famille Gouze en Aquitaine.

Il semble que des destinations soient restées chères à son cœur et qu’il y revenait pour retrouver des visages, des émotions, des paysages, des lumières, ce fut le cas de Chambéry où il planta le cadre de son Exode de 1940 , d’Annecy où il se lia avec Henri Davignon et la Troupe des Escholiers , la Bourgogne où il se maria en 1909 et où il professa la diction, de la chère Dordogne où il loua le Mareynou à Razac sur l’Isle à la famille Testud qui sut l’accueillir et lui ouvrir les portes des familles locales et d’une certaine bourgeoisie locale dont un Préfet, du Pays basque et bien sûr le pays nantais d’où était originaire sa seconde épouse.

Il y eut tous ces lieux clandestins pendant la guerre comme sa retraite près de Douarnenez dans sa Villa de Ker Paulo, ou Maner lac dont il parle dans son journal et où il situe un de ses récits, d’autres villes sont évoquées au hasard d’une lettre comme Grenoble où se retrouvaient autour de la famille Gosse tous les universitaires entrés en résistance jusqu’à leur fin tragique en 1943. L’extraordinaire humanité du personnage faisait qu’il s’attirait de solides amitiés et pas seulement littéraires comme le montre l’article de Claude Sérillon paru en 1972.Il serait ainsi difficile de retracer le périple de 1923-24 en Afrique du Nord entre Algérie et Tunisie si l’on n’avait que les articles d’ « Alger Etudiant » ou le compte rendu de la gazette de Tunis de l’époque. L’anecdote de cet algérien qui écrit à Nemo dans les années 1980 pour poursuivre une conversation entamée sur un chemin de Haute Corse est symptomatique de la grande disponibilité et ouverture du personnage, l’ami algérien ne savait hélas que Nemo n’était plus là pour poursuivre leur causerie d’antan. Je le revois aussi se querellant dans l’Espagne de Franco avec la propriétaire d’un Parador à Càceres et une autre fois à Lierna avec la tenancière de la pension au bord du Lac de Côme, ou encore au retour avec les hôteliers de Géménos dans le Var. Chaque voyage était l’occasion d’aller vers les gens et sans aucun apriori ou préjugé . La conversation était simple, naturelle et toujours cordiale à l’inverse de son ami Cioran qui lui voyait le mal partout et déclarait : « Un homme qui se respecte n'a pas de patrie. Une patrie, c'est de la glu »   en 1990, Cioran n'imagina pas d'échanger Paris pour Bucarest fait remarquer avec justesse Ricardo Paseyro dans son article : « Deux Européens en Exil : Cioran et Maistre »  On notera au passage sa réplique cinglante sur l’Espagne qu’il vient de parcourir en vélo  « Serf ce peuple bâtissait des cathédrales ; émancipé il ne construit que des horreurs »

Lorsque Maxime Nemo le rencontre ainsi que Mircea Eliade aux deux Magots à Paris aux lendemains de la guerre, leur situation dépendait toujours du « titre de voyage Nansen », seul et précaire document que la Société des Nations accordait, dès 1922, aux apatrides et « déplacés ». Cauteleux par nature et instruit par l'expérience, Cioran respectait le devoir de réserve concernant son pays d'accueil »

A l'époque, les autorités espagnoles avaient deux raisons d'écarter les immigrants originaires de l'Europe orientale : elles craignaient les « infiltrés » se disant anti-communistes ; de surcroît, l'économie espagnole n'était pas à même d'absorber les étrangers démunis... Le dossier de Cioran s'enrichit de cautions, certificats, témoignages ; une fois la méfiance dissipée, la porte s'ouvrit.

Voici Cioran qui enfourche sa bicyclette«, pris d'enthousiasme, emprunte à partir d'Hendaye les routes désertes et les pistes poussiéreuses de la péninsule ibérique. À chaque halte, ses cartes pos­tales me signalaient sa progression : il ira jusqu'en Andalousie et rentrera en France par la Catalogne. Le périple raffermit son penchant instinctif vers le caractère, les mœurs, l'histoire, le génie du vieux Royaume d'Espagne. Fervent des mystiques ou des êtres entiers ou hors norme, il aima aussi l'Espagne qu'il parcourait, austère, spacieuse, triste, pauvre, croyant au miracle, donquichottesque encore parce qu'analphabète. Un subtil chapitre de la Tentation d'exister sa pénétrante compréhension des Espagnols « Rétrogradant sans cesse vers l'essentiel il se sent perclus par excès de profondeur », écrit-il.

Si l’Espagne a occupé bien des voyages  c’est surtout l’Italie dont il raffolait qui aurait mérité un Dictionnaire amoureux, comme son ami JR Bloch qui y enseigna à l’Institut français de Florence et où Nemo donna des conférences à l’invitation de son ami Giuseppe Sorge 

Pas étonnant que tous ces amis croisés ici ou là se retrouvaient à la table de la rue Ledru Rollin ou se trouvaient invités  l’été à la « Crétinière » autour d’un brochet au beurre blanc savamment préparé par ma mère ou par Yvonne Bretonnière , selon les règles de l’art fixées par sa créatrice  Clémence Lefeuvre, bien sûr. Et l’on venait de loin pour se ressourcer ou pour créer. Combien d’aphorismes de Cioran sont nés  pendant ces soirées d’été au bord de Loire. Parmi les innombrables billets, cartes postales et lettres reçues depuis leur recnontre j’extrais celle-ci qui donne une idée des aversions et impatiences que pouvait avoir Cioran à l’issue de ses échappées hors de Paris comme celle qu’il fit avec Simone vers l’Angleterre :

 

Paris le 4 septembre 1948

Mes chers amis,

Je vous croyais quelque part en Provence ! C’est pourquoi je ne vous ai pas écrit pour vous communiquer nos impressions sur cette emmerdante Angleterre. Pour être juste, il faut reconnaître que l’Ecosse est tout de même autre chose. Edimbourg ne manque pas de caractère et d’allure.Une ville bâtie en pierre noire où l’on peut être heureux tout un après midi…Nous sommes allés très loin, jusque dans le nord de l’Ecosse. Le paysage, rien à dire. Partout des lacs et des montagnes dénudées, du brouillard et de la pluie et parfois une lumière étrange qui nous donnait l’idée de ce que peut être la Norvège ou la Finlande. Jamais je n’ai autant pratiqué l’adjectif sinistre. Inutile de vous donner des détails. Vous comprendrez le succès de notre voyage quand je vous dirai que de retour, comme nous nous sommes arrêtés une journée à Cambridge, Simone m’a accusée de l’avoir amenée en Angleterre. Et pourtant Cambridge est une très belle ville. Il n’y a rien à faire quand on vit en France et qu’on connaît un peu l’Italie et l’Espagne, le Nord même extraordinaire, n’offre que les surprises de la déception. Le seul souvenir vraiment émouvant de notre entreprise, nous le devons au pays des sœurs Brontë, dans le Yorkshire. On y vit toute l’atmosphère des Hauts de Hurlevent. Ces landes sauvages, je ne peux y songer sans un frisson lyrique. Et voilà comment la folie de notre voyage se trouve finalement rachetée.

Nous sommes rentrés le 20 aout. Simone est repartie chez elle il y aura bientôt une semaine. Le 10 septembre nous nous sommes donné rendez-vous à Tarascon, d’où nous entreprendrons à bicyclette l’exploration de la Provence. Je quitte Paris le 9 au soir. Si d’ici là vous êtes de retour, faites moi signe. Votre fidélité à la Cré, combien je la comprends ! Et combien je m’en veux de ne pouvoir rester sur place nulle part plus d’une journée !

Avec toute mon affection.

Votre  Emil CIORAN  

Il semble que c’est en 1940 soit 5 années après avoir rencontré Yvonne Bretonnière professeur à l’EPS de Laval lors d’une conférence que Maxime Nemo  qu’il retrouve le pays nantais. Clandestinement d’abord à l’Hôtel de mauves sur Loire où le train s’arrêtait et où le rejoignait sa dulcinée. Le père de celle-ci étant Maire de la commune, il aura fallu de nombreuses années avant qu’il n’investisse les lieux sans jamais avoir été présenté à ses propriétaires qui l’avaient acquise en 1901 de la famille Guicheteau Juge nantais. Cette  maison avait été bâtie en 1799 par Joseph Marie Trébuchet, oncle de Victor Hugo et secrétaire de la Préfecture de Loire Inférieure, qui voulait en faire sa maison de campagne.   

En 1940, c’est le Commandant Habillon du 2è Hussard du régiment de Berry au Bac qui la loue avec sa sœur à Théophile Bretonnière  et sans doute depuis les années 20 puisqu’une petite gravure représente le défilé du 14 juillet 1927 à la Crétinière. Le Commandant qui avait belle allure venait régulièrement au village en grand uniforme et était respecté de tous. A la libération il fut suspecté d’intelligence avec l’ennemi, insulté, et dégradé par de jeunes tête brûlées qui s’autoproclamèrent résistants de la dernière heure et donc justiciers. Quand les civils font leur propre justice, on sait quels abus et de quelles injustices ils peuvent se rendre complices et coupables. Le Commandant disparut pour toujours laissant là son imposante bibliothèque civile et militaire, sa cuirasse de Hussard, ses cartes d’Etat major de la grande guerre, ses souvenirs et peut-être son honneur.

La place étant libre, c’est alors que Maxime Nemo vint dès lors y passer ses étés pour y écrire et s’y reposer. C’est aussi La Crétinière qui devint l’annexe de la Société Jean Jean Jacques Rousseau créée en 1947 à Montmorency et qui reçut pendant plus de 30 années les rousseauistes, les acteurs, les musiciens, et tous les collègues professeurs de Mlle Bretonnière. C’est là qu’en 1972, le jeune journaliste de Presse Océan Claude Sérillon vint surprendre Nemo dans sa retraite et  signa l’article qui suit et l’intitulait :

 

Rousseau, la vie…. :  

 

" Ce qui me fait peur c'est le marasme de l'indifférence, le mécanisme du bien être de chaque weekend, de chaque saison toujours recommencée où il n'y a plus rien d'essentiellement humain… la pureté, la poésie, l'art, l'élan sont nécessaires. L'angoisse prend de la force devant toute la haine, toute la décomposition du beau. Du Beau. Il faut l’enthousiasme, quelque once de naïveté à la recherche de l'homme: parler des silencieux, des simples ce n'est pas facile, le brillant éclate trop pour être satisfaisant. Le monde est bien fou dans sa découverte de lui même. L'oubli se fait sur l'amour, sur la beauté. La laideur s'étale… Au bord de l'eau limpide, c'est l'absolu, l'extrême puissance de l'adoration de ma totalité. C'est le retour. La reconnaissance de l'homme a ses origines, seul avec la magie de la nature".

Et le silence arrête sa main. Dépliée par dessus l'autre. La fenêtre ouverte bourdonne. Les arbres gigantesques couvrent la maison. " Le château " disent les voisins de la Crétinière à Saint Julien de Concelles, et ajoutent des souvenirs sur le " père de la dame ". On ne sait pas très bien le nom de l'homme. Maxime NEMO goûte trop la discrétion, la quiétude de la réflexion pour prendre le temps de se faire connaître.

" J'ai peur aussi que le mécanisme de la machine envahisse celui de l'âme."

Ses cheveux éclatent en feuilles immaculées autour de ses yeux. Bleus.Terriblement vivants.

" Je suis six mois par an à la Crétinière depuis 1966, là je continue ce vieux désir d'exprimer cette puissance de la poésie que je portais en moi dès ma plus tendre enfance. Je suis né à Chenonceaux, il y a plus de soixante dix ans. Quelques mois à regarder la férocité guerrière. Un séjour intermittent dans le Périgord et puis je parcours la France, une centaine de villes pendant quarante ans. Une conférence suivie d'une lecture dramatique (sur la tragédie… la destinée humaine; 300 représentations sur la Tétralogie de Wagner) et puis des livres. Et voici…

Il sourit. Offrant délicatement un muscadet. Pur. Pas trafiqué !

" La Vie est en train de se détruire. A grande vitesse. Le drame se joue en dehors des systèmes politiques. La terre souffre et meurt: il faudra des centaines d'années pour que tout recommence. Les communautés de jeunes, de hippies, américaines ou françaises ont repris le chemin du labourage. C'est un esprit extraordinaire. Formidable. Mais il sera condamné si les jeunes ne se s'abandonnent dans l'indifférence générale."

Jean Jacques ROUSSEAU dessine des rêves entre nous et les mots prononcés rejoignent les franges de " l'Emile ", du " Discours sur l'origine des inégalités ".

Maxime NEMO très officiellement secrétaire général de " l'Association Jean Jacques Rousseau" écoute un instant les oiseaux bavarder. La société secrète des "rousseauistes". Il sait pourquoi.

" Les ordinateurs sont extrêmement utiles. Les automobiles également. Mais il faut fixer des limites, des barrières protégeant la quête, la réflexion".

De converser alors sur la création: ses poèmes jamais publiés. Ses manques: la musique, le théâtre.

" J'aurais beaucoup aimé faire de la musique. Autodidacte, j'écris pour aller vers autrui, pour donner un sens à la vie d'autrui. Après tout, Dieu, pour quoi faire ?"

Maxime NEMO avoue doucement, derrière ses doigts croisés, un démiurge: Prométhée.

Ni athée, ni marxiste, ni chrétien, il exècre ardemment l'idolâtrie. Il n'est pas satisfait loin de là, de la création, a horreur de la putréfaction des corps. Je suis trop orienté vers la Beauté.

Il veut se battre encore pour elle. Pour l'écologie, contre les pollutions. Ses phrases ressemblent aux communards à cheveux longs. Aux pacifistes aussi:

" Mon premier livre concernait le mouvement républicain et pacifiste allemand. Je crois à cette idée profonde de paix. Cela peut devenir réel. Il manque sans doute une incarnation, Jaurès et Briand sont morts. Le pacifisme va naître du pouvoir économique : il sera de fait avec les concentrations des économies, et on aura un compromis entre les possédants et les autres. A partir des idéaux. L'élan de générosité qu'il faut provoquer je le tente à la rentrée avec les gens de l'UNESCO. L'écologie ayant enfin place reconnue."

Dans une autre salle au plafond barré de poutres brunes, la pendule sonne. On a parlé de la paix, de la nature, de la pudeur, du beau, des gens gais et bouffons, de la Vie. De la Mort. Maxime NEMO n'a pas peur. Il espère simplement que la postérité justifiera son passage et raconte en guise d'au revoir, sa vie de tous les jours à " la Crétinière " avec sa femme Yvonne et le jardinier curieusement nommé " Schopenhauer ".

Il évoque bientôt Reverdy. D'autres noms peut-être encore…Le vieil homme et la vie retournent déjà à leur face à face. Dans le silence de la nature animale.

Claude SERILLON  " Presse Océan " N°10 255 du Vendredi 30 Juin 1972

 

 

 

    

 

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:19

Chapitre VIII

Bibliothèque itinérante

 

Le problème dans la documentation de Maxime Nemo est que les archives sont lacunaires, quelques traces de l’Etat civil à Francueil, Rodez, Dijon, Aix puis Paris, mais aucune trace des lectures enfantines sans doute laissées à La Roche sur Yon lors du décès du père Albert Baugey en 1909. Rien non plus sur ce qui constitue sa légende de 1898 à 1909 sinon quelques programmes épars et des photos jaunies. Des chroniques dans les gazettes d’Arcachon ou de Nice mais cela ne permet pas d’évoquer la vie artistique de l’enfant et de reconstituer son éducation d’autodidacte d’autant que le contact avec les livres a dû être déterminant. La mère Albertine Renou qui suit le jeune homme à Dijon pour son mariage avec Antoinette Pègues institutrice venue de Rodez ne laisse aucune trace écrite sinon quelques photographies. Les nombreux déplacements du couple de Dijon à Annecy puis sur la Côte d’Azur de 1909 à 1914   ne nous  ont pas permis de retrouver des livres ni même des écrits de cette période. Il faudra attendre 1913 pour surprendre une programmation théâtrale au Théâtre du Château d’Eau avec Jouvey mais toujours pas de fascicules ou programmes ni dans le fonds Théâtre pourtant impressionnant.

Si quelques livres dédicacés datent du début du siècle, ils semblent avoir suivi comme par miracle M.Nemo dans ses déplacements tout comme les photos de Valéry et une carte postale du Cimetière Marin dédicacée. On relève aussi des envois de livres dédicacés à Henri Barbusse, à Ernest Pérochon,

La liste que Nemo réclame à son épouse après leur séparation date de 1938 et permet de reconstituer une partie du fonds resté à Meyreuil au Château Simone ou au Montaiguet et ensuite à Aix, rue Cardinale. Que représentent ce que lui-même qualifie de « papiers divers » ?  Y a –t-il dans ces « divers » des autographes de Sarah Bernhardt de Verhaeren, de Henri de Régnier ou de la main de la Reine Victoria ou une photo promise à la Princesse de Battemberg en 1898. Il est probable que nous ne le saurons jamais et la demande adressée aux archives royales n’a pas abouti à ce jour. 

Alors revenons au fonds familial transporté de Paris sur Nantes et contentons nous de son classement actuel et de ses envois autographes même si nous manquent cruellement les périodes de la Première guerre mondiale et les lettres adressées par la recrue Baugey à sa mère et à son épouse de même que nous manquent tous les courriers et poèmes adressés pendant la deuxième guerre, car Maxime Nemo était, comme ses destinataires, devenu  insaisissable on l’a vu de 1939 à 1945. Les postes restantes permettent de reconstituer des périodes de cache ou de retraite provisoire d’où il écrit beaucoup, comme en témoigne le deuxième volume de son « Journal » de 1939 à 1941 ou le recueil de poèmes inédits de 1935 à 1968

     Certains ouvrages et certaines correspondances sont-elles restées au Mareynou en 1921 chez les Testud, à Meyreuil dans la famille Rougier,à Montmorency rue Jean Jacques Rousseau où est née la Société des Amis de Jean Jacques, que sont devenus les exemplaires de la « Noosphère » donnés par Teilhard lui-même pour divulguer sa pensée avant son départ pour les Etats-Unis ?   Autant de questions sans réponses à moins que ne surgisse de nulle part une valise de documents ou une caisse de livres au hasard d’une expertise entre Aix et Marseille.

Et que dire des nombreux mois passés à Alger puis à Tunis entre 1923 et 1924 pour des conférences mais aussi aux côtés de Jean Pommier lequel se souvient des  grandes périodes d’intense activité littéraire dans son « Chroniques d’Alger » 1910-1957 qu’il dédie « à Maxime Nemo. A vous cher ami d’antan… d’un temps où en Alger, « Dieu n’était pas sous le Tunnel » mais, à l’air libre ! hélas, depuis…. ! » (allusion au récent roman de Nemo « Un Dieu sous le Tunnel » paru chez Rieder en 1927)

Au hasard des lectures, une dédicace ne cesse de vous hanter comme celles-ci  dans cet exemplaire du « Capitaine Conan » Prix Goncourt 1934 de Roger Vercel  dédicacé le 26 janvier 1935 avec ces mots « Pour Maxime Nemo dont j’ai vivement admiré le talent et la magnifique ferveur, cette histoire d’un homme vivant, en gage de très amicale sympathie »

Il est certain que les nombreuses tribulations ferroviaires qui ne cesseront qu’à l’entrée dans le domicile parisien de l’avenue Ledru Rollin dans les années 50, laissent présager bien des lacunes. Souvenons nous qu’André Suarès qui lui aussi n’a jamais  séparé l’art et la vie dont l’activité littéraire constituait l’essentiel de son existence  dut quitter Paris avec l’invasion allemande pour se réfugier à Antibes puis dans la Creuse à Bonnat laissant dans son appartement de la rue de la Cerisaie à Paris tous ses livres, manuscrits, carnets et papiers ?

Maxime Nemo avait bien sûr lu, dès 1925 les Essais de Suarès « Sur la Vie » parus chez Emile Paul dans un exemplaire numéroté 23/80 et le regretté critique palois Yves Alain Favre avait fait parvenir en 1980 à Yvonne Nemo un exemplaire également  numéroté 23/30 de la belle édition de Suarès « Ce monde doux et amer » publié par l’éditeur nantais « Le temps singulier ».   On peut imaginer la détresse de ce clandestin et relier celle-ci aux errances caches de Nemo, obligé de passer de caches en caches grâce à son réseau des amis de l’Ilôt,  ajouté à cela qu’avec l’Occupation il doit gérer sa séparation d’avec Antoinette restée à Aix et engager des procédures de divorce qu’elle rejettera jusqu’à sa mort en 1967. Combien de bibliothèques privées dispersées, piétinées, brûlées, disparues au gré d’une Occupation dévastatrice et destructrice ?  

Il faut savoir gré aux Archives de la BNF d’entretenir et d’indexer tous ces legs et fonds reçus des familles des écrivains et auteurs qui nous permettent de nous replonger dans les correspondances de Jean Guéhenno, de Louise Lara, de Jean Richard Bloch ou de Marcel Martinet. Ce travail inestimable effectué par des archivistes de talent permet de reconstituer un passé qui sans eux rendrait la tâche du chercheur presque surhumaine quand les mémoires et les témoins se sont tus. A ce propos je dois rendre ici un hommage particulier au professeur Horst Schumacher que j’ai bien connu dans les années 60.Il venait passer l’été avec des amis et arrivait juste d’Allemagne conquis par la littérature française et par la langue qu’elle véhiculait. Il rencontra Maxime Nemo dans les années 50 et repartit étudier le français dans son pays. A son retour à Paris il entreprit des traductions pour les Musées nationaux , et enseignait  la langue allemande à l’Ecole Centrale de Paris ;  il adressa de nombreuses lettres fidèlement à celui  avec lequel il pouvait échanger sur les Romantiques allemands, la musique, la civilisation européenne. Je m’en entretenais avec lui par téléphone évoquant ces périodes de vrai bonheur intellectuel et me promettais de le rencontrer pour qu’il me rédige sinon une préface à cette biographie du moins une page sur la germanophilie de Nemo. De passage rue de l’Odéon en mars 2011, surpris de ne pas avoir de réponse à mes appels et messages répétés, j’interrogeai le libraire voisin qui m’apprit que le professeur  était décédé subitement dans son appartement au 4è étage du 17 rue de l’Odéon. Retraité depuis 1995 de l’Université de Lyon III où il enseignait la littérature allemande, je ne le reverrai plus comme tant de proches de mon parrain que j’évoque ici.

