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6 mai 2023 6 06 /05 /mai /2023 11:31

Enfin une existence accomplie  1988
Dès que j'appris que les jours de Mircea étaient comptés, telle est la
vertu du chagrin que tout déserta ma mémoire, sauf les heures de nos
premières rencontres et l'allure du personnage merveilleux qu'il était. En
amitié, comme en tout, c'est le début qui vous donne la sensation de
l'imprévu et de l'unique. Ce qui suit ne vaudra jamais l'éclat des
commencements. Le mieux ne serait-il pas de disparaître avant de laisser
des traces ? Tout cela est divagation, et va à l'encontre de l'image que nous
laisse un esprit persuadé jusqu'à la manie que l'obligation de chacun est de
donner toute sa mesure. Sur ce point Mircea était le moins balkanique de
nous tous. Il n'avait ni le goût ni la superstition de l'échec, il ignorait le
soulagement d'abandonner un projet et la volupté inhérente à tout exploit
irréalisé. D'un ami de jeunesse, indiscutablement génial, je viens de recevoir
un mot où il me dit, en guise de bilan, que son existence a été marquée par
le « signe de l'inaccomplissement ». Telle est notre tare, fascinante et
décourageante, expression d'une sagesse à rebours. Tous, nous sommes plus
ou moins des ratés. Eliade, lui, ne l'était en aucune façon, il se refusait à
l'être, et ce refus ou cette impossibilité est cause que son œuvre littéraire
répugne à ce rien de démoniaque, d'autodestructeur, de positivement
négatif, si caractéristique du moindre destin valaque.
Je lui ai souvent reproché de n'être pas comme... nous. Ce « nous »
évidemment est arbitraire. Tout le monde n'a pas la chance d'être resté en
deçà de soi-même... Mais le reproche le plus grave que j'ai eu le toupet de
lui adresser est de s'être occupé de religions sans avoir un esprit religieux.
C'est là un sujet que nous n'avons jamais abordé directement mais il est
certain que ma réserve plus ou moins explicite sur un point si capital ne
pouvait que lui déplaire. S'agissait-il de ma part d'une objection fondée ?
Disons plutôt une hypothèse dégénérée en conviction. Quelques semaines
avant de nous quitter, dans une interview donnée à un journaliste qui faisait
état de mon reproche, il répondit que son attitude devant les religions n'était
nullement celle d'un savant. « Je m'efforce de comprendre », précisa-t-il.

Sans doute, mais le savant ne fait pas autre chose. Et si on comprend tous les dieux, c'est qu'on ne s'intéresse réellement à aucun. Un dieu est là pour être adoré ou engueulé. On n'imagine pas un Job érudit.

Si je m'entête à soutenir qu' Eliade n'était pas un croyant et même qu'il n'était pas prédestiné à en être un, c'est parce que je ne le vois pas se borner en profondeur, sans quoi nulle hantise n'est possible, et la prière en est une, la plus grande de toutes. Il n'était obsédé que par le faire, « par l'œuvre », par le rendement au sens le plus noble du mot. Quand je lui disais que je ne « travaillais » presque jamais, il ne voulait et il ne pouvait pas me comprendre. Il était totalement étranger à tout genre de nihilisme, même métaphysique. Il ignorait à un degré inimaginable la séduction de la paresse, de l'ennui, du vide et du remords. Qui était-il donc ? Je crois pouvoir répondre : un esprit ouvert à toutes les valeurs proprement spirituelles, à tout ce qui résiste au morbide et en triomphe. Il croyait au
salut, il était visiblement du côté du Bien, choix non sans danger pour un écrivain, mais choix providentiel pour quelqu'un qui repousse les prestiges de la négation ou du mépris. Si démoralisé qu'on était, on ne partait jamais désemparé après un entretien avec lui. Foncièrement inapte au cafard, il avait un fonds de santé qui m'émerveillait. Plus d'une fois je lui ai dit qu'il était affecté d'une sorte d'illusion héréditaire. La clé de son invincible
optimisme il faut la chercher dans son acharnement à laisser une image complète de ses ressources, à s'accomplir en somme comme nul autre, au risque, avouons-le, de priver amis et ennemis du plaisir de ruminer sur ses défaillances.

