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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:19

Chapitre VIII

Bibliothèque itinérante

 

Le problème dans la documentation de Maxime Nemo est que les archives sont lacunaires, quelques traces de l’Etat civil à Francueil, Rodez, Dijon, Aix puis Paris, mais aucune trace des lectures enfantines sans doute laissées à La Roche sur Yon lors du décès du père Albert Baugey en 1909. Rien non plus sur ce qui constitue sa légende de 1898 à 1909 sinon quelques programmes épars et des photos jaunies. Des chroniques dans les gazettes d’Arcachon ou de Nice mais cela ne permet pas d’évoquer la vie artistique de l’enfant et de reconstituer son éducation d’autodidacte d’autant que le contact avec les livres a dû être déterminant. La mère Albertine Renou qui suit le jeune homme à Dijon pour son mariage avec Antoinette Pègues institutrice venue de Rodez ne laisse aucune trace écrite sinon quelques photographies. Les nombreux déplacements du couple de Dijon à Annecy puis sur la Côte d’Azur de 1909 à 1914   ne nous  ont pas permis de retrouver des livres ni même des écrits de cette période. Il faudra attendre 1913 pour surprendre une programmation théâtrale au Théâtre du Château d’Eau avec Jouvey mais toujours pas de fascicules ou programmes ni dans le fonds Théâtre pourtant impressionnant.

Si quelques livres dédicacés datent du début du siècle, ils semblent avoir suivi comme par miracle M.Nemo dans ses déplacements tout comme les photos de Valéry et une carte postale du Cimetière Marin dédicacée. On relève aussi des envois de livres dédicacés à Henri Barbusse, à Ernest Pérochon,

La liste que Nemo réclame à son épouse après leur séparation date de 1938 et permet de reconstituer une partie du fonds resté à Meyreuil au Château Simone ou au Montaiguet et ensuite à Aix, rue Cardinale. Que représentent ce que lui-même qualifie de « papiers divers » ?  Y a –t-il dans ces « divers » des autographes de Sarah Bernhardt de Verhaeren, de Henri de Régnier ou de la main de la Reine Victoria ou une photo promise à la Princesse de Battemberg en 1898. Il est probable que nous ne le saurons jamais et la demande adressée aux archives royales n’a pas abouti à ce jour. 

Alors revenons au fonds familial transporté de Paris sur Nantes et contentons nous de son classement actuel et de ses envois autographes même si nous manquent cruellement les périodes de la Première guerre mondiale et les lettres adressées par la recrue Baugey à sa mère et à son épouse de même que nous manquent tous les courriers et poèmes adressés pendant la deuxième guerre, car Maxime Nemo était, comme ses destinataires, devenu  insaisissable on l’a vu de 1939 à 1945. Les postes restantes permettent de reconstituer des périodes de cache ou de retraite provisoire d’où il écrit beaucoup, comme en témoigne le deuxième volume de son « Journal » de 1939 à 1941 ou le recueil de poèmes inédits de 1935 à 1968

     Certains ouvrages et certaines correspondances sont-elles restées au Mareynou en 1921 chez les Testud, à Meyreuil dans la famille Rougier,à Montmorency rue Jean Jacques Rousseau où est née la Société des Amis de Jean Jacques, que sont devenus les exemplaires de la « Noosphère » donnés par Teilhard lui-même pour divulguer sa pensée avant son départ pour les Etats-Unis ?   Autant de questions sans réponses à moins que ne surgisse de nulle part une valise de documents ou une caisse de livres au hasard d’une expertise entre Aix et Marseille.

Et que dire des nombreux mois passés à Alger puis à Tunis entre 1923 et 1924 pour des conférences mais aussi aux côtés de Jean Pommier lequel se souvient des  grandes périodes d’intense activité littéraire dans son « Chroniques d’Alger » 1910-1957 qu’il dédie « à Maxime Nemo. A vous cher ami d’antan… d’un temps où en Alger, « Dieu n’était pas sous le Tunnel » mais, à l’air libre ! hélas, depuis…. ! » (allusion au récent roman de Nemo « Un Dieu sous le Tunnel » paru chez Rieder en 1927)

Au hasard des lectures, une dédicace ne cesse de vous hanter comme celles-ci  dans cet exemplaire du « Capitaine Conan » Prix Goncourt 1934 de Roger Vercel  dédicacé le 26 janvier 1935 avec ces mots « Pour Maxime Nemo dont j’ai vivement admiré le talent et la magnifique ferveur, cette histoire d’un homme vivant, en gage de très amicale sympathie »

Il est certain que les nombreuses tribulations ferroviaires qui ne cesseront qu’à l’entrée dans le domicile parisien de l’avenue Ledru Rollin dans les années 50, laissent présager bien des lacunes. Souvenons nous qu’André Suarès qui lui aussi n’a jamais  séparé l’art et la vie dont l’activité littéraire constituait l’essentiel de son existence  dut quitter Paris avec l’invasion allemande pour se réfugier à Antibes puis dans la Creuse à Bonnat laissant dans son appartement de la rue de la Cerisaie à Paris tous ses livres, manuscrits, carnets et papiers ?