Qu’il me soit permis de publier la lettre qu’il adressa à Yvonne Nemo aux lendemain de la mort de Maxime NEMO :

   17 rue de l'Odéon  75006 PARIS

ce dimanche, 19 octobre 1975

Chère Yvonne,

De retour à Paris pour la nouvelle année scolaire, je trouve dans mon courrier votre message avec la douloureuse nouvelle de la disparition de Maxime.

Jamais malade, toujours entreprenant et optimiste, je n'ai pas voulu croire d'abord, quand Emile Cioran en parlait que Maxime a du souffrir pendant de longs mois d'alitement. C'était en fin juillet, je pense que je pouvais vous téléphoner à la Crétinière, mais il était déjà impossible d'entendre la voix de Maxime toujours pleine d'enthousiasme et de chaleur. J’espérais pourtant qu'à la rentrée nous aurions l'occasion de nous revoir tous. Cette rencontre est devenue impossible à jamais.

Nous savons tous que toute consolation est vaine après le décès d'une personnalité incomparable. Maxime était pour moi non seulement un grand ami, mais aussi et surtout un interprète de la pensée française du siècle de Jean Jacques Rousseau. Un ami qui m'a fait aimer (et pénétrer) dans la langue française qu'il avait fait aimer à tant d'étrangers lors de ses multiples conférences à travers l'Allemagne et d'autres pays.

Admirateur de Wagner et de Hölderlin, interprète de la civilisation germanique aux francophones, de la civilisation française aux Allemands, Maxime restera dans la mémoire de tous ceux qui ont pu l'entendre (et le lire)

Il y a à peu près quinze ans que nous avions pu faire connaissance lors des réunions des écrivains - membres de la "Kogge" (à Minden, Blaukenberghe, Mondort les Bains que nous avions visités ensemble. Maxime avait toujours trouvé un accueil enthousiaste.

On m'avait souvent demandé de ses nouvelles en Allemagne et on espérait toujours qu'il puisse revenir un jour, refaire ses grands voyages à travers le monde qu'il a tant aimé...

Je vous serre fraternellement les mains. A bientôt...

Horst

Il reste à louer les bases de données informatiques et les numérisations des revues et journaux de l’époque qui permettent de traquer l’inconnu du grand public jusque dans les plus secrets de ses déplacements. Mais qu’en sera-t-il avec l’outil informatique justement quand dans plusieurs décennies, on voudra interroger les échanges épistolaires des hommes du XXIè siècle ? J’en frémis d’avance…. Adieu les virtuels disques durs et l’éphémère galaxie de Facebook.        

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:18

Chapitre VII

Nemo et la Musique

 

Voilà certainement le chapitre le plus difficile à écrire car lorsque j’ai connu mon parrain Maxime Nemo de 1950 à 1975, le tourne disque apparaît tardivement dans l’appartement parisien et à peine dans la  maison familiale des bords de Loire.Je me souviens cependant avoir conservé le souvenir des écoutes dans le salon des Symphonies de Beethoven par Furtwängler ou Bruno Walter, de Quatuors du même Beethoven, de la tétralogie de Wagner et parfois de Pélléas et Mélisande Debussy ou du Requiem de Mozart. C’est plus tard que j’introduirai ma discothèque personnelle avec Bach par Wanda Landowska et Chopin par Alfred Cortot avant que n’entre le piano à queue Blüthner de Leipzig de 1910  acheté chez Harrod’s à Londres et parvenu par de mystérieux marchandages dans une famille nantaise.

Les discussions qui suivaient ces écoutes attentives, en général les yeux fermés ou  parfois avec le livret original se déroulaient lors du dîner entre amis. Parmi ceux-ci une place à part doit être faite à Gilbert Houel violon solo de l’Orchestre national futur orchestre de l’ORTF puis Orchestre de Radio France qui apportait avec la famille Stoll la part d’humour et de sensibilité à ces causeries musicales.  C’était l’époque la Tribune des Critiques de disques avec le musicologue d’origine roumaine Antoine Goléa de son vrai nom Siegfried Goldman) né en 1906 à Vienne (Autriche) et mort le 12 octobre 1980 à Paris, Il fut l'un des membres fondateurs de l'Académie Charles-Cros et je me souviens toujours que résonnaient ses éclats de voix avec ceux de son compatriote EM Cioran. Plus tard ce furent les échos de Jean Louis Bory dans le « Masque et la plume » qui égayaient nos soirées.   

Mais revenons en arrière et passons sur les vaudevilles et fantaisies de salle de garde que l’avant guerre a dû offrir aux oreilles du jeune prodige. Bien sûr il aura entendu ici ou là les chansons de Théodore Botrel dont Charles Le Goffic pourtant partial envers ses compatriotes, disait, que son œuvre sonnait creux à maints endroits, que sa langue était pauvre, qu'il avait une certaine prétention à l'élégance littéraire. - Il ajoute cependant qu'il était la chanson faite homme, que sa chanson était mâle, patriote, fortifiante, nostalgique.

On passera aussi sur les refrains cocardiers « L’air est pur, la route est large, le clairon sonne la charge . . .  » qui ouvre  « Le Clairon » la chanson la plus célèbre de Paul Déroulède. Extraite du recueil  « Les chants du soldat » paru en 1872 (mise en musique par Emile André) et qui connut un immense succès populaire. A quelle occasion le jeune Nemo fut présenté à Paul Déroulède, l’histoire ne le dit pas et aucune archive ne semble nous mettre sur la piste sinon la biographie laissée par le père de l’enfant qui assure la promotion de son fils et aussi sa légende dorée ? Les recueils de Botrel et de Déroulède figurent toujours en bonne place dans la bibliothèque musicale de la famille à laquelle s’est ajoutée celle du Commandant Habillon locataire du logis Chamborant de 1920 à 1945 et lui aussi féru de musique germanique .

C’est beaucoup plus tard qu’au contact d’Henri Barbusse dans la Revue « Monde » où ce dernier tenait la rubrique musicale, puis Henry Poulaille qui lui tiendra celle d’ « A Contre courant » et enfin et surtout avec Jean Richard Bloch dans « l’œil de Paris » et dans « Marianne » de 1930 à 1934  que Maxime Nemo participera aux discussions sur la musique de son temps avant de s’éprendre de celle de Jean Jacques Rousseau et de l’Orchestre de Paris dirigé par Roger Cotte. C’est Maxime Nemo qui inscrira « le Devin du Village » dans les manifestations du 250è anniversaire à Ermenonville, Paris, Florence et Rome en 1962.

Jean Richard Bloch qui dédicacera son destin du siècle (Ed Rieder) en 1931 à Nemo évoque l’orgue de la cathédrale de Chartres pour célébrer un lieu exceptionnel, beau et grandiose à la mesure d’une communion mystique et à la fois laïque. Rappelons que celui-ci dans son opéra populaire « Naissance d’une cité » mit en œuvre une véritable partition musicale. dans la lignée d’un Désormières , Wiener, Honneger ou Milhaud. « Quarante morceaux originaux furent ainsi exécutés par une trentaine de musiciens, des fanfares, des pastorales, mais aussi des intermèdes d’accordéon, des fragments d’hymnes nationaux, des coups de sifflets. Un ensemble musical éclectique, qui juxtaposait orchestre et chœurs, musique moderne, variétés ».(Etudes JR Bloch Regards sur le Théâtre fév.2007)

Je renvoie à cette critique parue dans Marianne le 2 novembre 1932 et titrée : « A Fernand Divoire »  sous la plume de JR Bloch pour rappeler les liens fraternels qui unissaient ces trois hommes et la silhouette encore présente de Louise Lara comme en filigrane dans son studio de la rue Lepic.

Marianne, 2 Novembre 1932

Un disque étonnant. Un disque de collection et d’étude. Il constituera une révélation pour beaucoup d’auditeurs. -

Je connaissais, depuis 1911 ou 1912, la « La Naissance du Poème », de ce charmant et profond esprit qu’est Fernand Divoire. Mme Autant Lara nous l’avait fait entendre, dans son studio « d’Art et d’Action » Sur les flancs de la Butte. Le souvenir ne m’en avait jamais quitté. Je souhaitais assister à une nouvelle présentation. « Gramophone » nous en fournit l’occasion dans un enregistrement excellent. Conseillons-en l’emplette à tous les amoureux de la poésie et du rêve. Thème : Un poète, taquiné par le démon de l’invention, cherche le sujet sur lequel va s’exercer son art. Des mots en liberté rôdent autour de lui. Il leur propose un point de cristallisation. Autrement dit, un sujet. Ce sujet sera La Forêt. Aussitôt, les voix intérieures s’éveillent, les unes persiflent, les autres approuvent. L’une est pointue et gavroche, une autre grave et lyrique, une autre moyenne et bourgeoise. Débat confus et obsédant. Une des « Muses » y met fin en énonçant un vers qui servira de début et d’accrochage au poème. Les autres voix s’y rallient. Le poète est encore froid. Il est au point zéro. Il accueille ces suggestions avec une moue sceptique. Mais les inventions se pressent. Chaque « Muse » apporte ses trouvailles, critiquées par les autres. Ainsi, tour à tour. A ce jeu, le poète s’échauffe.

Si Gilbert Houel a laissé de nombreux fascicules et manuscrits inédits de ses poèmes ainsi que ses clichés en noir et blanc  comme d’autres laissent des aquarelles ou des gouaches en souvenir de leur passage à « la Crétinière », je dispose de peu de lettres sur la musique elle-même sinon une anecdote de la fin des  années 60 quand le musicien furieux, de retour d’un festival de musique contemporaine à Royan  fondé en 1964 par Claude Samuel , n’avait pas apprécié d’avoir été le jouet d’un compositeur fantasque promis à un bel avenir au sein de l’IRCAM qui avait jugé bon d’enfermer les musiciens du National pour sa création mondiale dans des cages pour jouer de façon aléatoire sa partition qui n’en n’ était pas une. Il avait fallu calmer notre violon solo pris d’une violente montée d‘adrénaline et d’évoquer le scandale lors de la création du Sacre en 1913 et nous en fûmes quitte pour une belle partie de rire sur la liberté d’expression face à la tyrannie des courants sérialistes post-weberniens… Le Festival de Royan, avant de se déplacer vers la Rochelle, en connaîtra d’autres en 1977 avec Gorecki.  

Il semble difficile d’évoquer Jean Richard Bloch sans parler à présent de Georges Duhamel, « par ses amitiés littéraires et artistiques - Jean-Jacques Corriol, Charles Schuller qui le convertira au culte de Richard Wagner, et Albert Doyen - s'adonnera, sur le tard et avec passion, à la musique en autodidacte éclairé. Il apprend le solfège et la flûte tardivement, et dirigera, pour son plaisir et entre amis, des concerts hebdomadaires à son domicile. À partir de 1939, il écrira des critiques musicales, notamment dans Le Figaro. Lui-même non initié dans sa jeunesse à la musique, il fera bénéficier son fils, dès le plus jeune âge, d'une solide formation musicale conditionnant certainement la future carrière de compositeur d'Antoine Duhamel ».(Source Wikipedia). Si Nemo n’a pas eu non plus de formation musicale, il va sans dire qu’il plaçait ses espoirs dans ma formation au Conservatoire et ensuite dans la direction chorale mais il est parti trop tôt pour la voir se développer à son contact.

C’est en revisitant le bibliothèque familiale que je découvre récemment « une vie ardente de Wagner » par Louis Barthou de 1925, un « Wagner » par Henri Lichtenberger publié chez Alcan en 1925, Une étude annotée par Maurice Emmanuel du Pelleas et Mélisande de Claude Debussy chez Mellottée de 1929, deux  précieux ouvrages : «  Chopin ou le Poète » par Guy de Pourtalès paru à la NRF en 1932  et « Chopin » par Elie Poirée dans la collection des musiciens célèbres chez Henry Laurens éditeur de  1931 enfin quelques curiosités sans doute laissées par le Commandant suite à son séjour, comme les Béatitudes de César Franck aux Editions Joubert et des  livrets du Tristan et Yseult de Wagner dans la version française de Victor Wilder chez Breitkopf & HärteL ou un Lohengrin en 3 actes dans des paroles françaises de Charles Nuitter aux Editions Tresse et Stock au palais Royal en 1893 et enfin La Damnation de Faust de Berlioz parue en 1903 dans la Bibliothèque des concerts chez Costallat et Ci°.

Résolument ancré musicalement dans le XIXème siècle, les sources d’inspiration esthétiques  de Maxime Nemo semblent plus rétives à la musique moderne même si les six quatuors de Bartok,  Honegger, Prokofiev ou Satie avaient droit de cité dans la maison au même titre que les danseurs les plus contemporains de Noureev à Béjart .


Pavane

A l’Infante défunte

« en souvenir de Maurice Ravel »

Spectre dormant au soir d’un tableau qui s’ignore

Image morfondue de toute grâce innée,

Enfant, dont le regard accablé de vestige

Descend du cadre d’or où seule, inanimée

Tu restes sans espoir dans sa dorure fanée

Qui, d’une lueur unique avive le portrait

Si, dans la nuit entière, son pur éclat ne sombre.

 

Pavane, épanouissez la langueur d’un tel songe !

Et si je dis : » madame » à ces deux pas de danse

Et que l’Enfant, drapée de velours héraldique

Qui la rend insensible au sensuel où je plonge

Passe…repasse en vain, plus pâle qu’Ophélie

Sans mirage d’amour, ou plutôt de folie !

Qui la nimberait d’eau et de fleurs inactuelles.

 

Ma main frôle sa main dont la splendeur incite

A redouter l’éclat de tels attouchements

Comme si tant de Mort ajournée un instant

Assurait leur stupeur aux timbres assourdis…

Enfant ! Ô triste, et qu’on dirait morose si

La Mort jointe à l’Amour te concernait toujours

Hors la cadre fatal où tu poses, infinie.

 

Enfant, l’espoir n’est plus qui se languit d’absence

Irraisonnée, d’un bal éternel et futur.

Il faut être et mourir à l’instant, pour être

Une existence au faste inanimé qui dort

En cette glaciation dont l’Histoire te recouvre…

Donc, passe où ma main passe au chaste enchantement

Du jeu qui, pour finir, te destine à mourir.

 

Et  pour qu’un cadre ouvert, instant démesuré !

Je reconduis ta taille inflexible, qui va,

Sans plus trébucher au firmament des sons

Redonner à ta vie ce sourire défunt

Dont nul Velasquez n’éclaircira la « suite »…

O toi, qui vis et meurs aux confins de l’énigme,

Si près du cœur où gronde un éternel sanglot…

Maxime NEMO


 

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:17

Chapitre VI

Nemo et la Poésie

 

Ernest : mais quels sont les deux Arts les plus élevés, les arts suprêmes ?

  Gilbert : la Vie et la Littérature .La Vie et l’expression parfaite de la Vie.

 

Oscar Wilde (Intentions – La Critique artiste)

 

Nul doute en ouvrant la bibliothèque de Maxime Nemo que  la part de la poésie y occupe une place privilégiée avec des recueils de la fin du XIXè siècle, des anthologies française set étrangères, la plupart dédicacées mais ce sont surtout ses archives personnelles qui montrent qu’il se livrait quotidiennement à l’écriture et taquinait la muse au point d’accumuler des centaines d’inédits depuis ses premiers amusements de jeunesse jusqu’à ses derniers poèmes à la veille de sa mort.

On peut aussi s’intéresser au répertoire que « l’enfant prodige » prodiguait à un public choisi dans les Casinos, Hôtels, salles de spectacles ou encore Séminaires et Collèges et ce dès sa plus tendre enfance puisque la légende dit que le jeune Nemo était capable dès l’âge de 8 ans d’assimiler plus de 15 000 vers et faisait l’admiration de son père Albert Georges Baugey qui abandonna sa carrière d’acteur dramatique des théâtres parisiens (dont on ne retrouve d’ailleurs aucune trace).

C’est sans doute ce père artiste à ses heures qui fera l’éducation de l’enfant et cela passera par le répertoire favori de l’époque. Il est intéressant en effet de rappeler le programme qu’il donne en avril 1899 devant la Cour de la Reine Victoria  au Grand Hôtel de Cimiez. On relève bien sûr entre des intermèdes et monologues de Bouchard  et des scènes d’Edmond Rostand, Georges Feydeau, Corneille, Jean Racine, Victor Hugo, la fine fleur de la poésie de François Coppée, Germain Delavigne (1790-1868)  Paul Déroulède  (poète, auteur dramatique, romancier et militant nationaliste français, né à Paris le 2 septembre 1846 et mort près de Nice le 30 janvier 1914 à 67 ans. Son nationalisme intransigeant et son revanchisme en font un acteur important de la droite nationaliste française.), Théodore Botrel (1868-1925) , la Fontaine, Alphonse Daudet, Jules Lemaître (1853-1914) , Gaston Villemer (auteur en 1886 d’une chanson patriotique « Alsace Lorraine » et sociale                  «  Germinal » , le poète, romancier et auteur dramatique André Thieuriet né à Marly-le-Roi le 8 octobre 1833 et mort à Bourg-la-Reine le 23 avril 1907, Jules Théodore Louis Jouy connu comme Jules Jouy est  goguettier, poète et chansonnier montmartrois né à Paris le 27 avril 1855 et mort le 17 mars 1897, Rose Harel, la Servante-Poète Normande 1826-1885,  et bizarrement   Paul Cloquemin  1888-1928 auteur de monologues en vers libres dits par Coquelin cadet de la Comédie Française.

De 1896 à 1909 au décès de son père Nemo alternera dans ses « shows » des interprétations de monologues, scénettes, vaudevilles, et poèmes mais on le voit, il ne semble pas que ce soit les choix de son père qui aient orienté et influencé par la suite l’animateur de l’Ilôt.

Même s’il prolongera cette activité comme professeur de diction à Rodez puis à Dijon, on verra que dix ans plus tard en 1920 après la guerre lorsqu’il crée « l’Ilôt » les choix, les influences, les lectures, les rencontres, la fréquentation des poètes sans doute vont l’amener vers un tout autre répertoire où dominent  Vigny, Verlaine, Baudelaire ,Mallarmé, Richepin, Henri de Régnier qu’il a rencontré, Valéry dont il conserve religieusement une photographie originale et une dédicace du cimetière marin, Verhaeren à qui il ne cessera de vouer une adoration sans limite, Samain à qui il consacrera de nombreuses conférences-lectures, Rimbaud, mais aussi,  Léautaud, Morand,   et surtout les proches de l’Unanimisme et de l’Abbaye :Jules Romains qu’il préférera comme poète plutôt que comme prosateur selon son article polémique « Mort de quelqu’un »  paru dans « Monde », Chennevière qu’il relira sous la plume d‘André Cuisenier, Vildrac qui présidera l’Association JJ Rousseau après la mort d’Edouard Herriot, Pierre  Menanteau , et bien sûr Jean Richard Bloch qui l’invitera à maintes reprises à la Mérigote  et beaucoup d’autres….

Le récital de poésie de 1922 que proposent Madame et Monsieur Nemo sous l’égide du Groupe d’Action Artistique : « l’Ilôt » autour de quelques styles poétiques propose un promenade commentée qui va de la Ballade des Frères humains de François Villon et s’achève sur Montbainville de Charles Vildrac. Y figurent notamment Charles d’Orléans, Ronsard, Victor Hugo, Lamartine, Vigny, Leconte de Lisle et Baudelaire et Verlaine mais où apparaissent Stuart Merrill de son vrai nom Stuart Fitzrandolph Merrill  né à Hempstead Long Island aux USA le 1er août 1863 et mort à Versailles le 1er décembre 1915. Stuart Merrill est un poète symboliste américain de langue française. Il s'établit à Paris dès 1890 et apporte de nouvelles formes à la poésie. Il fit aussi des traductions avec les textes de Baudelaire,  Huysmans ou Aloysius Bertrand, Francis Jammes, le poète belge  Georges  Rodenbach (1855 – 1898) ami de Verhaeren. On pourra objecter que les seuls poètes vivants de ce récital sont Francis Jammes qui meurt en 1938 et  Charles Vildrac le contemporain et ami du couple Nemo !

 Il faudrait aussi relire tous les feuillets manuscrits assemblés qui traduisent les états d’âme d’une époque ou les vicissitudes du temps qui passe.

Michel Décaudin dans son ouvrage sur la Crise des valeurs  symbolistes  remarque fort justement  que : « depuis le romantisme on est « artiste » par opposition à l'utilitarisme         « bourgeois »; mais c'est dans la seconde moitié du siècle surtout que l'art devient une morale, une religion, une-métaphysique. Le dandysme des uns, la joyeuse bohème des autres, ici la blague, là les exigences spirituelles les plus hautes relèvent des mêmes aspirations : refus du monde positiviste, des sollicitations politiques ou sociales, des réalités matérielles, des conventions et des contraintes de la vie policée. On dénie toute, valeur artistique au naturalisme parce qu'il ne prétend qu'à l'exactitude documentaire. On affirme que l'art est nécessairement idéaliste.

« Seule vit notre âme » écrivait Edouard Dujardin, et Villiers de l'Isle-Adam, que Nemo a lu a retenu sa leçon : « Sache une fois pour toujours qu'il n'est d'autre univers pour toi que la conception qui s'en réfléchit au fond de tes pensées, car tu ne peux le voir pleinement, ni le connaître, en distinguer même un seul point tel que ce mystérieux point doit être réel en sa réalité.. »  On verra en fin de chapitre dans le texte inédit que Nemo écrira qu’il partage cette  perception du poème.

