Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 avril 2023 4 27 /04 /avril /2023 09:53

Après l'émouvant témoignage du poète Pierre Menanteau nommé Inspecteur d'Académie après le décès de M.Cockenpot et en charge de l'Ecole Normale d'Evreux après les bombardements, voici un autre témoignage très émouvant d'une Directrice d'Ecole Normale des Ardennes repliée à Luçon en Vendée le 3 février 1940.Cette lettre souligne les efforts de Maxime Nemo et de son Groupe l'Ilôt tournés vers la jeunesse française des Universités, EPS et Lycées pour un réarmement moral et intellectuel après la 1ere Guerre mondiale. De nombreuses correspondances évoquent l'impact profond des cycles de conférences sur de  jeunes esprits autour de ce  "petit espace mais libre"  tel que le définissait une autre Directrice d'Ecole Normale Mlle de l'Hôpital.

Il serait intéressant de rapprocher ces 2 lettres des textes inédits du Journal (Inédit) de Maxime Nemo de la même époque sur "la débâcle" et "l'exode" datés de  1940 et son analyse de la situation de l'Europe en 1941 après la débâcle "sous forme de prédictions".

Luçon - 3 février 1940.

Cher Monsieur,

J'ai voulu faire mieux qu'une réponse hâtive à votre lettre, parce qu'elle m'a vivement touchée. Le mois de janvier a été si lourd de besogne - avec la "liquidation" de la 3è année, que me voici venir à vous avec un mois de retard. Mais je suis, d'avance, sûre que votre indulgence, votre compréhension me feront cependant bon accueil.

Dans la grande dispersion de ce temps, je vous suis reconnaissante d'avoir eu pour nous une fidèle et bonne pensée. Puisque votre sympathie nous suit, voici où nous en sommes :

Mon mari a été mobilisé, comme capitaine de réserve, dès la fin aout, en un régiment frontalier. Il n'a point quitté les frontières- et depuis janvier 1940, les avant gardes de la ligne Maginot. A sa tâche de défenseur, il s'est donné avec la passion qu'à toute chose, il apportait. La bataille de Lorraine, à partir du 15 juin lui a valu une magnifique citation, et je le sais proposé pour la Légion d'Honneur. Je ne doutais pas qu'il se dépasserais lui même,car il avait l'honneur du marchandage, du petit- mais il m'est doux que son héroïsme ait été si largement apprécié !- Vains efforts - car le 23 juin son régiment était encerclé et captif. Mon mari est donc prisonnier en Autriche- toujours plein de "cran", les conditions précaires de sa vie, pleine d'impatience de reprendre son activité parmi nous.

Quant à nous, la prévoyance administrative nous a heureusement épargné les dangers et l'horreur de l'exode. J'ai eu ordre de replier de réorganiser ici mon école, dès la fin d'Octobre 1939. La difficulté matérielle fut peu de chose, à côté du crève-coeur d'abandonner la chère maison à la solitude de ses arbres et de son lierre, à côté de la difficulté de s'intégrer à cette autre "race", à cet autre horizon. Nous avons vécu, nous vivons encore dans l'exil. Mais au moins, en mai, avons nous pu ici accueillir les familles des élèves, leur trouver gîte et métier. La communauté ardennaise s'est fortement reconstituée. Beaucoup sont repartis; nous, nous finirons ici notre vie d'établissement  condamné à mort; dernière année fervente, particulièrement laborieuse; cette fin nous la voulons belle, dans la modestie des œuvres quotidiennes - malgré le décor étranger, malgré toutes les dispersions si prochaines. 

Peut-être ne me sera-t-il plus donné de revoir mon école. je n'ai même pas à y chercher mon mobilier. Il n'y a plus un meuble, plus un chiffon. Je n'ai plus de passé, que les caisses de livres, les quelques meubles apportés pour mon pied à terre en Vendée.

Quand je me retournerai vers une vie toute dévouée aux normaliennes, je retrouverai, parmi mes beaux souvenirs, ceux des heures que vous passiez parmi nous. La découverte de votre art, de votre recherche si personnelle; des angles nouveaux sous lesquels, bousculant la critique classique, vous nous appreniez à regarder poèmes et drames; des éclairages dont vous élucidiez ces œuvres - cette vie poignante et frémissante que vous saviez y mettre, qui les faisait vôtres, les rendait nôtres....

Chaumont : Andromaque, Verlaine; Laon : Ibsen; Charleville : Verhaeren ... Chaque année, de quel cœur vous étiez attendu: vous l'avez senti, et la confiante sympathie de votre auditoire.

Le malheur des temps rend plus précieux les vœux que forme l'amitié.Il leur donne tout leur sens profond et les vents efficaces. Les miens vont à la continuation de votre belle tâche. Elle est si loin d'être finie. Nous avons besoin plus que jamais, de vouloir connaître, sentir, les plus beaux frémissements de l'âme humaine - de fuir les valeurs conventionnelles - de dépouilles laborieusement, douloureusement peut-être, les belles pensées humaines de tout ce qui fait écran entre elles et nous. La jeunesse a besoin de guides comme vous. Voilà pourquoi n'ayant plus d'auditoire à vous offrir, je reste persuadée que nous nous retrouverons sur le même plan de reconstruction. Il me reste à m'excuser d'une lettre trop longue - et à vous demander de partager avec Mme Nemo mon sincère et vibrant souvenir.

L.François

PS: Adressé à "Monsieur Maxime NEMO 5 avenue Porte de la Plaine Paris XVè Seine" puis réacheminée à "Poste restante Troyes (Aube)"

En effet ayant dû interrompre ses conférences itinérantes de l'Ilôt en 1939, Maxime NEMO âgé de 51 ans changera souvent d'adresse de Tréboul en bais de Douarnenez (Finistère) "Villa Ker Paulo" à Courcité (Mayenne) réfugié dans l'école de Mlle Chevrel ou en Juillet 1940 à Nantes chez Yvonne Bretonnière puis dans le sud de la France dans le Périgord chez les Testud et plus rarement à Aix en Provence à Meyreuil (Bouche du Rhône)  où les différends familiaux l'ont éloigné de sa famille . 

Je renvoie à la Biographie d'un passeur de Lettres que je lui ai consacré en 2021 chez Librinova.

Evacuation et exode  de Charleville devant la gare en 1940 ( France3 )

 

Partager cet article
Repost0

commentaires