Maxime Nemo avait bien sûr lu, dès 1925 les Essais de Suarès « Sur la Vie » parus chez Emile Paul dans un exemplaire numéroté 23/80 et le regretté critique palois Yves Alain Favre avait fait parvenir en 1980 à Yvonne Nemo un exemplaire également  numéroté 23/30 de la belle édition de Suarès « Ce monde doux et amer » publié par l’éditeur nantais « Le temps singulier ».   On peut imaginer la détresse de ce clandestin et relier celle-ci aux errances caches de Nemo, obligé de passer de caches en caches grâce à son réseau des amis de l’Ilôt,  ajouté à cela qu’avec l’Occupation il doit gérer sa séparation d’avec Antoinette restée à Aix et engager des procédures de divorce qu’elle rejettera jusqu’à sa mort en 1967. Combien de bibliothèques privées dispersées, piétinées, brûlées, disparues au gré d’une Occupation dévastatrice et destructrice ?  

Il faut savoir gré aux Archives de la BNF d’entretenir et d’indexer tous ces legs et fonds reçus des familles des écrivains et auteurs qui nous permettent de nous replonger dans les correspondances de Jean Guéhenno, de Louise Lara, de Jean Richard Bloch ou de Marcel Martinet. Ce travail inestimable effectué par des archivistes de talent permet de reconstituer un passé qui sans eux rendrait la tâche du chercheur presque surhumaine quand les mémoires et les témoins se sont tus. A ce propos je dois rendre ici un hommage particulier au professeur Horst Schumacher que j’ai bien connu dans les années 60.Il venait passer l’été avec des amis et arrivait juste d’Allemagne conquis par la littérature française et par la langue qu’elle véhiculait. Il rencontra Maxime Nemo dans les années 50 et repartit étudier le français dans son pays. A son retour à Paris il entreprit des traductions pour les Musées nationaux , et enseignait  la langue allemande à l’Ecole Centrale de Paris ;  il adressa de nombreuses lettres fidèlement à celui  avec lequel il pouvait échanger sur les Romantiques allemands, la musique, la civilisation européenne. Je m’en entretenais avec lui par téléphone évoquant ces périodes de vrai bonheur intellectuel et me promettais de le rencontrer pour qu’il me rédige sinon une préface à cette biographie du moins une page sur la germanophilie de Nemo. De passage rue de l’Odéon en mars 2011, surpris de ne pas avoir de réponse à mes appels et messages répétés, j’interrogeai le libraire voisin qui m’apprit que le professeur  était décédé subitement dans son appartement au 4è étage du 17 rue de l’Odéon. Retraité depuis 1995 de l’Université de Lyon III où il enseignait la littérature allemande, je ne le reverrai plus comme tant de proches de mon parrain que j’évoque ici.

Qu’il me soit permis de publier la lettre qu’il adressa à Yvonne Nemo aux lendemain de la mort de Maxime NEMO :

   17 rue de l'Odéon  75006 PARIS

ce dimanche, 19 octobre 1975

Chère Yvonne,

De retour à Paris pour la nouvelle année scolaire, je trouve dans mon courrier votre message avec la douloureuse nouvelle de la disparition de Maxime.

Jamais malade, toujours entreprenant et optimiste, je n'ai pas voulu croire d'abord, quand Emile Cioran en parlait que Maxime a du souffrir pendant de longs mois d'alitement. C'était en fin juillet, je pense que je pouvais vous téléphoner à la Crétinière, mais il était déjà impossible d'entendre la voix de Maxime toujours pleine d'enthousiasme et de chaleur. J’espérais pourtant qu'à la rentrée nous aurions l'occasion de nous revoir tous. Cette rencontre est devenue impossible à jamais.

Nous savons tous que toute consolation est vaine après le décès d'une personnalité incomparable. Maxime était pour moi non seulement un grand ami, mais aussi et surtout un interprète de la pensée française du siècle de Jean Jacques Rousseau. Un ami qui m'a fait aimer (et pénétrer) dans la langue française qu'il avait fait aimer à tant d'étrangers lors de ses multiples conférences à travers l'Allemagne et d'autres pays.

Admirateur de Wagner et de Hölderlin, interprète de la civilisation germanique aux francophones, de la civilisation française aux Allemands, Maxime restera dans la mémoire de tous ceux qui ont pu l'entendre (et le lire)

Il y a à peu près quinze ans que nous avions pu faire connaissance lors des réunions des écrivains - membres de la "Kogge" (à Minden, Blaukenberghe, Mondort les Bains que nous avions visités ensemble. Maxime avait toujours trouvé un accueil enthousiaste.

On m'avait souvent demandé de ses nouvelles en Allemagne et on espérait toujours qu'il puisse revenir un jour, refaire ses grands voyages à travers le monde qu'il a tant aimé...

Je vous serre fraternellement les mains. A bientôt...

Horst

Il reste à louer les bases de données informatiques et les numérisations des revues et journaux de l’époque qui permettent de traquer l’inconnu du grand public jusque dans les plus secrets de ses déplacements. Mais qu’en sera-t-il avec l’outil informatique justement quand dans plusieurs décennies, on voudra interroger les échanges épistolaires des hommes du XXIè siècle ? J’en frémis d’avance…. Adieu les virtuels disques durs et l’éphémère galaxie de Facebook.        

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