On ignore dans les archives le rôle qu’a joué  le soldat Baugey pendant la première guerre mondiale et qui, il a rencontré à cette occasion, ce qu’il a lu. Si la jeunesse de JR Bloch né en 1884 a été « nourrie de récits de guerre et de chemins de fer », il faudrait ajouter pour Nemo de 4 ans son cadet, des « rencontres de théâtre et de poètes »  Il y a chez Nemo, l’autodidacte  des similitudes évidentes  avec les débuts de Marcel Martinet, « poète en marge au cheminement solitaire » fait remarquer Michel Décaudin (1)  lors du Colloque de Dijon en 1981.Comme Martinet, il semble bien que Nemo après la parenthèse « prodigieuse » dont il semble qu’il ait souffert, se trouvera à la mort de son père en 1909 comme Martinet « plein de rêves d’écrire et de faire reconnaître, fréquentant les cercles de poètes et les groupes de jeunes intellectuels qui débattent de la mission de l’art  dans la société, des problèmes de l’art social, des rapports entre le peuple et la culture. »(N.Racine) On n’a pas de traces de la première rencontre avec JR Bloch ni de la participation de Maxime Baugey à la revue de combat littéraire L’Effort (1910) devenue « l’Effort Libre» en 1912 puisque la biographie rappelons le reste lacunaire de 1909 à 1920 avec seulement une apparition au théâtre en 1913 avec Louis Jouvey au Théâtre du Château d’eau. Il est assez symptomatique de relire la biographie de JR Bloch dans Europe n°446 et de relever que de 1902 à 1903  Bloch assiste à la première de  Pélléas et Mélisande de Debussy et à celle du  Crépuscule des Dieux au Théâtre du Château d’Eau. Deux œuvres qui serviront de trame aux conférences-auditions  de « l’Ilôt » dans les années 20. Leur amitié sera scellée assurément en 1922 quand Bloch dirigera aux Editions Rieder une collection de romans : « Prosateurs contemporains » où Nemo publiera ses deux romans.  

 Si Martinet se livre dès sa vingtième année en 1917 à une  « écriture contre le courant », pour reprendre le titre d’un article paru dans Europe en 1926 où il s’en prenait aux intellectuels révolutionnaires du groupe surréaliste et de Clarté, on pourra s’étonner qu’aucune revue de poésie les « Cahiers de Rochefort » de Jean Bouhier sans oublier les « Cahiers libres » de Léon Emery ou « les Pharaons » de Simone Chevallier- et Dieu sait s’il les a lues, annotées et commentées- ne lui a consacré  une anthologie même rétrospective ou posthume.

 Comment aux sortir des « scribouillages » des années 1900 va-t-il prendre conscience de son propre souffle ? Il faut dire qu’après avoir reçu enfant les hommages de personnalités aussi prestigieuses que Sarah Bernhardt, Jean Clarétie, Pierre Loti, Henri de Régnier  et s’être bercé des vers des plus grands Baudelaire, Rimbaud, Verlaine Verhaeren, Maeterlinck ,Samain, Rilke, …on pourrait lui attribuer les mots de Marcel Martinet qui écrivait en 1907 à son ami Lacoste : « Et puis, j’en ai assez, sous prétexte de préparer et d’assumer ma vie, de la gâcher et de la compromettre à jamais (il parle là de son entrée à l’Ecole Normale Supérieure) je n’ai de goût, joie, bonheur qu’à une chose, faire de la belle poésie, faire des vers, modeler des êtres, aimer, rêver, flanquer de la vie, du soleil, toute la vie de la nature, et rêver et mettre des rêves pleins des alexandrins, et des lignes de prose amen ! »

(1)    On relira avec le plus grand intérêt « La crise des valeurs symbolistes: vingt ans de poésie française, 1895-1914 » du regretté Michel  Décaudin (Slatkine  Genève  - 1960 - 1981) et bien évidemment les chapitres concernant Jules Romains et l’Unanimisme, l’Abbaye, Charles Vildrac…

Nemo, lui, n’aura pas à renoncer à une carrière universitaire puisque ayant quitté l’école de Francueil à l’âge de huit ans en 1896 sur décision de son père. Ce que je sais, est qu’il recevait régulièrement les envois de jeunes poètes comme Francis Eon ou Henry Vendel, et même d’une certain Dr Destouches et curieusement d’un poème intitulé « Voyage au bout de la nuit » (rassurons nous, il s’agit d’un homéopathe de Troyes qui mourra le jour de son arrivée à Haïti lors d’une fête de bienvenue parmi les siens.)  puis de ses amis proches Denise Laborde ou Gilbert Houel et qui lui soumettaient leurs feuillets qu’il les commentait « faible », « bien ». Ce travail de relecture et de compilation reste à faire, les manuscrits existent tout comme son « Journal » de 1928 à 1939 et sa « Trilogie » sous la forme de trois essais sur la Fonction Humaine.   

On ne saurait cependant clore ce chapitre sur Nemo et la Poésie sans présenter en conclusion ce texte inédit et non daté qu’il écrivit sur la perception du phénomène poétique, en philosophe d’abord, en phénoménologue sûrement, en poète averti et sensible à n’en point douter. Dommage qu’il ne l’ait soumis à des revues ou à des universitaires à son époque car le dialogue qui s’en serait suivi n’aurait pas manqué d’intérêt. On pourra objecter que Nemo ne distingue pas dans ce texte les effets que produit le poème sur le lecteur et sur l’auditeur. Il y a une différence évidente entre les images mentales produites par l’acte de lire et le donner à entendre lorsqu’un intermédiaire se fait l’interprète du même poème sans parler des effets visuels du donner à voir que produit le spectacle vivant.

Poésie (Texte inédit )

Il parait difficile d'aborder le phénomène de la poésie sans qu’aussitôt se pose devant l'esprit celui de l'identité.

Sans doute est ce pour cette raison qu'il parait à peu près impossible de situer, de manière absolue, le phénomène poétique et d'en déterminer le centre, car celui de l'identité peut varier à peu près infiniment selon l'importance que nous attribuons à la relation qui nous unit à la vie.

Le problème est d'une telle importance qu'il conviendrait sans doute d'esquisser, avant de l’envisager , un concept de l'identité et nous ne pourrions guère y parvenir sans faire intervenir celui de « la vie en soi ».En utilisant les riches ressources de nos diverses connaissances, aussi bien philosophiques que scientifiques, en tablant sur les affirmations de 1’intuition la plus profonde, nous aboutirions toujours à ce point où la preuve tangible cesse et l'interprétation subjective commence. Car nous ne pourrions moins faire que d’arriver à ce point où la  question se pose: les effets connus de la détermination possible étant épuisés, ceux de la causalité apparente ou supposée ayant  fourni leurs arguments, la question resterait pendante de savoir si la vie est produite par une énergie de nature dite par nous spirituelle ou si une autre nature d'énergie la provoque, justifiant alors, par sa  position primordiale l'idée d'identité.

Il s'agit en effet, en poésie comme en tout art, peut-être !- de s'incarner intimement avec un principe si substantiel          qu’il est  susceptible de servir de centre à toutes les impressions éprouvées, au cours de l'accident sensitif ou de la méditation. Mais par le fait que nous sommes contraints à envisager un double aspect du problème: la sensation et la réflexion, nous éloignons le principe de communauté absolue que suppose une identité parfaite et non plus relative.

Il ne faudrait donc pas que toute une philosophie de l'existence pour avoir, en définitive, le pouvoir d'indiquer à quel lieu de la fonction vitale, débute, selon nos impressions ou nos réflexions la certitude première déterminant l'ensemble des autres fonctions.

Lors même que nous admettrions cette cause première où que notre investigation la situe, nous ne pourrions échapper à la fatalité du dédoublement constaté. Si la nature à laquelle nous rapportons toute identification est d’ordre sensitif, i1 nous parait peu aisé d’'expliquer pour quelle raison elle ne demeure pas en cet état et s'évade en réflexions de plus en plus abstraites mais si nous choisissons l'autre position, la preuve définitive n'est pas moins périlleuse à obtenir puisque nous n'apercevons pas quel autre support donner à la réflexion en dehors de celui qui  semble si bien la contredire, c'est-à-dire, la sensation.

Il parait donc prudent, simplement, d'éviter de prendre part au grand débat métaphysique sans lequel les avis restent partagés en ramenant, modestement, la question première posée à une constatation en apparence élémentaire puisqu’elle se bornera à ne par sortir des limites que l'observation, de la vie concrète assigne.

Le phénomène de réflexion, puis de méditation et enfin d'abstraction succédant à celui d'impression, c’est en celui-ci que momentanément, nous situerons le principe d'identité et nous dirons donc que la vie est sentie, plus exactement, mais n'est-ce pas la même chose? Qu’elle est sentie bien avant d'être ou réfléchie, ou méditée ou encore, pensée.

La vie se manifestera par son existence même et déformant un peu le théorème VII de L’éthique de Spinoza nous dirons: « A la nature de l'existence, il appartient d 'exister »

Faisant cette observation, nous ne nous trouvons nullement devant l'existence elle-même, mais bien que devant une affirmation ce cette existence  tant il est vrai qu'il parait difficile d'obtenir cette intimité, cette adéquation irréfutable qui pourrait, cependant constituer, pour l'étude entreprise, un point de départ substantiel. Nous le replacerons faisant appel à un phénomène d'imprégnation, aussi révélateur que possible de la richesse initiale dont nous désirons saisir l'éminente réalité. Pour l'obtenir, nous nous débarrasserons, volontairement, de toute intervention rationnelle, cherchant dans le principe de l'émoi débordant, la réalité suggestive permettant à l'individu de se situer le plus profondément possible au cœur du mystère, pour, non pas le comprendre, ce qui serait un pur non sens ! Mais de l’éprouver  par une sorte de mutuelle fusion.

C'est ainsi, que le phénomène de l'identité avec lequel nous désirons confondre la vie poétique, se  trouve situé sur l’échelle complète des impressions humaines, ou des impressions que l’homme peut ressentir et il nous faut, volontairement, confondre ce phénomène avec ce que nous définirons comme le phénomène en soi, c'est à dire la vie ressentie par l’effet d’un pathétique embrasement de tous les effets possibles.              

Nous n’aurons que trop souvent l'occasion de localiser l'impression poétique dans une particularité où nous la trouverons emprisonnée, pour ne pas, dès le début, essayer de la fondre dans un état confondant tout.

Il s'agit, pour l’instant présent, de s'isoler le moins possible d'une totalité confusément sentie et dont les prises de conscience constitueront de successifs détachements, au cours desquels, l'impression générale se trouvera localisée, quitte à cet état de s'universaliser par une opération diverse, puisqu'une opération de conscience.

Ce n'est point dire d'ailleurs, que ces diverses positions  d’identité que nous concevons s'opposent  nous dirions, si nous ne redoutions de verser dans l'articulation d'un langage autre que celui que nous désirons emprunter, nous dirions donc qu'elles se composent mutuellement, pour, peut être aboutir à la formation d'un état dont la diversité est seulement apparente et qu'il s'agit de reconstituer afin  d’obtenir l'impression d'unité indispensable dans le problème qui nous préoccupe.

Est il, dès lors, impossible de concevoir un phénomène d’identité, c'est-à-dire, et pour la position que, momentanément  nous adoptons : un rapport direct avec la vie ? Il ne parait pas que la difficulté, qui reste grande soit, cependant insurmontable, car nous possédons, pour établir la filiation désirée, une conséquence de la vie même et par laquelle il semble bien que la relation puisse être obtenue, nous voulons parler de l’émotion.

Avant que de se dominer – en admettant que nous puissions parvenir à ce degré de possession de nous même, et de la vie-nous sommes assurés de ressentir la vie. Nous la ressentons non seulement à l'état passif, mais actif. La vie ébranle en nous et à travers nous un mode d’impressions  qui nous oblige précisément à sortir, de notre inertie et à prendre conscience de rapports, à la fois vagues et profonds, qui s'établissent, tout d'abord à notre insu. Nous sommes envahis par un état qui nous alimente de ses dons. Il ne se contente pas de procurer ainsi à notre être particulier la parcelle de vibrations générales qui lui est indispensable pour exister, il s’impose à nous avec une abondance telle qu’il dépasse la limite où notre personnalité physique se tient et se nourrit de ce que la vie lui apporte. La vie en effet ne se contente pas de nous projeter vers notre devenir, elle nous force à nous retourner vers l'immédiat passé, le co-existant de notre présent instantané et, par ce moyen, nous impose la conscience de son existence chaleureuse.

Elle est en  nous et avec une plénitude telle que1'impression  de sa présence provoque au plus profond de notre être une faculté d'attendrissement dont elle devient l'objet. Irradiés par elle, nous lui retournons une partie, infime de ses dons sous la forme d’une effusion à ce point considérable qu'il nous faudra bien la nommer un jour, du premier et du plus beau de tous les mots magiques que nous serons capables de former : l’amour.
Il n'est autre chose que la perception, tout d’abord impensée d’une union qui nous lie intimement à un principe sans lequel nous ne saurions être, au moins tel que nous sommes.

Nous pourrons, un jour, maudire cette existence en déclarant que, dans le mélange  de ses dons et de ses exigences nous estimons que la part faite à ces dernières est par trop considérable. C'est qu’alors, nous aurons éprouvé  l'existence en une importante échelle : au sens profond du terme, nous aurons vieilli et ne posséderons alors qu’un pouvoir d’effusion étrangement racorni. Mais à l’instant précis où pour la première fois l’existence délègue vers nous l’étrange possibilité qui nous fait être, par une double conséquence de l’état primitif : exister et se sentir existant, notre puissance affective est plus que vierge, pourrait-on dire : elle est intacte et d’une innocence radieuse, incapable qu’elle est en cet instant, de pressentir son immédiate destinée.

Mais une fraction de seconde la lui révèle en glissant dans la passivité première la faculté qui permet de sentir qu’on est puisqu’on baigne dans un système de relations ambiantes dont, cet instant, aucune ne parait hostile.

Ce moment de l’existence est celui où la nature des choses, intimement mêlée à la vôtre par une opération indépendante de votre volonté, parait dépourvue de contradiction. Au contraire, notre effusion est si totale qu’elle s’emplit d’un spectacle qui semble la continuer.

A vrai dire nous ignorons encore si nous existons par nous même, tellement nous nous sentons fondu en ce qui nous entoure et nous baigne. C’est ce phénomène de l’oubli de soi qu’à ses moments les plus purs, l’amour est capable de réaliser.

Il importe infiniment peu que, débordant du cadre personnel, la nature de l’émoi affectif soit une réalité ou une illusion. Nous ne pouvons le concevoir qu’en nous replaçant dans ses états indistincts dont le discernement reste impropre à l’analyse. Celle-ci suppose comme le critérium d’un minimum rationnel dont notre nature, à ses instants d’effusion pure, n’a pas le plus intime soupçon. En présence d’un pareil miracle de fusion, nous ne pouvons que constater une existence et qu’elle est le lieu d’une effusion si profonde que ce serait la défigurer, instantanément, que de lui opposer toute autre forme d’appréciation.

Il n’est point douteux qu’en de tels instants, des relations nées du mystère des choses s’insinuent dans l’intensité des impressions ressenties, les provoquant et les recueillant, tour à tour, ou peut-être, même simultanément. Elles sont telles qu’une seule expression leur conviendra et qu’elles ne nous laisserons que la ressource de les déclarer ineffables pour pouvoir les désigner à notre souvenir.

Il parait fatal qu’apparaisse, en ce moment, sous la pensée, le nom d’une philosophie qui s’est précisément efforcée de faire partie de la nature des choses de ce phénomène d’identité que nous nous efforçons, non de reconstituer mais, seulement, d’indiquer.

Maxime NEMO

 

 

"Le sens nécessaire à l'intelligence de la poésie est rare en France où l'esprit déssèche promptement la source des saintes larmes de l'extase,où personne ne veut prendre la peine de défricher le sublime, de le sonder,pour en percevoir l'infini."
Balzac " les Illusions perdues "( 1837-1838 )

 

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:17

Chapitre V

NEMO et la Science

 

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »

François Rabelais

 

C’est avec surtout à partir de la création de l’Association Jean Jacques Rousseau que Maxime Nemo en marge de ses écrits en vers ou en prose, va s’entourer de scientifiques et surtout de médecins pour éclairer les tourments et la pathologie de Rousseau.

Il a bien sûr lu, cité et annoté le fameux livre «  l’Homme cet inconnu » d’Alexis Carel (1873-1944) paru en  1935, qui fut l'objet de multiples traductions et rééditions, et dont le succès mondial dure jusqu'aux années 1950 mais surtout les ouvrages de Jean Rostand depuis un curieux « l’Aventure humaine : du germe au nouveau né » paru chez Fasquelle en 1933,  les Pensées d’un biologiste de 1939, les nouvelles pensées de 1947 et bien sûr la Biologie et l’Avenir Humain de 1950. Ses prises de note sur Biologie et Humanisme Essais CXII de 1964 montrent bien que Nemo les a  abondamment utilisées  pour ses Essais et conférences.  

On doit bien sûr citer la correspondance inédite entre Maxime Nemo et le Père Teilhard de Chardin durant l’année 1948 avant le départ de l’auteur de la « Noosphère » pour l’Amérique et dont il s’explique à mots couverts pour échapper aux foudres de Rome. Les entretiens qui ont suivi cette correspondance rue Monsieur le Prince à Paris et le leg des exemplaires de la « Noosphère » à Maxime Nemo sont évidemment essentiels pour comprendre la portée du dialogue entre cet athée et le grand homme qui le chargeait ainsi de diffuser sa pensée. Le geste symbolique n’est pas resté  lettre morte puisque Nemo relate cette relation dans le détail  et s’en ouvrira plus tard  à Claude Cuénot. Enfin, en  1965 dix ans après la disparition du  jésuite, chercheur, théologien, paléontologue et philosophe Maxime Nemo signe dans la revue Europe, « Présence de Teilhard de Chardin » et s’associera au « Colloque Teilhard-Einstein » organisé par l’Unesco en novembre 1965 avec marc Gevaert  et Piero Sanavio chef de la division d’Etudes des Cultures. .

Yves Lelay infatigable traducteur germaniste qui a traduit « Cinq leçons sur la psychanalyse » de Freud en 1921 puis dès 1953, se plonge dans l’œuvre de  CG Jung « Métamorphose de l’âme et ses symboles » de puis « l’Energie psychique » dès 1956 et enfin « les problèmes de l’âme moderne » ne cessera s’entretenir des liens affectueux et profonds avec Maxime Nemo et c’est un nom que j’ai entendu enfant très souvent prononcer. Les dédicaces fidèles en attestent. C’est ensuite la rencontre avec le Dr Jacques Ménétrier (1908-1986) ancien interne des Hôpitaux de Paris, le créateur de la médecine fonctionnelle et de l'utilisation des oligo-éléments en thérapeutique. On  rappellera brièvement, si cela est possible, tant la rencontre fut déterminante et  les parcours  indissociablement liés. On verra que chacun de ses livres fait l’objet d’un envoi affectueusement dédicacé, de 1958 à 1962 avec un éditeur commun : la Colombe. Dès 1932, le Dr Jacques Ménétrier met au point des solutions de différents oligo-éléments et définit une méthode thérapeutique qui bouscule les principes de la médecine officielle. Médecine du terrain, ou fonctionnelle, l'oligothérapie ne s'attaque pas aux symptômes, mais aux causes tissulaires et métaboliques des maladies. Pour le praticien, la réceptivité aux maladies est en rapport avec les échanges organiques. En 1942 Jacques MENETRIER avait réuni, au sein de la Fondation Alexis CARREL, une équipe de médecins et de biologistes. Pressentant l'intérêt que pourrait présenter l'utilisation de ces éléments minéraux en médecine humaine, il va étudier leur incidence thérapeutique et dégager les indications propres à chacun d'eux. Les bases de la Médecine Fonctionnelle sont jetées.

Maxime Nemo lui rendra en 1967 un hommage dans la revue Europe dans un article intitulé : « Jacques Ménétrier, humaniste. »

En 1952, « l’Ilôt » publie un Manifeste : « A la recherche de l’Humain » qui évoque les influences de Jean Rostand et de Teilhard de Chardin dans la pensée de Maxime Nemo :

A   LA   RECHERCHE   DE   L’HUMAIN

C'est le propre de l'homme d'action de ne pas s'inquiéter des conséquences de son geste. Il est semblable au poète, à l'artiste qui trouve, dans l'acte créateur, une justification qui lui suffit.

Exalter la fonction humaine, au lendemain de nos catastrophes ; prétendre le culte de l'homme capable d'empêcher leur renouvellement, est, sans doute, un geste insensé ; c'est néanmoins, le seul qui nous semble plausible. Il faut, ou participer à une nouvelle hystérie collective, ou s'adosser à l'état de foi qui demeure celui de quelques esprits. Chose étrange, le sens de l'Homme continue de progresser.

« De quelque façon qu'il s'envisage, dit Jean Rostand ; qu'il le veuille ou non, qu'il le croie ou non, l'Homme ne peut qu'il ne soit pour lui chose sainte. Il ne peut qu'il ne voie en lui l'ob­jet le plus haut el le plus précieux de la planète, l'aboutissement d'une lente et laborieuse évolution dont il est loin d'avoir pénétré tous les ressorts : « l'être unique », irrefaisable et irrempla­çable, qui, dans l'immense univers, peut-être, n'a pas sa répli­que ; miracle du hasard, d'il ne sait quoi d'innommé, voir d'in­nommable, mais miracle... Toucher à cela, quelle responsabilité I... » (Conférence à l'Université des Annales. 1952). Et, encore, J. Rostand indique : « Faire l'Homme », c'est : « modeler du mystère » et   « construire de l'inconnu ». (id.)

Nous l'avons noté (un « Humanisme constructeur »), il est réconfortant de découvrir cette heureuse coïncidence entre certains aspects de la pensée scientifique (J. Rostand ; P. Teilhard de Chardin ; Julien Huxley ; Lecomte du Noüy ; Bogomoletz  etc) et notre inquiétude humaniste. Est-il trop tôt, demandons-nous («  la Destinée humaine », Revue Guillaume Budé, juin 1952), pour esquisser la jonction de l'acquis scientifique et d'une forme de Poésie, dont l'Homme constituerait le mobile inspirateur ? Nous pensons que la simple hantise d'un pareil accord justifie l'existence. « Les grandes exigences, a écrit Goethe, rien que par elles-mêmes, sont déjà estimables, même si on ne les réalise pas ».

Chercher l'Homme ; tenter, par conséquent, de le penser ; l'aider à concevoir la permanence de son phénomène, peut-être l'attitude d'un individu qui tend à adhérer au concept de l'Espèce, avec le désir d'enrichir son moment humain par la présence d'un continu vital, sans lequel, il se sent pathétiquement ramené à l'unique contemplation de sa minuscule identité 1 Certes, la relation existe ; mais la plupart des êtres dépensent leur existence dans la parfaite ignorance de l'immanquable causalité.

 Comme on l'a dit (P. Teilhard de Chardin : « Une explication biologique de l'Histoire humaine »), l'animal sait ; mais, seul entre tous les animaux, l'Homme sait qu'il sait ». Evidemment ; cependant, il reste à préciser si l'homme se sait. Or, procéder à l'exploration de l'Univers en restant indifférent à la signification de son propre phénomène, constituerait une invraisemblable gageure... Et, cependant ?... Il importe, donc, de révéler à l'homme le sens et la grandeur de l'accomplissement terrestre ; puisque ce principe de liaison, susceptible d'unir l'individu aux générations, celles-ci à l'Espèce, est encore absent de la Connaissance actuelle, et, en particulier, du système éducatif.

Nous ne pensons pas qu'il y ait de tâche plus impérieuse que cette élaboration d'une conscience de la Vie, réalisant la synthèse de nos aspirations, comme de nos connaissances.

Cet acte n'a que la valeur des gestes symboliques ; mais nous pensons qu'il n'est pas de symboles inutiles ; car la Vie contemple ses actes. Et rien ne dit qu'à la longue, un système de « va­leurs » ne se dégage pas de la répétition de certaines indications.

L'Ilôt,

Paris, Octobre 1952.

L’Ilôt,  160, avenue Ledru Rollin Paris (XIè)

Luçon Imprimerie H.Rezeau-31.067A

 

En 1962 sur France 1 Paris Inter, le Docteur Jacques BOREL, médecin-chef des hôpitaux psychiatriques de la Seine, est interviewé  dans l’émission la Science en marche de François Le Lionnais  sur « Les deux phases de l'état dépressif chez ROUSSEAU » et Maxime NEMO, secrétaire de la Sté Jean-Jacques ROUSSEAU, est interviewé  sur «  la langueur, source d'exaltation de ROUSSEAU » puis dans une autre émission le 24 mai 1962 sur « la Folie de Jean Jacques Rousseau ».

 Rappelons le descriptif de cette émission que l’on peut écouter sur le site de l’INA :

Francois  Le Lionnais : diagnostic rétrospectif de la folie de Jean-Jacques  Rousseau.

-  l'élaboration d'un diagnostic rétrospectif est difficile, mais avec  le nombre élevé de documents concernant  Rousseau• ,il est plus aisé de séparer le vrai du faux et d'établir ainsi ce diagnostic.

- c'est le 250eme  anniversaire de sa naissance et le 200eme anniversaire de la publication  de l'Emile et du Contrat Social.  

 - présentation de Jacques Borel, médecin-chef des hôpitaux psychiatriques de la seine, auteur d'une Etude : 

«  la folie de Jean-Jacques », et de Maxime  Nemo ,  Secrétaire de la  Société  J.J. Rousseau.

 - Francois le Lionnais interviewe messieurs Borel et  Nemo : pourquoi  les 2 affirmations de  Rousseau , dans les Confessions "je naquis infirme et mourant" sont exactes.

    - il faut distinguer 2 faits dans la pathologie de  Rousseau : les vraies affections somatiques, et les fausses. Comment ces affections apparaissent a la conscience du sujet.

 - -- les maladies réelles : il avait une très bonne sante physique, et n'a jamais eu d'affections graves ; énumération de ses maladies ; paradoxe : il jouit d'une bonne sante, et sa correspondance le montre toujours souffrant ; il manifeste une réelle vigueur lorsque l'occasion s'en présente, plusieurs exemples.

 - -- les maladies imaginaires : sa maladie de vessie, qui l'a beaucoup affecte ; énumération de maladies correspondant a des moments de langueur ou de dépression ; sa vessie n'est malade qu'aux périodes ou il est déprimé  pendant ses grands voyages, ou quand il vit dans le monde, la maladie disparait.

 - -- ses états d'humeur : la dépression nerveuse est a peu près continue ; mais  il a des périodes de bonne humeur, révélées dans les confessions, quelques exemples de sa gaieté ; la dépression se manifeste surtout en hiver : nostalgie, inquiétude, anxiété, amertume, quelques exemples ; les périodes de grande anxiété ne durent que quelques jours.

- -- sa folie : il y a un rapport entre son humeur anxieuse et sa folie cette folie, c'est un délire d'interprétation curable ; les 2 composantes de ce délire ; les différents  accès de délire dans la vie de  Rousseau il y a aussi de réelles persécutions mais, dans son esprit, les persécutions réelles et imaginaires se mêlent les persécutions, l'exil, réels, servent a alimenter le délire, mais ne sont pas les causes des persécutions imaginaires  la première période de la psychose fut le délire provenu de l'anxiété ; la deuxième période,  c'est le délire d'interprétation pure  mais cela n'atteint jamais son intelligence au sein de toutes ses crises, il demeure tres lucide ; c'est le propre de cette psychose de ne jamais atteindre aux valeurs intellectuelles du psychisme. il est remarquable de voir avec quel esprit critique il prend ce délire pour objet d'étude.

-cet homme nouveau qui possède, mais  qui avoue ses angoisses, c'est ce que nous appelons l'homme moderne  tout se tient dans ces affirmation qui forment la conscience du héros actuel.  Jean-Jacques  Rousseau  ouvre sur l'illimite de la présence humaine.

On pourrait à ce stade mentionner le séjour  que fit JJ Rousseau à Montpellier  à l’automne 1737 et comment il se fit éconduire par le Dr Fizes de la faculté de Montpellier qui le qualifia d’hypocondriaque et d’affabulateur. L’anecdote est attestée puisque  rapportée dans la Correspondance et  dans la première partie des Confessions et dans une plaquette rédigée par M.Grasset Vice président du Tribunal civil de Montpellier et membre de l’Académie des sciences et Lettres de la même ville en 1854.

La rencontre autour du micro de la  « Science en marche » de 1962 donne l’occasion en juin 1964 de recontacter le Président de l’Association des Ecrivains Scientifiques de France en la personne du même François Le Lionnais pour lui demander de s’associer au projet autour du Manifeste « Valeurs du Monde Actuel »

Biographie de Jacques Borel A quatre mois, Jacques perd son père et est élevé par sa grand-mère paternelle à Saint-Gaudens en Haute-Garonne avant qu'il ne rejoigne sa mère, femme de chambre dans l'hôtel de passe tenu par son frère à Bastille. Après des études de lettres à Henri IV et à la Sorbonne, Borel enseigne l'anglais. Il collabore à diverses revues et traduit l'œuvre poétique de James Joyce. En 1958 sa mère entre à l'hôpital psychiatrique où elle mourra en 1976.

Son premier roman 'L' Adoration' paraît en 1965 et est couronné par le prix Goncourt. Méconnu du grand public, Borel creuse le sillon de sa mémoire durant toute son œuvre, entièrement autobiographique, constituant un chef-d' œuvre du genre.

Le trauma fondateur - enfance provinciale, mort de son père et enfance dans un bordel où il découvre la pauvreté, l'humiliation et la honte -, constituera le noyau de 'Le Retour' (1970), 'La Dépossession - Journal de Ligenère' (1973), 'L' Aveu différé' (1997), 'L' Attente' (1989), 'L' Effacement' (1998, prix des Charmettes - J.J.Rousseau), 'Le Déferlement' (1993) et 'Journal de la mémoire' (1994).

Amateur passionné de Proust, Borel dépeint une réalité hallucinée, mélange de poésie des bas-fonds et de naturalisme urbain emprunt d'érotisme, où s'expriment la déchéance et la suffocation.

Borel est également auteur d'essais, notamment 'Ombres et dieux' (2001) sur les religions et la mythologie, 'Marcel Proust' (1972), 'Propos sur l'autobiographie' (1994), 'Sur les poètes' (1998).

Le Manifeste sur  « Valeurs du Monde actuel » de 1964 amènera Nemo à contacter l’Union rationaliste de France en la personne du professeur Ernest Kahane de la faculté des sciences de Montpellier. Ce Chef du service de chimie biologiste et auteur de « la Vie n’existe pas » va entamer une correspondance et une amitié plus philosophique que scientifique comme il le lui dit dans sa lettre du 24 juin 1964. Leurs échanges dureront jusqu’en décembre 1972 lorsque Kahane en réponse à la parution de « l’Acte de Vivre » il lui écrit : « Ma « sympathie se nuance de quelques réserves, car le patronage de Jean Jacques Rousseau me paraît être une arme à double tranchant. L’évolution telle que je la conçois risque d’aboutir au désastre, c’est bien certain, mais si nous réussissons à l’éviter, elle aura pour effet de placer un Eden en avant de nous et non en arrière. Il n’y a jamais eu d’âge d’or, il n’y a jamais eu de bons sauvages, la civilisation avec toutes ses tares et tous ses dangers vaut mieux que le sort misérable de nos ancêtres. »

Je brûlerais de connaître les positions de Nemo face aux thématiques actuelles face à l’écologie, à l’économie solidaire et à la décroissance mais on peut déjà quarante ans avant relire les propositions pour une causerie future en tête à tête  et sans doute polémique dans  la lettre du Pr Kahane : « Je vous entretiendrai en plus à l’occasion de la valeur qu’il me semble devoir attribuer aux équilibres naturels dont la plupart des écologistes font grand cas, et dont ils parlent d’une façon où il me paraît entrer beaucoup d’étourderies. Il se peut donc fort bien qu’après conversation amicale vous n’ayez aucun goût à renouveler l’invitation que vous me faites et que je serais disposé à accepter, quand ce ne serait que pour vous témoigner ma grande estime. »   

Dans la bibliothèque de Maxime Nemo figurent  en bonne place « Le Hasard et la Nécessité » ouvrage du professeur Jacques Monod, biologiste et biochimiste, Directeur de l’Institut Pasteur (1910 -1976) et surtout son «  Discours inaugural au Collège de France » qu’il avait adressé à Nemo. Doit on rappeler si besoin était la conclusion de son livre paru en 1970  où le prix Nobel de médecine  expose ses vues sur la nature et le destin de l'humanité dans l'univers, concluant ainsi son essai : « L’ancienne alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers, d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. A lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres. » En février 1972, le Secrétaire général  fait part à ses membres de son intention de transformer l’Association J.J Rousseau et d’en faire «  le point de ralliement à travers le monde des mouvements qu’inquiète le phénomène de la pollution des forces de la Nature, car nous estimons que depuis l’invention de l’écriture aucun penseur n’a indiqué  avec autant de pertinence que JJ Rousseau la relation qui unit l’Homme à ce préalable qu’est la vie, dont la Nature n’est qu’une transposition légitime »

« Nous estimons que ces notions de dépendance doivent s’inscrire dans un système éducatif qui dès l’école maternelle, doit placer tout individu en face de la responsabilité qui lui incombe, par le simple fait qu’il est un être vivant, et que toute entreprise de réaction vis à vis des intérêts industriels ou financiers restera incertaine si elle ne comporte pas de base éducative. »

Et Nemo de conclure : « ce sont les assises d’un Humanisme actuel dont il nous semble indispensable de rechercher les structures afin d’aboutir à une éthique délivrée des contingences mythiques ou plus exactement mystiques qui ont entravé son développement. Vous devinez dès lors à quel degré votre pensée a pénétré la nôtre. »

Rappelons que ce projet s’inscrit à travers l’Association JJ Rousseau dont fait partie le Pr Monod dans son Comité Directeur, dans le cadre éditorial que Nemo s’était fixé par une trilogie amorcée en 1972 par « l’Acte de Vivre » et qui devait être suivi de deux autres essais inédits à ce jour : « Réplique à l’abîme » et « Occident terre de l’homme » .Le projet est resté inabouti mais les manuscrits existent. Un courrier en date du 3 avril 1975 à M. Fanfani Haut Commissaire à la Diffusion de la langue française en atteste.  

Il semble difficile de clore cette parenthèse scientifique sans rappeler le préambule que Maxime Nemo consacra à son « Prométhée » en 1941. Les conférences et lectures dramatiques de « l’Ilôt » continuent tant bien que mal malgré les difficultés d’organisation et  c’est dans l’ouverture de sa conférence qu’il est amené à donner sa position sur le rôle de la science dans le développement de la Civilisation occidentale, en voici un extrait :

 Lorsque nous étudions la civilisation humaine – nettement dominée depuis 3000 ans par la valeur occidentale – nous constatons en effet  que par l’effet d’une volonté constructive (la volonté occidentale) toutes les valeurs de la vie sont ramenées à l’estimation de la proportion humaine. Soudain, une rupture se produit. Je caractériserai cette rupture à l’aide encore  d’une image en vous disant d’un seul coup ou presque, l’homme a changé de condition : il est passé de la vie naturelle à l’existence artificielle. Depuis, le sens de son destin lui échappe. Que s’est-il donc produit ne ce moment  particulièrement pathétique de l’espèce humaine ? Ce qui  s’est produit, vous le savez, c’est la machine.

Ni vous ni moi n’avons l’intention de dénigrer la Science, en tant que moyen de connaissance. Je ne serais pas prométhéen autant que je crois l’être si je ne saluais très bas, cette admirable investigation humaine.

Mais ce salut adressé à la Science, j’ajoute qu’elle est la cause des maux dont nous souffrons – non pas encore une fois, en tant que connaissance, mais en tant qu’application. La science donne naissance à l’industrie, qui engendre les deux malheurs de notre âge : la finance et la masse. Entraîné par ses effets, l’évolution exige la concentration des capitaux et celle des hommes. Dès lors la vie sociale est soumise non plus à des idées de qualité, mais à des principes de quantité. Donc nos moyens de sélection, qui, tous : religieux ; moraux, idéaux, politiques et sociaux, ces moyens nous viennent du passé et se révèlent à l’usage, inopérants; notre triste révolution nationale  en fait l‘expérience coûteuse. C’est qu’il est plus aisé de modifier des textes législatifs que d’agir sur les lois d’une catastrophe. Il n’est pas un pouvoir au monde capable d’entraver cette catastrophe. La plupart des pouvoirs existants, religieux ou politiques préfèrent ne pas effleurer le problème et accuser la donnée adverse de maux dont l’évolution est seule responsable. 

Nous serions plongés dans l’obscurité la plus complète si quelques penseurs indépendants ne nous apportaient le secours de leur lucidité.

Remarquez, il se peut que leur diagnostic ne soit pas entendu ! Il est même probable que la nouveauté de l’évolution et la dénonciation du mal rendront vains les effets de quelques esprits. Il n’est cependant pas mauvais que quelques lueurs se produisent dans le crépuscule de cette civilisation occidentale ! Il est bon même que nous puissions vivre et mourir en sachant où est le mal, même si le remède est momentanément impossible. 

C’est qu’on sent que le malheur rôde sur l’espèce, mais on se refuse à voir le mal où il se trouve en réalité, c'est-à-dire : en nous-mêmes ».

 

La déontologie nous prive des dialogues entre les médecins de Maxime Nemo, tant le Dr Xavier le Maigat à Nantes  que ceux du  Centre de cardiologie de  la Clinique Alleray  dans le XVè arrondissement  où il s’éteindra le 9 septembre 1975 ce dernier Acte de Vivre aura eu raison de son infatigable dialogue avec la science et la médecine.    

 

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:16

Présence de Teilhard de Chardin

En 1948, Teilhard recevait ses visiteurs dans la grande pièce qu’il occupait au 15 de la rue Monsieur. Si, à cette époque, son nom était répandu dans les milieux savants, il était par contre, ignoré de ce public auquel j’appartenais. Très vite, cependant, au cours d’entretiens prolongés, pendant plusieurs heures, sa forte personnalité apparaissait. Derrière la sobriété de l’accueil et des premiers échanges, surgissait cette faculté qui, depuis a permis à son nom comme à son œuvre de rayonner sur le monde, en lui assurant l’audience non seulement des spécialistes, mais des esprits que la simple notion de l’homme préoccupe et qui sont à la poursuite de ce problème d’identification dont la pensée de Teilhard propose la solution.

Depuis toujours, certes, cette inquiétude est en nous, mais il convient de signaler la valeur de la coïncidence qui relie l’affirmation de Teilhard aux soucis de notre génération. Deux guerres particulièrement insensées, l’horreur qu’elles ont étalée pouvaient conduire à une déchéance non seulement de l’instinct vital, mais ce qui serait infiniment plus pernicieux, à la déchéance du pouvoir moral, et même, éthique. Il est superflu de rappeler à quelle forme de désespoir une partie de la sensibilité s’est trouvée acculée. A ce moment, le nom de Teilhard sort de l’ombre et l’affirmation de la pensée nous amène à une sorte d’humilité de notre cas présent. Nous comprenons un peu plus que nous appartenons à une existence vouée- peu importe pourquoi ou par qui !- ( et cela depuis l’origine !) à un pouvoir de destruction qui domine l’évolution. Cet homme, Teilhard, dont la générosité est évidente, est, en même temps cet Athlète qui écrit ces lignes : «  Rien ne se construit qu’au prix d’une destruction équivalente.» (Le phénomène humain p.46) et, aussi : « la vie passe sur un pont de cadavres accumulés. » (ib.p.117)En présence d’un découragement possible, il nous donne d’abord une leçon d’énergie. Notre moment doit se situer dans l’écoulement de tant d’autres et doit, à cause de cela, acquérir le sens de la relativité. Le premier effet de son œuvre est de propager une sorte d’héroïsme du pouvoir d’exister, en ramenant nos douleurs au respect de leurs dimensions. Il s’agit donc de sauver l’Homme de la défaillance que l’influence de causes particulières pourrait déterminer en lui, en l’incitant à l’élaboration d’un devenir, où le meilleur de lui-même, momentanément sacrifié, s’affirmera et, peut-être, triomphera. Ce penseur tente de nous réconcilier avec nous même, c’est à dire, avec  la vie, telle qu’elle est. Et il accomplit cette intention grâce à cet enthousiasme que la générosité de sa nature lui a permis de dégager de son contact avec la vie en soi. Mais cette vie, dont il perçoit la cruauté, pourquoi l’aime-t-il  avec une passion farouche ? Parce qu’elle est le lieu où peut éclore la Connaissance, c’est à dire, ce phénomène qui lui parait justifier les atrocités dont la vie est emplie. Exister, pour, peut-être, savoir, en tout cas, pour, au moins se savoir… mais se savoir quoi ?  le témoin de cette existence, et, par là, sa chance de lucidité – que nos affirmations risquent de représenter…. C’est peu. Mais si nous allons au fond des choses, c’est tout ; car, ainsi, nous dominons la chance de vide, comme nous dominons l’absurde – au nom de cette austère discipline, et en assignant cette finalité à tout ce qui est : connaître.

Mais, entendons-nous bien ; il ne s’agit pas de connaissance abstraite, mais de celle, exaltante qui peut-être la conséquence de notre état individuel et collectif. Avec l’aide de l’énergie qui nous environne, qui nous tient, et, aussi, nous anime. Il s’agit d’extraire de la fusion opérée (ou subie) ce principe de chaleur, d’ivresse, pouvant conférer à la simple valeur d’exister cette sérénité courageuse qui permet d’accepter le Fait tel qu’il est. Devant l’effort que doit accomplir l’individu, la génération, ou le siècle, Teilhard exige cette disposition « virginale » qui permet de l’entreprendre avec une gaieté renouvelée. Pour la première fois, sans doute, un grand poète de la réalité nous assouvit à une exaltation qui tend à magnifier « l’ordre » de l’organique, dont il nous présente le chant, ouvrant ainsi les perspectives qui débouchent sur un Humanisme du fait, et non plus simplement de l’Idée, Humanisme qui peut être celui de la conjoncture actuelle.

Un jour, Teilhard me parla de sa « Noosphère » et me remit des exemplaires d’un opuscule dont le titre me frappa : « Une interprétation biologique plausible de l’Histoire humaine : la formation de la Noosphère ». Avec une pointe de mélancolie, il me dit : « Prenez tout : ceci est mieux entre vos mains qu’ici. » Et je devais lire en rentrant chez moi, cet avertissement :

« Graduellement, mais irrésistiblement, (depuis et à travers A.Comte, Cournot, Durkheim, Lévy-Bruhl et bien d’autres) l’organisme tend à se substituer au juridique  dans les conceptions et les constructions de la Sociologie. Le sens du Collectif s’éveillent en nous à la suite du sens de l’Evolutif, jusqu’à imposer au système entier de nos représentations un cadre de dimensions nouvelles. L’Humanité cesse chaque jour de s’offrir à nos yeux comme une simple association accidentelle et extrinsèque d’individus, pour prendre peu à peu figure d’entité biologique, où se prolongent et culminent en quelque façon, les démarches et la rigueur d’un Univers en mouvement… »

Le pas est franchi et sa tâche assignée à la pensée humaine : il faut  lier la possibilité de l’être à la réalité de l’état qui le contient. D’ailleurs, Teilhard précise son point de vue par ces lignes : «Psychologiquement, tout le monde est d’accord sur ce point : ce qui fait l’Homme, c’est le pouvoir apparu dans sa conscience de se replier ponctuellement sur elle-même. Comme on l’a dit, l’animal sait ; mais, seul entre tous les animaux, l’Homme sait qu’il sait. » (ib.) Et, toujours en ce même livret, il indique encore : « On l’a observé depuis longtemps, ce qui, zoologiquement a permis à l’Homme d’émerger sur la Terre et d’y triompher c’est d’avoir évité de se mécaniser : dans son corps anatomiquement. »  Et, encore : «  Sur cette pente dangereuse conduisant à l’emprisonnement organique, l’Homme, lui, s’est arrêté à Temps. »

Donc, le principe indispensable de la liberté se trouve comme inclus dans la nature des choses, si nous sommes capables d’en discerner l’essence pour l’approprier au profit de notre condition totale. Le vital est ce qui correspond à un organique d’où on ne sait quel pouvoir mystérieux permet à une autre forme d’énergie de manifester l’originalité qui assure à l’être favorisé qu’est l’Homme, une indépendance qui peut être l’indice d’un destin particulier.

Donc l’Humanisme de Teilhard de Chardin, est celui du vital, ce qui veut dire que sa présence parmi nous est celle du Poète  parfait. Ce don du poète il le fait à la science, ce qui déjà est considérable. Chez lui, en lui, le fait de connaître se double d’une illumination que d’autres savants ressentirent avant lui. Je songe, ici à Julian  Huxley, et, surtout, à notre  cher Jean Rostand ; mais Teilhard  apporte à leur visible émotion devant ce qui est, l’effet d’une sensibilité prophétique qui lui est personnelle. Cependant, par ce don à la science, sa tâche n’est pas achevée,  car l’homme devant qui nous nous trouvons porte une soutane et sent en lui l’animation d’une foi qui, par son expression dogmatique a souvent reculé devant l’affirmation scientifique. Quel souci ! et quelle responsabilité !.. Teilhard n’ignore pas  le degré de malveillance auquel sa pensée va se heurter. Lors d’un dernier entretien, je dus l’attendre dans le parloir de la rue Monsieur, le portier m’ayant annoncé qu’il se trouvait au Consulat des Etats-Unis. Et comme, quelques instants plus tard, je lui demandais la cause de cette démarche, je le vis hésiter ; puis levant vers moi son regard gris, il me dit : « Je dois me soustraire à l’emprise de Rome. C’est pourquoi je pars aux USA , certes pour y retrouver des amis qui me sont chers, mais aussi, parce que ce coin du monde  est le seul où Rome ne puisse rien sur moi. » Je serrai la main sans insister. Il lui fallait, publier son œuvre avant d’obtenir un rapprochement entre son indiscutable émotion chrétienne et l’affirmation scientifique, au besoin la plus osée. Il est devenu pour beaucoup le symbole d’un tel rapprochement. Donc, encore une fois, son génie qu’anime l’amour de ce qui est, de ce qui est sur terre et pas seulement dans l’au-delà, nous propose l’Humanisme sous la forme d’un point vers qui toutes les tendances de l’esprit  actuel peuvent converger, comme pour une suprême confrontation des connaissances acquises et des espoirs à réaliser. Il n’est pas question d’isoler tel ou tel point de sa doctrine, mais d’essayer de la saisir dans sa valeur  générale et d’en déduire une somme pouvant représenter la totalité des acquisitions obtenues. Car il nous achemine  à la perception de ce qu’en Poète il nomme : «  l’étoffe de l’Univers », apportant ainsi à nos expériences accidentelles le souffle d’une inspiration comique qui, pareil à un long frisson, parcourt l’étendue de son œuvre. Qu’entend-t-il par ce terme «  étoffe de l’Univers » ? Tout et rien pourrait-on répondre. Tout, si l’on admet que la magie des sons  fait communiquer avec celle du Fait ! Rien, si l’on se tient  à la précision de ce seul fait. Lui dans la manifestation du Fait ne voit pas que l’extériorisation d’un phénomène, mais, aussi, on ne sait quoi d’imperceptible.

Maxime NEMO   

Paru dans Europe  n°  63    Mars-Avril Année 1965      

JACQUES MÉNÉTRIER, HUMANISTE

C'est bien par le chemin ordinaire de la médecine que Jacques Ménétrier accède aux «révélations» qui peuvent lui être fournies par la biologie ou certains aspects de la psychanalyse. Mais à l'immédiat de ces avertissements, il joint une connaissance des mathématiques, de la physique, jusqu'en leur prolongement vers l'électronique, car il estime sans doute que, du haut de telles pyramides, plus de 40 siècles nous contemplent, puisqu'elles correspondent à l'architecture du monde et de la vie qui, depuis toujours, propose à notre réflexion la possible solution de l'énigme vitale.

Ce qu'il peut y avoir d'assez surprenant dans le cas particulier qui nous intéresse, c'est que si c'est un médecin qui pénètre dans ces aspérités monumentales, c'est, en définitive un penseur qui surgira des profondeurs explorées, un penseur conscient de l'acquit obtenu, qui estime devoir faire profiter la thérapeutique de son exploration, et qui, de ce contact, va extraire une théorie qu'il appliquera à l'homme tout court, soit qu'il souffre dans sa sensibilité ou que sa nature mentale se sente atteinte par l'effet d'une disparité qui, en même temps qu'elle l'écrase, l'exalte. C'est le même approfondissement scientifique qui servira dans les deux cas. La conclusion dégagée par l'interlocuteur a fait apparaître ce point essentiel la vie est, ou doit être, un état de santé, appelé à triompher des tendances entropiques qu'elle détient, au nom de cet « instinct de l'ordre » dont Jacques Ménétrier fait état dans le livre qu'il vient de publier sous ce titre : De la mesure de soi, qu'un sous-titre éclaire : « L'examen de conscience d'un biologiste » (1).

Chose étrange à notre époque, l'auteur propose un état de clairvoyance qui est l'indice d'une lucidité sur la vie plutôt que sur la mort. Il suffit, selon lui de savoir regarder pour arriver à telle conclusion.

D'ailleurs, dans une œuvre antérieure : « Mon Socrate » paru en 1964 aux éditions de la Colombe, il prête cette définition de la connaissance à son personnage principal :

« ...laisse-moi te dire qu'il ne suffit  plus aujourd'hui de se connaître soi-même mais qu'il faut aussi et surtout apprendre à la Science la connaissance d'elle-même. » (p. 86). Il faut voir dans l'expression, cet amour de la connaissance qui tend à se définir à l'aide d'une dialectique qui s'enivre de ses capacités. C'est donc à ce point qu'aboutit la personnalitéde Jacques Ménétrier, guidé par ce magnétisme intellectuel qui oriente son activité et domine l'instinct qui le fait à ce degré indépendant. Seules, les manifestations de l'ordre et du désordre phénoménal lui imposent une limite.

Je ne connais pas, depuis Teilhard de Chardin, de forme de pensée à ce point personnelle et universelle. Je ne veux pas dire que tout lui soit connu, mais seulement, que tout lui est familier, et qu'il s'abandonne à une sorte de rayonnement. de l'intelligence pour affirmer un pouvoir de maturité qui emporte le lecteur. Celui-ci sent en effet, que l'esprit du temps lui parvient, à travers des définitions qui aident à dominer l'inquiétude que la simple fonction d'être manifeste.

Que l'auteur l'ait appelée ou non, une jouissance poétique émane des constatations opérées, si bien qu'à la suite de Jacques Ménétrier, l'esprit se prend à rêver aux suggestions qui l'affranchissent de sa condition ordinaire, par la mise en œuvre, et j'ose ajouter la mise en place, de l'état de conscience à travers lequel l'homme arrive_ à cette sérénité joyeuse, pouvant effacer la médiocrité du « vivre », c'est‑ à-dire, cette dégénérescence mentale, prônée par tant d'auteurs en vogue. Vis-à-vis de ces catéchumènes du désespoir, également impuissants à vivre comme à se suicider, Jacques Ménétrier fait usage de ce rire, qui n'est pas un effet du mépris, ou, même du dédain, mais l'éclat de cette liberté de penser qui fait de lui un révolutionnaire-né, qui l'incite à récuser les assertions, d'où qu'elles viennent, si elles comportent cette part, qu'il estime irrecevable, de béatitudes dévotes.

Donc, adversaire de tout conformisme, il nous confie « L'espoir n'appartient plus aujourd'hui à un optimisme béat, mais à une lucidité solidement établie sur une science rendue à la conscience de sa portée et de ses limites, c'est-à-dire de son utilité. »« De la mesure de soi » (p. 151).

Un peu plus loin, il ajoute, au profit d'un des interlocuteurs « Vous confondez trop souvent l'insolite et le surnaturel, le magique et l'irrationnel, la fiction et le merveilleux, parce que vous n'avez pas confronté votre fantastique avec la possibilité d'un matérialisme triomphant » (p. 155).

Peut-on espérer voir poindre une forme de conscience de soi liée au souci de l'acte collectif ? Un tel effort, après quinze siècles d'ambigüité, caractériserait une renaissance de la valeur occidentale, due en grande partie, à la sournoise insinuation des fascinations mystiques. Un tel effort caractériserait une renaissance de la valeur occidentale, après ces quinze siècles d'ambiguïté, due en grande partie, à la sournoise insinuation des fascinations diversement mystiques que la pensée hindoue s'affirme encore capable de propager, ce qui incite certains penseurs contemporains à se complaire à l'inutile alternative de « l'être et le néant ».

L'énergie lyrico-rationnelle de Jacques Ménétrier a pour conséquence essentielle de rendre un tel dilemme à sa vanité profonde ; non que tout lui paraisse assuré, mais parce que son approfondissement du « soi » conduit à une réalité, pouvant contenir et manifester ce besoin de transcendance qui, probablement, sollicite depuis toujours notre attention, ou cette forme de la sagesse ainsi présentée par lui : « Il importe moins d'aimer la sagesse que d'avoir la sagesse d'aimer. » (Éloge de l'incertitude, 1956.) Alors, sous quelle forme de stoïcisme s'affirme la raison « moderne » ? C'est ce qu'une évocation du dialogue, au moment de la mort de Socrateva laisser apparaître. Le Sage dit à son ami Ménétos

Socrate : « Les dieux et les mythes sont des assurances prises par l'homme, une création (souligné par nous) nécessaire de son esprit tourmenté par le néant.

Ménétos : « Tu ne crois ni aux divinités ni aux fables qui constituent la seule consolation de l'humanité ?

Socrate. — Je ne confonds pas les dieux et la divinité, les mythes et les idées car je n'éprouve pas le besoin d'être consolé de mon sort.

Ménétos. — D'où te vient cette assurance, Socrate ? ou cette capacité de ne pas craindre ta propre mort ?

Socrate. — Du fait simple que mon existence trouve son sens et sa réalité dans une participation à l'existence... Pour moi, une vie n'existe que dans la mesure où elle transmet des pouvoirs de vivre et où elle accroît, à sa mesure, les capacités vivantes de refuser la condition des choses... Ce qui nous distingue des choses, c'est le pouvoir de transmettre cette vie, d'en élever l'existence aux hauteurs de la conscience et d'en exprimer le principe d'ordre et de divinité... Elle exige (la Conscience ou la Science) finalement un Amour qui, seul, peut apporter aux hommes le mobile de leurs œuvres et de leurs existences. »

Et le livre s'achève sur cette déclaration : « Il m'importait d'en témoigner. » (« Mon Socrate », pp. 298, 299 et 324)

 

Maxime NEMO

(1)    Collection : Présence-Planète. janvier 1967.

Paru dans Europe 459-460  Année 1967

VALEURS  DU MONDE ACTUEL

En présence de pareils résultats, l'Association J.J.Rousseau se préoccupe de poursuivre la lâche entreprise en rendant permanente la liaison de la pensée de Rousseau et des inquiétudes de l'homme moderne. Elle voudrait aboutir à une définition des VALEURS pouvant incarner les vertus de l'activité contemporaine.

L'esquisse d'une critique des méthodes de discussions au Colloque de Royaumont conduit à cette constatation : l'analyse de la personnalité moderne est demeurée insuffisante ; c'est cet effort qui doit être accompli. A cette œuvre, nous convions les esprits soucieux d'inscrire cette préoccupation dans les marges du temps. Ainsi que le mentionnait l'exposé sur la maturité, les conditions de l'Espace se trouvant, à peu prés, abolies : l'homme est un, ou doit l'être. Il convient de situer l'originalité de cette « condition » et de dégager les conséquences qu'elle comporte. De l'accumulation des connaissances, une « connaissance » doit surgir qui sera celle de l'Homme, ce qui laisse supposer la collaboration de toutes les formes de Rêve : poétique, philosophique, social, politique, etc. Une telle entente peut, seule, édifier un Humanisme, soucieux d'arracher l'existence à l'automatisme du hasard, pour attribuer à la conscience, et à sa volonté, le soin d'orienter l'évolution de l'Espèce.

Le caractère de l'époque nécessite la participation d'une collectivité internationale à toute activité féconde. Il s'agit d'obtenir non seulement l'adhésion, la participation de spécialistes des questions abordées, mais, en même temps, celle de toute ferveur envisageant ce problème des VALEURS que nous proposons à l'attention de nos contemporains.

Une réorganisation de nos « cadres » est entreprise. Elle nous permettra d'associer à l'action du Comité-directeur des personnalités du monde entier. Ainsi, nos responsabilités passeront du plan particulier à celui de l'Humain, et, par conséquent, du Monde. Ainsi, également, l'universalité de Rousseau sera pensée par chacun et par tous.

En France. Nous nous préoccuperons d'avertir tous les milieux universitaires, en leur demandant de nous apporter l'efficacité des valeurs éducatives pratiquées dans un milieu responsable de la formation de l'esprit humain.

Discernant dans les municipalités une « personnalité morale »,nous les prierons d'intervenir auprès des groupes culturels de leur ville dans l'espoir de les associer à notre action. Des liens devront être établis avec les Quotidiens de la Presse régionale qui ne manqueront certainement pas de faire connaître nos intentions à leurs lecteurs et de les intéresser à cette recherche des « valeurs » de notre Age.

Un tel ensemble nous oblige à envisager la création d'une Revue, assumant la responsabilité d'une synthèse des deux derniers siècles de la vie humaine et la définition des valeurs actuelles. Ce terme « VALEURS » servirait de titre et de programme à l'organe entrevu.

De toute évidence, le moment que nous vivons appelle un approfondissement du pouvoir créateur. Une telle forme d'inquiétude permet d'entrevoir un facteur éthique justifiant la « condition humaine » par une conscience de son destin. C'est en orientant notre action dans ce sens que nous assurerons à Jean-Jacques Rousseau cette postérité spirituelle que l'examen de sa pensée permet de discerner.

 

Nota. — Nous nous permettons de soumettre ces suggestions à votre attention, en indiquant que toute communication doit être adressée à : Maxime Nemo, Secrétaire Général de l'Association J.-J.­Rousseau, 160, avenue Ledru-Rollin, Paris-XIe. Voltaire 63-36.

 

CHRONIQUES UNANIMISME ET CONNAISSANCE DE SOI par l’Arbitre        

Ont paru deux ouvrages qui rendent la foi en la dignité humaine : l'un à la Pensée universelle : L'acte de Vivre de Maxime Nemo, l'autre chez Albin Michel : Le Piéton des nuages (feuillets du temps volé) de Gabriel Delaunay.

L'ACTE DE VIVRE est un livre difficile, hautain ; mais d'un esprit modeste bien qu'il ait entrepris la tâche ambitieuse de sonder le fleuve mystérieux de l'évolution humaine :

« Au-delà des contingences dont elle se plaît à multiplier le nombre, la Vie est-elle animée d'un secret pouvoir que, pour une raison impénétrable, elle aurait pour fonction d'introduire dans l'écoulement du Temps — nature d'une nature seconde, qui serait la nature essentielle? C'est à cette question que notre inquiétude se heurte, engendrant une anxiété dont rien ne nous délivre... Une nature « X » qu'on ne sait d'où venue, sortie d'on ne sait quoi, qui provoque cette confrontation de l'état et de /'être où se découvre le pathétique de notre condition ».

Ce n'est pas la science qui résoudra le problème :

La science répugne à envisager le phénomène qui nous concerne essentiellement et qui est celui de la conscience.

Ni surtout la science actuelle :

« Jamais l'Histoire ne fut à ce degré dépouillée de toute essence de merveilleux, et jamais période n'a affirmé l'exactitude de son anarchie comme en ces temps d'organisation nucléaire où l'individu va d'une génération à l'autre sans se sentir relié au moindre souci d'amélioration de son principe, détourné qu'il se trouve, et, afin d'assurer la perfection des machines inventées, de toute considération de vie intérieure, c'est-à-dire, de son être ».

L'auteur, lui, commence sa recherche dès la Préhistoire :

« Loin de dédaigner cette nature antérieure devons-nous la chérir comme une mère anonyme, cette puissance matricielle, sans laquelle nous ne serions pas »

Il avance d'âge en âge scrutant chaque civilisation, fait une pause éblouie devant le « Miracle grec » :

« L'Art grec donne une représentation des Choses, qui suppose que la Vie n'accepte pas d'être ou de rester séparée d'une partie de son essence et qu'elle entend que son mystère s'incarne dans une figuration esthétique et éthique personnifiant la totalité de son écoulement ».

Il s'arrête longuement à la période du XVIII siècle, à l'avènement de J.-J. Rousseau et l'explosion de la Révolution, faisant une pénétrante analyse de l'aristocratie, arrivée en ce

« siècle des Lumières » au sommet de l'intelligence et de la civilisation, et qui, pourtant, malgré la menace qui pèse sur elle, comme mue par un destin collectif plus fort que l'intérêt individuel, admet et encourage les idées contenues dans « Le contrat social ».

« Cette humanité, qualifiée par sa maturité intellectuelle, devine qu'une heure extrêmement importante pour le devenir de la Race va sonner, que l'élan ne peut reprendre qu'au nom d'une sorte d'absolu humain, exigeant que tout, et par conséquent l'Histoire, soit repensé ».

Une voie s'ouvre, un même courant traverse les êtres. On monte lentement de l'homme à l'Humanité. En 1907, Jules Romains publie : « La Vie unanime ».

« Les hommes ressemblent aux idées qui longent un esprit. D'eux à moi, rien ne cesse d'être intérieur ; Rien ne m'est étranger de leur joue à ma joue, Et l'espace nous lie en pensant avec nous. »

Une nouvelle civilisation se prépare ; le poète a tiré de la Révolution sa quintessence et cette vraie fraternité que dicte l'incompréhensible Amour.

Pourtant, au cours de ses investigations, Maxime Nemo va tout à coup se heurter à l'intelligence moléculaire, à la volonté créatrice et son Acte dans l'Infinitésimal. Comment devant un si vertigineux mystère ne pas tourner sa pensée vers Dieu ?

« Tout ce qui est inventorié existe ; la Science nous aide à nous familiariser avec ce langage des choses et nous passons ainsi d'une évidence à l'autre. Mais à la fin du parcours, l'anxiété, loin d'être dissipée, se pose toujours avec l'unique interrogation du « pourquoi? »

Certes, nous n'en sommes pas encore à révéler le secret du monde. Il faut développer notre intelligence, aiguiser nos antennes.

Et Maxime Nemo de conclure :

« Nous ignorons si Dieu existe. Nous dirons que son existence, en tant que principe initial, ne nous intéresse pas immédiatement, situé qu'il se trouve (ou se trouverait si nous parvenions à la perception de son Fait) à une portée qui ne saurait être la nôtre, puisque celle d'un absolu incompatible avec notre dimension. Il nous suffit de sentir intervenir à travers celle-ci ce qui peut être la conséquence de l'intention divine que nous nommons très simplement l'Amour ; cette force en qui paraît résider le principe des principes, puisque celui de la gravitation universelle

Paru dans : « Les Pharaons » 15 (la Voix des Poètes N°50)  1973 Numéro spécial Jules Romains :la ferveur fraternelle sous la Direction de  Simone Chevallier

 

A un ami Laïque

Si je ne connaissais la qualité de tes convictions, je devrais m’excuser d’écrire ce mot Laïque avec une majuscule, mais comme je sais le degré d’élévation de ta pensée, cette considération me dispense de toute explication.

Il nous arrive fréquemment lorsque nous parlons de ce principe, qui est probablement le principe des principes, d’être quelque peu déconcertés par la superficialité habituelle avec laquelle il se trouve envisagé, c'est-à-dire et simplement sous l’aspect d’une commodité qui a pris naissance au moment où les lois de Jules Ferry instituèrent ce qui fut alors appelé l’instruction obligatoire en 1882, et qui correspondirent en particulier à l’organisation des Ecoles Normales. Il n’entre pas dans ma pensée, pas plus que l’équivalent n’apparaît dans la tienne, de ne pas saluer au passage la naissance de ce principe d’émancipation de l’individu au sein d’une collectivité qui se proposait de lui être fraternelle. Notons en passant que cette disposition affirmait son caractère dans une Europe dont les tendances médiévales étaient encore latentes ; ce qui signifie que la notion de croyance  restait soumise à un impératif dogmatique directement relié à une forme de détermination  monothéiste. Je ne suis pas encore assuré que les promoteurs du nouvel état de foi aient eu conscience  de l’élément révolutionnaire qu’ils venaient d’introduire dans le comportement  collectif et surtout, je ne suis pas sûr que l’élément de libération consciente incarné par le terme Laïque corresponde aujourd’hui à l’utilisation qui est faite de ces quelques lettres, dans leur usage permanent. Et, cependant, le mot n’accède qu’à une signification restreinte s’il ne comporte pas une relation pouvant unir l’homme à l’idée de sa propre transcendance.

Nous avons souvent au cours de nos multiples entretiens parlé de la manie humaine d’expliquer les manifestations de l’univers à l’aide d’interprétations divines ou supposées telles. Te souviens-tu que nous avons fini par nous rendre compte qu’en somme il était impossible de procéder différemment, car il était impossible à l’homme de ses relier à l’expression de la vitalité autrement qu’à l’aide de considérations mystiques. Il est de fait que nous n’envisageons le plus souvent, et selon nous trop souvent la vie de notre espèce que sous l’angle de l’Histoire, ce qui nous conduit de l’homme que nous sommes à  celui que nous pouvons atteindre et avec lequel nous croyons nous identifier aisément. De cet homme connu, nous n’aimons pas déborder vers un autre que nous estimons inconnu et que, pour cette raison nous n’englobons dans notre système d’appréhension ; ce en quoi nous commettons une grave erreur. Car est-il exact que cet ancêtre lointain soit au-delà de notre appréhension mentale, c'est-à-dire de notre vision intérieure ? Bien sûr cet être là n’a pas connu les avantages ni les inconvénients que les découvertes techniques assurent à nos formes d’existence ; mais cette pacotille laissée à part, cet homme fût-il si différent de ce que nous sommes nous-mêmes ? Nous avions passionnément discuté pour enfin nous sentir proches l’un de l’autre au point  d’envisager qu’effectivement   l’ancêtre d’il y a, nous ne savons exactement  combien de dizaines ou de centaines de milliers d’années  s’est trouvé en présence de l             a responsabilité que la Manifestation du Monde lui imposait. Ce Monde lui était antérieur de nous ne savons combien de milliards d’années et c’est devant ce Fait qu’il s’est trouvé avec des prunelles largement ouvertes et une forme de divination intérieur  anxieuse de procéder à l’inventaire comme à la possible explication  d’une telle quantité de phénomènes qu’en se couchant le soir sur un lambeau de terre, son anxiété devait lui paraître insurmontable. Mais, cher, tu le sais comme moi, il n’avait d’autre puissance d’analyse que ses sens et par conséquent, que son émotion sensitive. Or, veux-tu te représenter ce que cet être, en tant que force incarnait ? Pas tout à fait rien, mais pas loin de ce résidu. Comme nous manquons de fraternité vis-à-vis de nous-mêmes ! C’est-à-dire vis-à-vis de la Race. Ah nous atteignons ici le point terriblement faible de toute la race humaine : nous ne nous aimons pas en tant qu’Homme ; et tu me permettras aussi d’écrire ce mot avec une majuscule qu’il mérite  si bien ! Ce que nous savons de notre principe, nous l’apprenons  par ce que la Science  nous révèle et qu’elle fait bien de nous révéler puisque, sans elle nous ne saurions rien de nous-mêmes, que ce que la mémoire immédiate nous apprend ; mais sens-tu à quel point cela est insuffisant.

Ah, cher, comme notre vie manque de profondeur parce que de liens avec elle-même et peut-être, mais ceci est une autre affaire : avec elle seule. Car cet homme lointain, si lointain que sa trace s’est dissipée dans l’accumulation des durées successives, cet homme – nous, qu’a-t-il vu ? Un monde peuplé d’apparences au milieu desquelles la sienne se dressait, en apparence, toute seule – comprend ce fait : en apparence unique. Et dans une certaine mesure, elle était unique en effet ; car sans elle et sans la contestation plus ou moins arbitraire de son unicité, cet univers qui se manifestait autour de la stature humaine, il était muet. Oh, entendons nous bien ; nous sommes obligés en cet instant et ce ne sera pas la dernière d’avoir recours à une interprétation relative de la réalité. Il est donc inexact que cet Univers soit muet. Nous n’avons qu’à tendre l’oreille et nous savons qu’elle enregistrera un peuple de vibrations sonores. Donc l’Univers n’est pas muet, mais comprends moi, lorsque je tenterai de dire que ces voix multiples sont, comment dirai-je, car, tout, dès ce moment est tellement difficile à expliquer ! Ces voix sont vibrantes sans être pour cela interprétatives. Disons au moins que le sens de leur interprétation possible ne nous parvient pas. Elles sont auditives puisque nous les entendons, sans être pour autant explicatives. Or, le premier mystère de cet être qui se dresse dans la nudité, en quelque sorte de sa stature non seulement physique mais avant tout mentale, c’est d’incarner un désir supérieur à celui du mystère puisque celui de sa compréhension.

Dès lors, comprends-tu ce qui vient de se dresser – mettons tout à coup, bien que le geste ait demandé du temps, c’est le premier sens révolutionnaire de l’Existence.

Voyons, il faut une fois de plus essayer de nous comprendre. Je ne dis pas que cet homme a été créé, au sens ordinaire du mot ; je ne le crois même pas, car les découvertes qui viennent de se produire – disons modestement depuis 50 ans- ces découvertes nous ont révélé de quelle façon le corps se forme et avec l’aide de quelle fornication d’éléments qui n’ont d’autres raisons d’être que celles de leur association depuis le mode le plus infime jusqu’à sa représentation que nous appellerons intégrale parce qu’il semble qu’elle ne saurait aller plus loin dans le sens de ce que nous appelons la structure. Ainsi, tu le vois, l’homme n’est pas sorti du caprice d’un dieu hétérogène subitement obsédé par le désir de se procurer une ressemblance, il a été « fait » par une volonté de patience à l’image de l’immensité qui lentement, point par point, assemble des particules afin, mais ceci n’est qu’une interprétation subjective, afin de constituer un ensemble qu’on peut, à la rigueur estimer cohérent, parce qu’il respire, qu’il vit et qu’il meurt. N’allons pas plus loin pour l’instant .Cet être – pardon ! cet état que tu es dans son apparence qui a si peu changé, que tu es, il y a – mettons 500 000 ans- qu’est-il sinon cet agglomérat d’éléments physico-chimiques grâce auxquels et quand il aura atteint un certain degré de développement, il va, avec le temps, produire un système de circulation de l’air, de l’oxygène et d’autres conséquences ambiantes avec lesquelles, donc, va se composer l’état, tu vois, je dis bien l’état de cet homme. C’est déjà considérable ce qu’a fait cette force qu’un jour nous nommerons la Nature, ou, si tu préfères, la Vie. Cet état il a pris place parmi d’autres états plus ou moins achevé, ou plus exactement plus ou moins achevables que le siens. Il circule selon un mode de locomotion que j’ai quelque peine à imaginer au milieu d’autres systèmes d’autre locomotion, ou, plus exactement de la même ; car il est probable que l’unique problème consiste à se déplacer de tel point à tel autre sans risquer que l’aventure ne soit contrariée par un quidam quelconque que ce mode de déplacement pourrait irriter. Car, sans ce monde que nous sommes obligés de supposer, rien n’est à l’abri de l’autre et les esprits qui surviendront un jour, lorsqu’ils prétendront que tout a commencé par l’âge d’or auront bien de la chance de pouvoir émettre cette prétention à une période heureusement fort éloignée de la période des reptations auxquelles nous faisons allusion. Mais, n’est-ce pas, l’histoire de la Vie est si longue et si invraisemblable qu’on peut se permettre de tout relater, même l’invraisemblance. Ne disons donc pas que nous sommes sortis tout fabriqués d’on ne sait quel magasin de confection pour espèces, mais au contraire que notre sens de la Vie, obligatoire, a fait son rude apprentissage, pour finalement savoir se tenir debout dans un commencement d’équilibre qui a dû nécessiter pas mal d’essayages avant de coller aux prééminences du squelette – à moins que celui-ci ait été au reste.

Or, sans nous abandonner à un mode quelconque d’interprétation, qu’est-ce qui est à ce moment ?

Rien d’autre Frère que l’Existence : ce qui veut dire que les Dieux et leurs contingences sont encore d’être dans ce grouillement des effets qui sont sans être en réalité, puisque ni toi, ni moi, ni « Lui » l’ancêtre nous ne sommes, bien qu’existant sous une apparence parfaitement inconnue. Nous grouillons tout simplement dans un Univers qui se fait et qui, probablement n’est pas satisfait de son apparence puisqu’il va entreprendre de faire autre chose que ce qu’il a réussi à faire jusque là.

Si nous nous penchons sur ce qu’il peut alors représenter, que pouvons-nous imaginer ? Mais attention, je viens de faire intervenir un terme  qui paraitrait inadéquat car enfin, si nous nous inclinons sur le total probable  de ce qui est, nous n’apercevons aucune trace de ce que ce monde peut représenter. Si l’imagination existe, sans être pour autant insensible, elle est probablement invisible. Elle reste aussi à l’état de molécule, mais entendons nous bien, de molécule non seulement invisible mais probablement impalpable. Et pourtant elle existe parce qu’autrement elle ne serait pas, elle ne serait jamais. Il nous faut donc non plus regarder en arrière, non plus considérer le présent, c'est-à-dire ce qui est, mais nous porter en avant à l’aide de ce pouvoir invisible  qui existe à coup sûr, sans posséder d’apparence saisissable. Tout est dans sa substance, mais cette substance n’est pas fixe, elle change, elle change mon ami, d’instant en instant, à tel point qu’au moment où j’exprime sinon une pensée, mais au moins une tendance, l’instant qui a contenu ma proposition est déjà dépassé et renvoyée vers un antérieur qui signifierait la mort si la mort pouvait exister.          

Et bien mon ami, ce qui existe en substance dans la substance, c‘est l’être, c'est-à-dire non pas l’opposé de l’état, mais son invisible complément. Et voilà, nous sommes toi et moi  devant la grande échéance que, peut-être la constitution du Monde attendait et que sans doute elle préparait dans la gestation progressive de l’état initial. Ne me demande pas ce que nous venons faire dans l’aventure gestative, car tu m’obligerais à répondre que la gestation, ça est mais ce n’est rien, puisqu’un souffle qui fait une ride ; à peine son expiration achevée tout est éteint et cependant tout a été. C’est une forme d’économie qui donne tout à l’accidentel. Mais curieux que tu es, tu me demanderas : « Alors l’éternité ? ». Mais mon ami l’Eternité elle existe ; seulement pas qu’à l’état d’abstraction mais aussi, et tu vois que je dis : « aussi », à l’état de faits. Il faut supposer que les deux états co-habitent et tout porte à croire que c’est afin de s’entendre, ou, si tu préfères de co-habiter. Nous avons du pain sur la planche.

Il nous faut donc dans ce passé immémorial assister à la déflagration du futur ? Or, qu’est-ce qui va naître de l’agglomérat déjà en voie d’épanouissement ? Des états qui se composent , se forment, se composent et se forment en des à peu près de plus en plus perfectionnés ou, si tu préfères de plus en plus capables d’exister. Mais ce mot s’il comporte cet état sans cesse progressant, s’il comporte sa chose sans cesse plus élaborée, s’il comporte sa Matière de plus en plus accessible à sa fonction, à quelle impulsion de plus en plus cohérente obéit-il ? A la volonté de la fonction, évidemment. Mais alors à quelle impulsion de cohérence la fonction se trouve-t-elle soumise si ce n’est à celle d’une intelligence de soi même qui permet de supposer l’existence d’un destin ou enfin d’une intervention à laquelle nous donnons ce nom pratique autant qu’il est incompréhensible : l’être.

Ou nous ne comprenons rien à l’Existence – ce qui d’ailleurs est parfaitement admissible – ou bien, vois-tu, tout ce qui se fait, tout ce qui se brasse dans cet ensemble qu’on pourrait croire, qu’on devrait croire incohérent, tout ceci ou tout cela reste incompréhensible si l’être ne constitue pas le sommet, l’émergence de l’ensemble qui comprend la planète que nous habitons, le système galaxique auquel il semble que nous appartenions et les autres ensembles qui rôdent autour du nôtre en ajoutant leur structure à la nôtre pour constituer ce que nous nommons d’un terme imprécis : l’Univers. Tout cela n’est rien  si l’être n’est que l’illusion de notre imagination délirante. Bien, mais alors qu’est-ce que l’être ? Eh bien et pour ridicule que puisse paraitre l’assertion, cher, l’être c’est toi, c’est moi, ni plus ni moins. C’est à dire, et je te demande de ne pas bondir en présence de l’affirmation que je vais proférer : « l’être c’est le Laïcisme dans son essence ; ce que, tour à tour nous nommons le « toi », le « moi », c'est-à-dire encore le « Soi » indémontrable autrement que par lui seul et par lui-même.

Il m’arrive d’entendre assez souvent des gens prétendre en face de certaines expressions de penseurs plus ou moins énigmatiques : « que tout cela est compliqué ! ». Mais croient-ils naïvement que la Vie soit simple ? Juges-en. On ne sait exactement pourquoi un système deviendra l’Energie entre en branle. Cela commence nous apprend-on et si l’on considère que l’aventure de notre système solaire par l’apparition, disons la manifestation de gaz. On dit car on ne peut encore remonter au-delà, d’hydrogène pur, d’hélium qui se mettent à envahir ce que nous supposons être le vide. Puis, cela se condense presque à perte de vue, - une vue qui n’existe pas encore afin de former le premier atome de Matière dont, nous dit un savant ( celui là et quelques autres) qu’on ne sait pas d’où elle vient, mais que simplement : à un moment, elle n’est pas là et que l’instant après, on constate sa réalité (Fred Hoyle). Tu vois comme c’est facile à comprendre et à quel degré l’opération divine parait simple à côté de celle-ci. Au moins avec un dieu créateur, le mal de tête est évité pendant une période incommensurable  de la Durée, il n’y a rien et puis, tout à coup et grâce au caprice de ce génial individu, tout existe. Un petit geste de ce parfait comédien dell arte et, mon vieux, le  soleil, les étoiles, la fantasmagorie des eaux, des sols productifs, des animaux consommables, de l’homme enfin et de la complicité féminine, tout cela est institué – c’est le cas de le dire, comme par enchantement. La malheur est que tout cela est entaché d’inexistence parce que, ce n’est pas vraisemblable et qu’il a fallu tout simplement le génie d’un poète pour aboutir à une représentation qui ne représente rien si ce n’est la faculté d’invention  de l’individu Moïse.

Si nous n’avions que cela à placer dans le frigidaire de la mémoire, notre préoccupation mentale se réduirait à la constatation de quelques phénomènes parfaitement épisodiques et à la répétition de quelques formules du bréviaire dogmatique institué par le cher homme.

La réalité est autrement vaste et compliquée. Est-ce à dire que celle de Moïse et consorts est dépourvue d’attraits ? non pas ;mais elle n’est qu’un reflet dérisoire de la somme d’intérêts que la  vraisemblance existentielle propose à notre attention et que le problème de l’être s’y affirme avec une ampleur que sous peine de superficialité  nous ne pouvons éviter. En tant que Laïque, tu tiens ce problème du monde dans les limites de ta main, c'est-à-dire plus exactement, dans les ressources de ton appareil cérébral. Mais pour cela il faut que tu te plonges dans l’immensité de la résonance des effets innombrables et sans prétendre étreindre les possibilités de la cause initiatrice de la formation cosmogonique. Car tout est là, et nous pouvons dire que les théories théogoniques manquent de modestie en même temps que d’intelligence en affirmant d’entrée de jeu la véracité du mot Dieu. Car à partir de cette affirmation, tout est découvert et il n’est plus besoin d’inventorier. Comprends-tu : Dieu est ; dès lors qu’importe que le Monde soit constitué de telle ou telle autre façon, puisque l’essentiel existe et a été saisi par notre appréhension du tout.

Maxime NEMO (1888-1975)     

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:15

Chapitre IV

Articles parus dans la revue EUROPE (de 1961 à 1967)

L'HOMME SELON ROUSSEAU

Bien qu'il paraisse à peu près impossible de nous représenter les premiers tressaillements de la pensée et les images qu'ils firent éclore à travers notre sensibilité mentale, il est toutefois permis d'affirmer que l'Homme est la cause de toute expression littéraire.

Sans doute devons-nous supposer qu'il ne s'est pas immédiatement déduit de sa perception des choses environnant son existence ; mais un jour — qui sait de quelle durée ? l'intuition de son phénomène s'est obscurément glissée dans les frémissements de sa réflexion, faisant intervenir une différenciation, jusqu'alors inaperçue. A partir de ce moment, la certitude de soi s'est ajoutée à celle de l'existence, et, sans qu'il soit permis d'aboutir à une démonstration, on peut prétendre que l'Homme est né de cette coïncidence.

Nous ne connaîtrons probablement jamais la nature des angoisses, des enthousiasmes que cette certitude de soi-même a sans doute imposés à la succession des êtres qui nous ont précédés dans le rude chemin de l'existence. Des centaines, des milliers de siècles nous séparent de ces premiers émois.

Cependant, c'est cette invisible accumulation qui devait conduire, il y a à peu près deux mille cinq cents ans à l'orgueilleuse mais décisive affirmation de Protagoras « L'homme est la mesure des choses » ou du monde.

Nous ne rappelons la phrase, si souvent citée, que pour indiquer sa signification ; car, à partir de cette expression, il semble que l'Homme considère que l'aventure vitale a perdu une part de son obscurité première, ou antérieure, au moins, que son mystère cesse d'être impénétrable. A partir de ce moment, si l'Homme ne se considère nullement comme le créateur des choses ; au moins, adopte-t-il la posture de témoin de l'existence. Par cet apport, qui est celui de son originalité, il indique l'extension du simple sensoriel vers le spirituel, et leur possible cohésion dans la faculté intellectuelle. Or, ces particularités ont pour conséquence de relier l'ensemble des manifestations vitales à un pouvoir de compréhension, et, finalement, de connaissance, que rien ne permettait de prévoir avant l'intervention humaine ; ce qui fait, au peut faire, que la Vie se double d'un état qui peut être celui de la lucidité.

Certes, ce n'est pas sans effroi qu'on mesure l'ampleur de la responsabilité imposée aux représentants de notre espèce.

Correspondre à « la mesure des choses, ou du monde », c'est se trouver dans l'obligation, tôt ou tard, de traduire le langage de la Vie ; de justifier, peut-être, ses manifestations au nom d'une pensée d'ordre dont, après tout, nul n'est sûr qu'elle soit autre chose qu'une préoccupation subjective. Il faut saisir les effets de cette vie, et les « organiser » pour répondre aux sollicitations d'une volonté cherchant à entraîner la vie du tout, vers une justification qui se voudrait rationnelle. Une telle prétention suppose une nouvelle exploration de ce qui nous environne ; et faite, cette fois, au nom d'une curiosité qui se propose d'interroger le mystère initial avec l'intention de le soustraire, de l'arracher à la contamination de tout fabuleux, pour, en somme l'amener, et certains diront le réduire, aux proportions de la dimension humaine.

Sans, pour autant, avoir, peut-être, la possibilité de remonter jamais aux sources de la formation originelle.

Mais si nous évoquons ce problème, c'est avec l'intention d'aboutir au rappel d'une particularité qui ne nous parait pas toujours suffisamment signalée cette hantise du Monde

et de sa nature possible, a pour conséquence de détourner, trop souvent, l'Homme de l'attention de son propre phénomène. Souvent perdue dans les manifestations d'une existence illimitée, l'Espèce oublie son cas. La Vie, objet de notre connaissance, sans doute ; mais l'Homme serait-il permis de demander. Or, trop souvent, trop longtemps en tout cas :l'homme, son principe, sa condition, son organisation se voient comme abandonnés à la simple efficacité du hasard.

Si bien que, de développement en développement, et, il faut ajouter : d'improvisation en improvisation, on parvient à ce milieu du XVIIIe siècle, et, très exactement à Jean-Jacques

Rousseau, en un état de perception suffisamment larvaire pour autoriser la ligne qu'il écrit dès le début de la préface de son Discours sur l' Inégalité 1753-54 :

La plus utile et la moins avancée de toutes les connaissances humaines me parait être celle de l'homme.

Par conséquent, toute l'Histoire, et, à plus forte raison : la Préhistoire se sont écoulées sans que l'inquiétude du phénomène ait été dissipée. Même à cette époque qui est la nôtre, la somme d'ignorance est loin d'être écartée puisqu'Alexis Carrel pourra donner ce titre à son livre

 « l'Homme, cet inconnu » et écrire ceci : « Malgré l'étendue de nos connaissances, nous ne nous sommes jamais embrassés d'un regard assez général ».

Il semble, cependant que l'avertissement ne puisse concerner Rousseau, qui, dès ses premières affirmations laisse entrevoir qu'il est obsédé par cette question de la Connaissance de l'Homme. S'il s'insurge contre la science, c'est qu'elle lui parait s'écarter de l'approfondissement de sa cause et de son but. La Connaissance, selon lui, doit avoir ce centre et ce terme : l'homme ; sinon, elle reste superflue. Mais de quel homme est-il question ? Les couches humaines se découvrent aussi juxtaposées que celles de la géologie. Mais le génie de Rousseau n'est pas déconcerté par les difficultés rencontrées, et c'est l'homme fondamental qu'il a l'ambition d'identifier. Avant les ethnologues de notre temps, il possède ce souci de remonter — autant que cela est possible à notre pouvoir d'investigation, à l'être le plus originel qu'il soit permis d'atteindre. Comme tant de rêveurs, ce rêveur est un réaliste. Il s'inquiète par conséquent de savoir : Comment l'homme viendra-t-il à bout de se voir tel que l'a formé la Nature, à travers tous les changements que la succession des temps et des choses a dû produire (tans sa constitution originelle, et de démêler ce qu'il tient de son propre fond d'avec ce que les circonstances et ses progrès ont dû ajouter à son état primitif ? Discours sur 1' Inégalité. Il ne rencontre en effet, depuis qui sait combien de millénaires à la place de la nudité originelle :

...que le difforme contraste de la passion qui croit raisonner et de l'entendement en délire. Dès lors...comment connaître la source de l'inégalité parmi les hommes si l'on ne commence par les connaître eux-mêmes (id.).

Par ce qui est ici affirmé, nous devinons déjà tout ce qui écarte Jean-Jacques Rousseau des Encyclopédistes ; pourtant, la rupture n'interviendra qu'au moment de son grand repliement sur lui-même, mais, dès cet instant, nous devinons qu'ils sont séparés par l'abîme creusé, grâce à la Révolution, entre deux âges humains ; celui auquel se rattache le 18e ne traduisant qu'une déduction intellectuelle de la Vie ; tandis que le suivant tentera de lier le pouvoir de l'Intelligence à l'interprétation du Rêve, en laissant intervenir ce facteur tout puissant : la sensation. Ce n'est ni par la mémoire et moins encore par l'analyse qu'il est permis de remonter à la perception des structures originelles, mais par une émotion intuitive recréant sinon l'ensemble, au moins la plus grande part de condition humaine. Aussi, à ce moment (1753) où il rêve (le présenter une sorte de parcours de l'Espèce à travers la Vie, n'est-ce pas à la connaissance historique qu'il s'adresse, mais à lui-même, à sa puissance de rêve. Il délaisse les bibliothèques et s'enfonce seul, dans la forêt de St-Germain.

« Ce fut, je pense, en cette année 1753, que parut le programme de l'Académie de Dijon sur l'Origine de l'inégalité parmi les hommes. Frappé de cette grande question, je fus surpris que cette Académie eût osé la proposer ; mais, puisqu'elle avait eu ce courage, je pouvais bien avoir celui ci de la traiter et je l'entrepris. Pour méditer à mon aise ce grand sujet, je fis à St-Germain un voyage de sept à huit jours... Je compte cette promenade pour une des plus agréables de ma vie... Enfoncé dans la forêt, j'y cherchais, j'y trouvais l'image des premiers temps... comparant l'homme de l'homme avec l'homme naturel... Mon âme, exaltée par ces contemplations sublimes, s'élevait auprès de la Divinité...  » De ces méditations résulta le Discours sur l'inégalité. (Les Confessions, livre VIII.)

Sous cette simple et profonde apparence, c'est en réalité la spiritualité de deux positions mentales qui se trouvent confrontées par la phrase : « l'homme de l'homme » que Rousseau oppose A « l'homme naturel ». La première déduction contient l'être classique, alors que l'autre porte en elle l'essence d'une spiritualité romantique. L'émotion humaine cesse d'y être uniquement intellectuelle, pour indiquer, traduire l'effervescence lyrique. L'homme tente de se soustraire à la domination de l'humanisme abstrait, pour rejoindre la vie des choses et subir leur imprégnation.

Le romantisme n'est rien d'autre qu'un rattachement mental de l'Homme à l'Existence. Or, s'opposant, à cette cause de fécondité, la suprême incarnation du classicisme qu'est le 18e siècle, n'aboutit (va la stérilité définitive. En effet, son principe de « l'homme par l'homme » ne propose en réalité d'autre solution que celle de l'homme par l'homme de Cour ou du Monde. Ainsi, les monarchies occidentales ont privé l'Espèce de toute chance de renouvellement. C'est en présence de ce vide que se trouve l'aristocratie française.

Avec un effroi teinté d'épouvante, elle découvre l'aboutissement de son principe, tout en se soupçonnant incapable de le modifier. C'est en fonction de cet ensemble que se réalise le plus paradoxal des accords jamais vus : d'une société, visiblement parvenue au dernier degré d'un raffinement inutile, et de cet homme : Rousseau Mais l'élite sent, à travers lui, sourdre la possibilité d'un renouvellement dont elle se déclare incapable. Et la perception de ce désarroi procure au penseur sa certitude. Il est l'avenir, le devenir... tout le reste, pourrait déjà dire Verlaine, est littérature. Et c'est ainsi que le symbole de la Volonté s'incarne en lui, comme celui de la Révolution qui doit être entreprise, si l'Homme veut parvenir à la réalité de son principe. Et c'est pourquoi Hegel dira Rousseau est le premier qui ait posé ce principe : l'homme est volonté, et il n'est libre que dans la mesure où il veut ce que sa volonté veut.

Nietzsche, de son côté notera quelles conséquences s'éveillent avec cet homme

Dans tous les séismes sociaux, c'est toujours l'homme selon Rousseau qui agit, pareil à l'antique Typhon sous l'Etna... Et s'il s'écrie : « Seule, la nature est bonne, seul, l'homme naturel est humain, c'est encore qu'il se méprise et aspire à se dépasser ; dans cet état, l'âme est prête à des décisions redoutables, mais fait appel aussi à ce qu'elle a de plus noble et de plus rare en elle ». (Considérations, intempestives Aubier 1954, trad. de Geneviève Bianquis.)

A travers tout le développement de l'influence rousseauiste, nous sentons l'homme envisager le retour à sa condition organique, afin de se voir dans sa totalité. Il lui faut, et il le sent, se libérer d'on ne sait quelle quantité de considérations abstraites venues du religieux, du philosophique, du social et, naturellement du légal. Toutes ces puissances enfantées au nom de volontés secondaires, étouffent sa chance d'expansion vers lui seul. Certes, il n'est pas certain que Rousseau ait eu l'absolue notion de sa puissante, de son extraordinaire originalité ; ceci importe peu, puisqu'il se conduit exactement comme si la perception guidait ses gestes et ses pensées. Il est d'abord l'homme rêvant l'Homme dans sa condition initiale, car l'état sauvage est déjà une post-image de la première figure.

Il nous propose le Rêve comme source d'inspiration ; la survivance des dons primordiaux pouvant alors parvenir jusqu'à la sensibilité mentale et illuminer sa réflexion. Pour une telle entreprise, la solitude lui semble indispensable. Il quitte Paris, les relations acquises, les chances de succès, pour se trouver seul, détaché de tout, devant la virginité de la vision. Il espère, par ce moyen, parvenir à la totalité de la puissance individuelle. C'est dans les bois de Montmorency et après qu'un orage passionnel l'aura secoué jusqu'à ses ultimes profondeurs, que le rêve s'ébauche, de l'Homme uni à la vigueur des Choses. Elles sont la permanence de la vitalité, le témoignage accessible à la méditation. Les œuvres vont naître, de cette rencontre, à l'état de grandes enjambées qu'il fait à travers le mystère existentiel. Pendant un court espace de temps : 1756-1762 — et encore, convient-il de soustraire la période d'adaptation qui dure presque jusqu'à la fin de la première année de son séjour — c'est la Lettre à d'Alembert sur les spectacles ; c'est la Nouvelle Héloïse, ce roman qui est un tel témoignage I Et ce sont enfin, les pages inoubliables d'Émile (ou de l'éducation) et le puissant Contrat social devant lequel l'esprit ne cesse de réfléchir.

A l'aide de cet ensemble, il entreprend, selon l'expression d'Alain « d'ébranler le monde », non pour le seul et vain plaisir de s'extérioriser, mais avec l'intention de participer à sa possible orientation

La pénétration de ce rare et puissant esprit, nous dit encore Alain, devait ébranler le monde. Car partout OÙ il a porté sa lente attention, l'attaque est directe. Mais je dis plus, je dis que l'invention en cet auteur a de quoi nourrir les siècles. (Histoire de mes pensées, Politi­que.)

Et sans doute, le rayonnement de cet esprit est-il en partie dû à cette volonté d'atteindre l'homme dans son état fondamental, par conséquent, de construire un humain permanent, pouvant, au besoin, avoir l'efficacité d'une référence constante :

« Je méditais donc sur le triste sort des mortels flottant sur cette mer des opinions humaines, sans gouvernail, sans boussole et livrés à leurs passions orageuses, sans autre guide qu'un pilote inexpérimenté qui méconnaît sa route, et qui ne sait ni d'où il vient ni où il va. » (Émile, Profession de foi du vicaire savoyard.)

Mais alors, et les philosophes ? leur langage l'a déçu : « Si vous pesez les raisons, dit-il, ils n'en ont que pour détruire » (id.).

Est-il donc plus fort que tous les autres ? Il est plus simple, voilà tout. Le raisonnement l'intéresse moins d'ailleurs que la relation existentielle. Et encore, entend-il lui assignerdes limites ; car, dira-t-il « Nous n'avons point la mesure de cette machine immense. » Et, aussi : ...des mystères impénétrables nous environnent de toutes parts... Pour les percer nous croyons avoir de l'intelligence, et nous n'avons que de l'imagination.

Alors ? Eh bien, il faut se défier des systèmes et s'en tenir à l'Existence. Mais par quoi ? Mais par elle ; par ce lien qu'elle nous assure : nous-mêmes. L'immense (ou intense) simplicité d'abord : J'existe, et j'ai des sens par lesquels je suis affecté. Voilà la première vérité qui me frappe et à laquelle je suis forcé d'acquiescer. (Emile.)

Enfin ! serait-il permis de s'écrier : l'Homme-organique. Observons en passant la différence avec Descartes « Je pense, donc je suis », position abstraite et qui conditionne l'Existence. Rousseau part du concret. Si nous étions logiques et ne faisions pas dépendre l'existentialisme de faux existentialistes, nous tiendrions ce point de départ : tout débute par une constatation vitale (énergétique, serait-il possible de dire encore). Rousseau crée comme une intimité de palpitations entre l'effet et sa réception immédiate. La perception tient d'abord au sensible pour parvenir, mais ensuite, à sa réflexion. Le « Moi » s'instaure, mais par l'effet d'une similitude d'impressions sensorielles

« Mes sensations se passent en moi, puisqu'elles me font sentir mon existence. » Et il aura cette remarque hardie : «  Ainsi toutes les disputes des idéalistes et des matérialistes ne signifient rien pour moi » (souligné par nous).

D'abord, par conséquent, une admirable passivité émotionnelle ; l'Existence est cet extérieur qui va vers le sujet qui le reçoit. Il est encore intellectuellement nul en présence des impressions :

« Cet être passif sentira chaque objet séparément, même il sentira l'objet total formé des deux (sensations et manifestation intelligente) ; mais n'ayant aucune forme pour les replier l'un sur l'autre, il ne les comparera jamais, il ne les jugera point ». (Emile.)

Cependant, une impression, mais, cette fois, de jugement se dégage des afflux sensitifs, et une forme d'indépendance se fait jour qui est celle de la faculté enfin intelligente. C'est alors que naît un « Moi », frémissant d'impressions vitales ; et la constatation se fait : « Je ne suis donc pas simplement un être sensitif et passif, mais un être actif et intelligent ».

Et c'est cette remarque digne d'attention :

« M'étant, pour ainsi dire, assuré de moi-même, Je commence à regarder hors de moi, et je me considère avec une sorte de 'frémissement, jeté, perdu dans ce vaste univers, et comme noyé dans l'immensité des êtres, sans rien savoir de ce qu'ils sont, ni entre eux, ni par rapport à moi. Je les étudie, je les observe ; et, le premier objet qui se présente à moi pour les comparer, c'est moi-même ». (id.)

Une chance de parvenir à la nature indemne de l'Homme nous est donc suggérée. Par-delà l'Histoire et la Préhistoire (qui d'ailleurs n'existait pas encore) l'Individu est le résultat valable de la Nature. En l'innocentant de toutes les causes secondes, ou fortuites, peut-être avons-nous quelque chance de parvenir à l'intégrité initiale. C'est évidemment la porte ouverte à toutes les formes d'intuition, de connaissance, où réalisme, lyrisme se 'trouvent consciemment ou inconsciemment associés, pour aboutir à ce surréalisme dont notre âme moderne s'est enrichie. La Nature est cette évidence offerte à notre investigation. Il n'est d'ailleurs pas question de voir en elle une force « fraternelle », mais cet inépuisable état dans lequel le nôtre se sent inclus. L'Homme peut être le témoin de l'Existence, surtout s'il dispose de ce pouvoir si magnifiquement défini par Bergson comme celui de « la sympathie divinatrice ».

 L'Homme est alors un lieu de convergences qui assemble en soi les effets de l'Existence pour les interpréter, grâce à l'apport d'un subtil mélange de sensations (d'inspiration ?) et de réflexion. Hors un terme suprême qui est Dieu, la constatation est ouverte devant lui et c'est elle qui le place au Premier rang des êtres :

« ...par mon intelligence, je suis le seul qui ait inspection sur le tout. Quel être ici bas, hors l'homme, sait observer tous les autres, mesurer, calculer, prévoir les mouvements, leurs effets, et joindre, pour ainsi dire, le sentiment de l'existence commune à celui de son existence individuelle ? » (1' Emile, Profession de foi du vicaire savoyard. )

Témoin de l'intense palpitation de la fécondité qui a l'amour pour cause, comment ne reporterait-il pas sur l'homme l'essentiel de la leçon qui se dégage de sa contemplation ?

C'est cet élan qui lui dicte ces Phrases dont l'enthousiasme incite l'esprit à approfondir sa pensée :

La justice est inséparable de la bonté ; or la bonté est l'effet nécessaire d'une puissance sans borne, et de l'amour de soi, essentiel à tout être qui se sent. Celui qui peut tout étend, pour ainsi dire, son existence avec celle des êtres.

C'est le principe de la cohésion intérieure, dont le report vers l'extérieur parait inévitable ; et c'est cette « force » qui l'incite à déclarer mauvaise, malsaine, toute société en qui cette valeur principale n'est pas respectée. Dans une telle forme de « contrat » toute hiérarchie devient fatalement la caste, et favorise la tendance au particulier, aux dépens du général qui est aussi le tout. Or, la loi fondamentale de Rousseau suppose un Amour conduisant au bien, c'est-à-dire, englobant dans sa puissance la masse la plus totale d'existence.

C'est le frémissement panthéistique, mais, cette fois appliqué à l'Homme pour constituer l'humain, c'est-à-dire : sa valeur supérieure, sa puissance d'attraction vers le tout. C'est de ce frémissement du global dans 1' Individu que naîtra, si vite après lui, le Romantisme. En ce qui le concerne, il veut un Amour qui soit ordre, donc : totalité ; car, note-t-il avec circonspection :

Il y a quelque ordre moral partout où il y a sentiment et intelligence. La différence est que le bon s'ordonne par rapport au tout, et que le méchant ordonne le tout par rapport à lui. Celui-ci se fait le centre de toute chose ; l'autre mesure son rayon et se tient à la circonférence (id.). Il n'est que de jeter un regard sur les diverses formes d'aristocratie des monarchies occidentales, comme sur « les castes ) des sociétés actuelles pour sentir la force du précepte de Rousseau.

Si dans la vie universelle, et selon la phrase du Poète « La Nature est un temple », sur le plan de la société humaine, le Peuple aussi est ce tout auquel notre souci, notre besoin d'amour de nous-mêmes doit aboutir. De même que la Nature est la source de toute émotion, le Peuple est celui de toute adhésion ; il faut s'unir à son principe, source de toute souveraineté, et par conséquent, source de toute justice.

Dans l'ordre social, il est l'équivalent organique à celui que propose la Nature ou la Vie dans l'autre règne. Une émotion, de nature identique doit nous souder à la réalité collective, qui est le point de départ de toute valeur juridique, parce qu'elle incarne la puissance, la seule qui soit vraiment effective, du Grand-nombre.

Cependant, là non plus, le juridique, qui est un abstrait, peut être le principe en soi ; là encore, il découle de l'organique. Nous ne devons pas dire : « 11e. Pense, donc je suis », mais bien « J'existe, parce que j'adhère » et, bien entendu à la somme la plus complète d'individus. A cette condition seule, une société peut tendre à l'harmonie et devenir la réalité du Contrat Social, par l'effet d'une dépendance qui « organise » l'indépendance. C'est cette sorte d'apparente contradiction dont Alain, encore, signale l'extraordinaire puissance.Le Contrat Social n'était pas moins effrayant que l' Emile... Tout est dit là-dessus dans le chapitre qui a pour titre : Le Droit du plus Fort ; et je tiens qu'on n'a rien lu de pareil depuis Platon... Ce titre (le Contrat social) n'annonce nullement, comme on feint quelquefois de le croire, une étude sur l'origine des sociétés ; non, c'est bien plus grave.Il s'agit de formuler les titres d'une société supposée légitime, c'est-à-dire qui aurait le droit de compter sur la libre obéissance (le ses membres... En cette situation personne n'obéit et personne ne commande, chacun est à la fois souverain et sujet ; comme souverain il décrète ce à quoi il devra obéir comme sujet. Cette situation étrange, d'un peuple debout et délibérant, n'est jamais réalisée à la rigueur, sinon pour un très petit peuple. Et pourtant un peuple n'est un peuple qu'autant qu'il se renouvelle, et presque à chaque minute, ce serment de lui-même à lui-même. (Histoire de mes pensées, Politique.)

Lorsque dans nos bavardages, nous faisons allusions à la,« dignité humaine », il n'est pas sûr que nous ayons toujours conscience de la responsabilité que nous imposons à Homme.

Pris dans un temps qui est celui de notre génération, ou de la précédente, ou de dix générations antérieures, nous nous irritons fréquemment des obstacles qu'un réel, aussi momentané que nous, oppose à nos impulsions. Mis en présence des tendances affirmées par Rousseau, nous nions le réel de son rêve. Nous oublions alors la position de cet esprit par rapport au Temps et qu'il est ce Temps lui-même et son implacable sérénité. Or, sa grandeur est de confier le problème de la Vie à la Vie elle-même. A peine commençons-nous à concevoir

Rousseau dans sa réalité, féconde, car la réflexion humaine, ainsi que l'indiquent certains savants, est encore à son stade infantile. Ali aussi est l'avenir et coïncidera, de plus en plus, avec lui. Un de ses disciples, Édouard Claparède, avait, en 1912, entrevu cet accord de l'avenir et. de Jean-Jacques, car il a écrit : « De Rousseau, on peut dire que l'oeuvre se modernise au fur et â mesure que le temps s'écoule ». Rousseau sera pénétré des jeunes générations mieux que des anciennes.

Ce développement de la lucidité grandissante suffit à attester l'actualité de ce penseur parmi nous et que des découvertes peuvent encore se faire. puisque Alain nous a, de son côté,

Prévenus « L'invention de cet auteur a de quoi nourrir les siècles ».

Où est le centre de ce vaste ensemble ? En ceci (d'abord : Jean-Jacques oppose une conception dynamique de la. Vie aux précédentes, plus volontiers statiques. C'est un point essentiel. Il associe, nous l'avons vu, Il Lomme et la fonction humaine à l'énergie vitale, tout en rendant cependant cette fonction humaine indépendante des forces naturelles. Cependant, le rôle des forces naturelles est si grand qu'il serait possible de voir en Rousseau le précurseur de certaines théories actuelles qui veulent que la Nature prépare l'Homme et voient en lui comme un échelon suprême du développement général. Oit dirait qu'il a entrevit une Nature qui justifie son œuvre par la compréhension qu'elle fait éclater dans l'être humain. En ce cas, la Nature assumerait la responsabilité de sa transformation ; de sa transfiguration serait-il possible (le dire, par la mutation du mouvement en intelligence.

En ce cas, l'intelligence, imprégnée de vitalité initiale serait comparable ?t ce râle (le 1' « Ur-mélodie » qu'on entend dès la première mesure du prélude de l'Or du. Rhin ? Ia vie monte, lourde de tous ses éléments. C'est l'organique sonore qui s'étaie, par degrés, it travers tous les timbres de l'orchestre et donne naissance aux thèmes triomphaux de la Tétralogie wagnérienne…

Rousseau impose un pareil accomplissement héroïque à la fonction humaine ; l'Homme est, et, cependant, n'est plus. Les circonstances l'ont égaré. Mais qu'il se détache d'elles,par un acte de lucidité consciente, et le thème essentiel revient, la progression peut reprendre, se poursuivre. Même les chutes dans l'erreur peuvent être profitables, si la vigilance de la conscience demeure. La vie douloureuse de Jean-Jacques est un splendide exemple. Il a subi les conséquences de l'individualité fatale. Il  a sombré parfois, ou s'est trouvé sur le point d'être totalement immergé. Une racine, la présence salutaire d'un roc lui a permis de s'accrocher, de respirer, de revenir à la surface.

Son chant qui, par moments, est celui du complet désespoir contient pourtant le double cri l'allégresse terminale que sont la Ve et la Xe Rêverie. Un instant avant la mort, le rappel des cloches de Pâques, l'unit au souvenir de sa première rencontre avec Mme de Warens. Sa sensibilité est projetée, à la fois, vers l'évocation du passé et la vision de l'avenir ; comme s'il entendait nous prouver, avant de nous quitter, que la Vie est une et ses difficultés fécondes. Il suffit, non de la dominer, mais de la comprendre, à l'aide d'un courage égal à sa mesure.

Maxime NEMO.

Secrétaire général de l'Association Jean-Jacques Rousseau.

Paru dans Europe n°391-392 Année 1961 pp.42 -52

 

L'ÈRE DE LA MATURITÉ   (Extrait)

Jean-Jacques donne son sens total à notre insurrection d'esprits modernes. S'il avait limité son expression au Discours sur l'inégalité, même aux vigueurs, presque mathématiques, du Contrat Social, 1' étendue de la personnalité civique serait définie, mais il manquerait à l'homme cet extraordinaire enrichissement, cette originalité profonde, surgie des puissances de Rêve, et qui opposent aux visions plus ou moins apocalyptiques des temps passés, la foi candide dans l'existence, affirmée depuis deux siècles. C'est par cet apport — dont les conséquences ne sont pas encore mesurées — que Jean-Jacques mérite le titre d'Annonciateur. Aux capacités sociales de l'homme, il ajoute une pédagogie de l'existence entière, puisée dans les seules ressources, les seules correspondances » de notre vieux rêve humain.

Car J.-J. Rousseau n'opère pas seulement le mélange de ces facultés ; il réalise leur fusion et nous reconduit, ainsi, à l'humain organique, en opérant, le premier, la jonction de la dialectique la plus rigoureuse et de l'émotion lyrique la plus intense.

Au simple raisonnement, il ajoute ce frémissement qui projette notre vision de l'homme et du monde hors des limites rationnelles, Pour instituer, de toutes pièces un merveilleux où, depuis deux siècles, nous puisons notre réconfort lyrique et l'assouvissement de notre instinct religieux.

Il dresse l'image de l'homme total ; puis place en face d'elle, l'énigme du monde et de la vie, nous obligeant à revoir le symbole de l'homme du Cro-Magnon dont on aperçoit le bloc à peine dégrossi à l'entrée des Eyzies. Par l'effet de l'intervention cosmique, ce que nous nommons « le sacré est situé dans l'immédiat de notre dimension. C'est par cette disposition qu'il communique au Romantisme l'élan qui emportera ces plus grands individus, non seulement vers l'homme, mais jusqu'au surhomme.

Bien sûr, Beethoven, Hölderlin, Shelley, Delacroix, Walt Whitman, Rimbaud — tant d'autres! seraient nés si Jean‑Jacques n'était pas apparu ; ils seraient nés, parce que nous les portions dans notre maturité. Je crois cependant que leur personnalité, encore mystérieuse, serait plus indéchiffrable, si cette science du merveilleux ne rions avait pas été révélée par lui ; cette science qui arrache notre vie pensante au seul mécanisme de la cérébralité désséchante... Et si Jean-Jacques rompt avec toutes les mythologies, qu'elles soient chrétiennes ou païennes, c'est pour instituer celle de l'homme moderne, la mythologie de l'homme seul ! Car il exige de chacun de nous l'interprétation personnelle du grand mystère existentiel. Il nous reconduit par conséquent, à cet incompréhensible destin qui exige que nous découvrions la Vie constamment — du moins jusqu'à l'heure, où nous finirons par découvrir qu'elle est enfin conforme à notre esprit logique.

Maxime NEMO.

Secrétaire Général de l'Association J.J. Rousseau.

Paru dans Europe n°401-402 Année 1962 pp.42 -52

JE HAIS BALZAC

Je ne crois pas qu'il existe dans l'étendue de la littérature qui m'est connue, un pouvoir créateur m'inspirant une répulsion que je puisse comparer à celle que Balzac et son oeuvre

m'imposent. Dans l'immédiate intention de justifier cette impression, j'indiquerai mon impuissance à découvrir dans ce créateur comme dans sa création rien d'autre qu'un gigantisme difficilement conciliable avec la grandeur. De plus, je me sens affecté par la constance d'une vulgarité qui imprègne êtres et choses d'une bassesse incompatible, elle aussi

avec la dimension, habituellement octroyée.

Sans doute, cette vulgarité fait corps avec ce moment de l'Histoire en qui s'incarne le spectacle d'assouvissements sordides et dont Balzac entend nous présenter l'image au nom de ce réalisme qui lui est cher. Dans cette préface de Splendeurs et misères des courtisanes qu'il écrit en 1844, il note qu'en ce roman sont peintes les existences dans toute leur vérité ; des espions, des filles entretenues et des gens en guerre avec la société qui grouillent dans Paris.

On pourrait demander si la réalité sociale ne comportait, même à ce moment, aucune chance de compensation, et si la nature de l'Artiste ne lui ordonne pas, ainsi que d'autres Pont fait — de laisser pressentir l'existence de courants, au besoin invisibles, en qui s'incarne l'humble souci de la dignité humaine, au profit des plus déshérités. Ces préoccupations humaines ne semblent le préoccuper que pour être exclues de sa réalité

Selon nous, ces peintures sont dangereuses et antipolitiques (ib.).

C'est pourquoi, la Comédie humaine ne fait que d'accidentelles allusions à ce frémissement de 89 qui a cependant secoué le monde, il ne pressent rien de celui que l'explosion de la Commune manifestera 21 ans après sa mort. On le dirait privé de la nature de ces avertissements qui animent la sensibilité de Victor Hugo et celle même de Stendhal. Lui reste enfermé dans la seule apologie de son « Moi ». On ne saurait, certes, lui reprocher cette conscience de soi, qui est une des caractéristiques de la pensée moderne ; mais on ressent

l'envie de lui appliquer la définition qu'il nous donne d'un de ses personnages

Malheureusement, chez lui, les jouissances de la vanité gênaient l'exercice de l'orgueil, qui est certes le principe de beaucoup de grandes choses.

Est-ce à l'évidente option en faveur de la vanité qu'est due la description d'une humanité asservie à l'assouvissement d'un réalisme, d'où toute chance de transcendance de la Réalité parait exclue ? L'orgueil du « Moi » s'y dissout dans un oubli, et, probablement, le mépris des disciplines capables d'imposer à la nature de l'Artiste la présence de ces qualités esthétiques et humaines dont l'absence explique l'invraisemblance de tant de situations balzaciennes, plus représentatives de la psychologie d'oeuvres du Grand-Guignol, que de l'épique de toute vie réelle. Le fait divers y règne au point d'emprisonner toute notion générale dans la mesquinerie de l'épisode particulier, qui vit et meurt dans l'expression de son cas singulier.

Certains balzaciens, nous dit Julien Gracq, font, dangereusement (selon -nous), état d'un Balzac hanté par l'invisible, par les aspects magiques du monde, aventuré parfois jusqu'aux abords du mysticisme. (Préface de Béatrix, le Club du Livre.)

Faut-il, en cette manifestation, voir autre chose que l'expression d'une avide curiosité, qui ne traduit nullement l'adhésion du « Moi » à l'acceptation d'une puissance, susceptible de discipliner le désordre de sa nature, essentiellement anarchique ?

C'est tout de même cet appétit d'un « inconnu » à découvrir qui lui permet de nous présenter dans Ursule Mirouët l'attachante figure du Docteur Minoret, qui pourrait, si un certain

respect de la constance philosophique lui était attribué,constituer un symbole des valeurs de pensée que le XVIIIe siècle a incarnées. Mais le rapport reste superficiel. Dès le début du roman, le personnage, cependant, s'identifie à cet état de maturité pensante qui prétend n'extraire la réalité de ses affirmations que d'après l'observation, estimée rigoureuse, des phénomènes organiques. C'est rattacher cet individu au positivisme « matérialiste ». qui fut une des préoccupations du temps. Le docteur caractérise donc une position mentale qui oppose à la foi ingénue de sa pupille, Ursule, une forme d'ambition qui a le doute pour base et l'examen de « ce qui est », comme méthode.

Laquelle, des deux puissances d'attraction, sera susceptible d'entraîner l'autre vers son contraire, pour l'amener à communier avec sa propre ferveur ? Problème captivant, qui, tout de suite, nous révèle qu'une volonté préalable le domine celle de l'auteur qui entend parvenir à ses fins. Le docteur s'est retiré à Nemours où il vit avec sa pupille. Le voici convié à une expérience de spiritisme, qui doit avoir lieu à Paris, à 60 kilomètres de son lieu d'habitation. Un médium lui révèle alors tout ce qui, en ce moment, se passe dans la maison lointaine. La précision des indications données est bouleversante, surtout lorsque Minoret apprend la présence d'un amour dans le coeur de la jeune fille et dont elle prend à peine conscience. Or, ce qui est normal, non seulement, le docteur admet l'intervention des forces magnétiques mais

cette « révélation » l'amène, presque subitement, à admettre l'existence de Dieu, du Dieu d'Ursule, naturellement.

Arrivé chez lui, vers cinq heures du matin, nous dit le texte de l'oeuvre, il (le docteur) se coucha dans les ruines de toutes ses idées antérieures sur la physiologie, sur la nature, sur la métaphysique...  A son réveil, certain que, depuis son retour, personne n'avait franchi le seuil de sa maison, le docteur procéda, non sans une invincible terreur, à la vérification des faits.

Ceux-ci sont rigoureusement exacts, et l'auteur, faisant état d'une réponse d'Ursule, conclut à la « conversion »

Cette réponse dite avec une candeur angélique, prononcée d'un accent plein de certitude, confondit l'erreur et convertit Denis Minoret à la façon de St Paul. (Ursule Mirouët).

Balzac adore' extraire du mysticisme, tel qu'il le comprend, l'invraisemblable de situations qu'il impose à ses personnages. Dans Splendeurs et misères des Courtisanes, Vautrin, s'il vous

plaît, lave de ses larmes le cadavre de Lucien et relate de quelle façon il a imploré celui que je connais pas et qui est au-dessus de nous, Moi qui ne crois pas en Dieu ! (...) J'avais résolu cela (de se livrer à la Justice) ce matin quand on est venu m'arracher ce corps que je baisais comme un insensé, comme une mère, comme la Vierge a dû baiser Jésus au tombeau...

Ramener des problèmes de cette dimension à la simple équation d'une intrigue romanesque présente un danger que la futilité de l'imagination n'est pas toujours capable de surmonter. On ne peut s'empêcher d'observer, dans le docteur Minoret, un état de certitude si artificiellement élaboré qu'il doit céder devant la fascination qu'exerce la candeur mystique d'Ursule ; mais c'est plus touchant que vraisemblable 1 Il eût été, je pense, plus réel de faire vivre le positivisme du docteur entre l'abîme d'un état de fait auquel il ne peut plus rattacher sa croyance, et l'impossibilité où il se trouve d'accéder aux effusions religieuses de la jeune Ursule. Le créateur évite cette possibilité tragique par l'intervention d'une pirouette qui emporte le problème vers les dimensions d'un simple fait divers. Et cette impression ne sera pas dissipée à la fin de l'oeuvre par l'apparition du fantôme de Minoret, mort depuis peu, qui intervient pour que sa pupille obtienne son héritage et épouse l'homme qu'elle aime. Sans doute cette solution permet au bienfaisant fantôme, d'accéder enfin au repos définitif. Si Balzac possède une certaine technique du fantastique, il ignore le secret d'une Poésie qui rend, seule, le fantastique vraisemblable. L'absence de cette haute faculté veut que tout, de l'action entreprise, expire dans un n'ombre incroyable d'anecdotes qu'il juxtapose, sans être capable de les élever à la hauteur de l'unité qui impose l'événement à l'attention.

Tout de même, le thème de la Révolution, comme à Victor Hugo, s'est imposé à Balzac et il a écrit, en dehors de la Comédie humaine, son premier roman les Chouans et Hugo

Quatre-vingt-treize... Quelle disproportion entre les oeuvres ! D'un côté, le trio : Marie de Verneuil, Montauran, Hulot ; de l'autre : Cimourdain, Lantenac, Gauvain ? Des personnages, des héros ; un drame, une tragédie ; des êtres qui ne sont reliés qu'à l'épisode alors que les autres figurent le pathétique d'un des plus grands choix de l'Histoire.

Si bien qu'on se sent déconcerté lorsque dans sa préface de Béatrix, Julien Gracq associe au nom de Balzac celui de Dante (?), l'évocation d'un passage du Parsifal de Wagner ;et encore, le nom de Dostoïevski ; et qu'il nous dit : « La psychologie de Balzac atteint ici à des perspectives qu'on croirait à tort réservées au seul Dostoïevski. Je suis un peu surpris que, même sous l'effet d'aussi considérables influences, Béatrix permette d'envisager qu' : « Une tragédie d'un genre inconnu s'amorce. » J'ai vécu dans la tiédeur argentée des marais, autour de Guérande, sans avoir jamais éprouvé de tels mirages.

Mais sans recourir à ce qui peut n'être qu'un artifice de style, on peut s'inquiéter de découvrir la possible identification de l'homme = Balzac, avec un « quelque chose » — homme ou principe, ou les deux en même temps, qui lui apporterait ce qui, selon moi, lui fait défaut. Non pas l'incertitude qui domine la notion du surhomme ; mais l'ordinaire purification que celle de l'homme  tout court est susceptible de propager jusqu'aux plus grands des individus de l'espèce.

On prête à Balzac cette prétention : « Je serai le Napoléon de la littérature ». Intention des plus louables ; à la condition, bien entendu, de la justifier ; or, l'évidence, reste discutable.

On peut épiloguer à perte de vue sur le définitif des réalisations de l'homme d'État, on ne saurait douter de ce destin, point de rencontre de hasards extraordinaires et d'impératifs secrets, qui inspirent et ordonnent un sort individuel, particulièrement éclatant. Il est étrange de constater la puissance d'une exaltation intérieure chez un homme qui ne se privait pas d'affirmer son dédain pour les idées pures. Elles interviennent cependant, à travers l'homme = Napoléon, comme pour ajouter aux impulsions du génie la secrète constance de leur fonction régulatrice. Dans cet état, il le sait, Napoléon est le résultat de la Révolution. Il le sait, même lorsqu'un élan d'orgueil personnel déclenche ce délire qui l'incite à négliger, momentanément, la présence de cette cause, dont il n'est que la conséquence vivante. Mais le délire éteint il devine qu'il doit à 'cette cause le principe de son rayonnement sur le monde, et qu'en dehors de cet accord, l'Histoire ne conserverait que le nom d'un aventurier, ajouté à une liste déjà longue. C'est le sens d'une telle filiation que Las Case fait revivre dans le Mémorial de Ste Hélène.

Avril 1816 ; nous sommes sur cette terre qui est celle de l'expiation possible et, en tout cas, de la méditation de soi même sur soi. Ce jour-là, les idées de la Révolution forment le thème de cet entretien entre intimes. L'auteur dit au sujet de Napoléon

« Continuant sur le même sujet, il a conclu avec une chaleur qui tenait de l'inspiration : La contre-révolution, même en la laissant aller, doit inévitablement se noyer d'elle-même dans la révolution... » (Vol. H, pp. 106, 107, Classiques Garnier).

Et, toujours au sujet des « grands principes de notre révolution ; ces grandes et belles vérités... » Napoléon dit encore :...voilà le trépied d'où jaillira la lumière du monde... Un peu plus loin : ...et cette ère mémorable se rattachera à ma personne, parce qu'après tout, j'ai fait briller le flambeau, consacré les principes et qu'aujourd'hui, la persécution achève de m'en rendre le Messie. (lb.).

C'est de cette manière que Napoléon, en reliant la grandeur individuelle à l'acceptation de quelques grands principes, consent à son abolition en eux. Une telle assimilation de l'homme = Balzac à tout austère préalable ne s'impose pas à l'observation, bien que l'idée d'une relation se soit présentée â sa pensée, ou, plus exactement : â son ambition. Est-il possible d'expliquer l'écart ? Lors du colloque Balzac (que reproduit ce numéro), l'un des participants : M. Pierre Citron, fit état d'une lettre dans laquelle, Balzac déclarait (je cite de mémoire) « Je ne suis plus ni fils, ni frère, ni père, ni mari... je suis un cerveau et je veux que chacun tienne compte de ce fait. » Bien ; mais, cerveau de quoi ? Cerveau-en-soi ? Qu'est-ce que cela signifie 2 Est-ce qu'un tel cerveau n'aurait pas, pour être ainsi, subi l'ablation d'un certain nombre de lobes dont l'existence lui aurait permis de se sentir relié à l'humilité indispensable des affections ordinaires ? alors que leur suppression l'isole dans l'assouvissement du seul instinct de puissance. Est-ce à la permanence d'un tel état de sécheresse qu'entend aboutir ce constructeur d'une humanité, qui n'envisage le rayonnement de son réalisme que sous l'angle de la seule comédie ? Et le labeur écrasant auquel le créateur s'astreint justifie-t-il son indifférence à l'égard des événements du temps et des pulsations d'une force populaire qui prétend parvenir à un style de vie, où la dignité d'être serait simplement incluse. On regrette la brièveté des allusions à une ; condition dont la misère était le principal support. Le fait fut heureusement signalé par plusieurs participants à ce colloque. Une, deux silhouettes, détachées de l'activité de ce monde qui était aussi celui du travail l C'est peu pour une telle masse, une telle « classe », dont l'agitation lui paraît être celle d'un élément non seulement « dangereux », mais « crapuleux », et qui menaçait de troubler l'effort personnel de l'écrivain-romancier, enfermé dans la suffisance d'un égoïsme, d'où il contemple le misérable univers de tous ces Gobseck‑ Grandet-Nucingen-Goriot-César Birotteau, et de tant d'autres grains de poussière, même dorés I qu'emporte le tourbillon d'un événement dont ils ne perçoivent pas le souffle. Est-ce cela la conséquence du cerveau et de sa sensibilité créatrice, obnubilée par le souci d'aboutir à ce magma d'êtres, de faits, de situations, qui remplit la Comédie humaine. Magma ? oui ; ce qui implique la présence d'un génie, certes, mais à qui celui de la Forme fut refusé. Si bien que dans l'inextricable d'un monde sans dimensions, nous n'assistons, en réalité qu'au spectacle de la prostitution d'un gnome, dont un simple effet d'éclairage agrandit l'ombre, au point de laisser croire à l'intervention d'un géant. D'ailleurs, il est permis de supposer que l'assimilation à laquelle nous procédons n'effaroucherait pas le personnage le minime étant susceptible d'une agilité que sa nature refuse au Géant ; et peut-être pourrait-il nous dire « Je suis le mouvement et vous cherchez le rythme. Je ne suis pas ce qui se déduit, mais bel et bien, ce qui est. Ce magma auquel vous faites allusion, n'est rien de plus et rien de moins que l'existence. Souffrez que je me vautre en elle. Ainsi, je prends conscience de sa réalité qui, justement, veut qu'elle demeure informe. Et je parviens à sa réalité, non pas à l'aide d'élans affectifs que, bien sûr, le mélange vital colporte, mais grâce à ce procédé d'exclusion qui apparaît et joue à travers mon cerveau. Et si vous me reprochez d'aboutir à des êtres que vous déclarez épisodiques, permettez-moi de vous faire remarquer qu'il n'existe rien en dehors de ce découpage ; que nous sommes tous épisodiques —sauf quelques-uns, sur qui, précisément, mon attention s'attache, parce qu'ils tranchent — et par n'importe quel moyen sur l'impersonnabilité de l'ensemble, et constituent ce « type » en qui mon instinct de puissance s'identifie. C'est pourquoi j'aime Napoléon ; non pour ce qu'il signifie, mais bien parcequ'il est une manifestation d'énergie qui le sépare (en le libérant !) de la société. C'est cet amour, ou ce choix, qui m'a fait écrire qu'il « n'y a plus d'énergie que dans les êtres séparés de la société ». J'ai ajouté « Il faut présenter ces êtres-là, ce qu'ils sont, des êtres mis à toujours hors la loi. » (Préface de Splendeurs et misères des courtisanes, 1844).

Bon. Mais on peut être « hors la loi » pour des raisons inverses. Les unes conduisent à la condamnation de la loi au nom de l'injustice qu'elle perpétue' au contraire, d'autres exemples justifient les rigueurs de la loi, en incarnant ce fait qu'aucune disposition humaine ne saurait tolérer : le Crime.

Dans la première perspective, c'est la silhouette de Jean Valjean qui apparaît' dans la seconde, celle de Jacques Collin, alias Vautrin, da aussi « Trompe-la-mort » l'un « des délégués à la réalité » signale Samuel S. de Sacy dans l'importante préface qu'il consacre à Splendeurs et misères des courtisanes. Ce personnage, dit le critique « figure dans la hiérarchie de la Comédie humaine, au nombre des incarnations du génie ». Ces lignes suivent : « Goriot » date de 1834.Illusions perdues de 1836 1843 et les quatres parties de Splendeurs et misères de 1838 1847 : l'ancien forçat couvre de son ombre impérieuse la plus grande partie de la période créatrice de Balzac. Et comme en, 1847, la mort est bien près d'arrêter La Comédie humaine, nous ne pouvons nous défendre de voir dans « la dernière incarnation de Vautrin , dans cette conclusion d'un immense périple à travers toutes les couches sociales et tous les cercles de l'âme, quelque chose de testamentaire. » De Vautrin, il nous est précisé Il reste que  la colonne vertébrale » soutient tout un organisme spirituel ; et que plus on examine l'anatomie de cet organisme, plus complètement, on est ramené, en Balzac, de la périphérie vers un centre secret. (ib.).

Ainsi, tous les agents sociaux, humains, sont identifiés au Crime ; au nom d'une insurrection contre ce qui existe.Balzac fait appel à la complicité de nos plus bas instincts pour satisfaire les siens. Samuel S. de Sacy précise encore :

Les lettres de femmes dont Trompe-la-Mort fait monnaie d'échange pouvaient n'être que compromettantes, Balzac a voulu qu'elles fussent ignobles... — Il y a dans Balzac un forcené. Un forcené qu'exalte • l'idée de la filiation de Caïn. (ib.).

Donc, l'instinct de puissance comme point de départ du mythe de soi-même, et, naturellement, par soi seul. C'est cette forme de frénésie qui mêle le mythe du Crime, de la Justice, de la Police, qui apparaît au critique

...le crime  et la répression du crime ne sont que deux aspects ou deux variantes ou  deux faces d'une même extrémité. La police se sert de la loi, bien sûr, mais de l'extérieur et parfois de fort loin, et avec des moyens policiers plutôt que légaux, 'et avec indifférence. Les criminels ne se donnent pas pour but d'attaquer la loi ; obstacle ou danger, elle les gêne dans l'exécution de leurs desseins qui sont ailleurs... (ib.)

Où sont ces desseins dans lesquels réside l'idée que Balzac se fait de lui et de sa toute puissance ? Vautrin, a indiqué Samuel S. de Sacy, est le Crime servi par le génie, il dit de ce terrible personnage

il n'est ni ceci, ni cela, il est Balzac.

Or voici que le Crime - Vautrin, devient la répression du crime. L'individu cherche une fin de vie confortable et, pour l'obtenir, se vend à la Justice en devenant : « Le pourvoyeur du bagne au lieu d'en être le locataire. » Il suffisait d'y penser. Et l'homme songe qu'avec cette dernière « incarnation » il sera plus fort que dans l'état antérieur « Je suis ou je serai plus puissant que jamais » (p. 297).

C'est à une telle conclusion qu'aboutit, chez Balzac le culte du cerveau.

Maxime NEMO.

Secrétaire Général de l'Association J.J. Rousseau.

Paru dans Europe 328 -430 Année 1965

 

 

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