Cahiers de l'Herne  - CIORAN -

Préface à Maxime NEMO de son ouvrage paru en 1949 : "Le Mythe de l'Eternel retour"

Les Essais XXXIV NRF Gallimard.

"A mon ami Maxime Nemo ce mythe périmé prétexte de nouvelles conversations..".

Mircea Eliade - Paris juin 1949

 

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27 avril 2023 4 27 /04 /avril /2023 09:53

Après l'émouvant témoignage du poète Pierre Menanteau nommé Inspecteur d'Académie après le décès de M.Cockenpot et en charge de l'Ecole Normale d'Evreux après les bombardements, voici un autre témoignage très émouvant d'une Directrice d'Ecole Normale des Ardennes repliée à Luçon en Vendée le 3 février 1940.Cette lettre souligne les efforts de Maxime Nemo et de son Groupe l'Ilôt tournés vers la jeunesse française des Universités, EPS et Lycées pour un réarmement moral et intellectuel après la 1ere Guerre mondiale. De nombreuses correspondances évoquent l'impact profond des cycles de conférences sur de  jeunes esprits autour de ce  "petit espace mais libre"  tel que le définissait une autre Directrice d'Ecole Normale Mlle de l'Hôpital.

Il serait intéressant de rapprocher ces 2 lettres des textes inédits du Journal (Inédit) de Maxime Nemo de la même époque sur "la débâcle" et "l'exode" datés de  1940 et son analyse de la situation de l'Europe en 1941 après la débâcle "sous forme de prédictions".

Luçon - 3 février 1940.

Cher Monsieur,

J'ai voulu faire mieux qu'une réponse hâtive à votre lettre, parce qu'elle m'a vivement touchée. Le mois de janvier a été si lourd de besogne - avec la "liquidation" de la 3è année, que me voici venir à vous avec un mois de retard. Mais je suis, d'avance, sûre que votre indulgence, votre compréhension me feront cependant bon accueil.

Dans la grande dispersion de ce temps, je vous suis reconnaissante d'avoir eu pour nous une fidèle et bonne pensée. Puisque votre sympathie nous suit, voici où nous en sommes :

Mon mari a été mobilisé, comme capitaine de réserve, dès la fin aout, en un régiment frontalier. Il n'a point quitté les frontières- et depuis janvier 1940, les avant gardes de la ligne Maginot. A sa tâche de défenseur, il s'est donné avec la passion qu'à toute chose, il apportait. La bataille de Lorraine, à partir du 15 juin lui a valu une magnifique citation, et je le sais proposé pour la Légion d'Honneur. Je ne doutais pas qu'il se dépasserais lui même,car il avait l'honneur du marchandage, du petit- mais il m'est doux que son héroïsme ait été si largement apprécié !- Vains efforts - car le 23 juin son régiment était encerclé et captif. Mon mari est donc prisonnier en Autriche- toujours plein de "cran", les conditions précaires de sa vie, pleine d'impatience de reprendre son activité parmi nous.

Quant à nous, la prévoyance administrative nous a heureusement épargné les dangers et l'horreur de l'exode. J'ai eu ordre de replier de réorganiser ici mon école, dès la fin d'Octobre 1939. La difficulté matérielle fut peu de chose, à côté du crève-coeur d'abandonner la chère maison à la solitude de ses arbres et de son lierre, à côté de la difficulté de s'intégrer à cette autre "race", à cet autre horizon. Nous avons vécu, nous vivons encore dans l'exil. Mais au moins, en mai, avons nous pu ici accueillir les familles des élèves, leur trouver gîte et métier. La communauté ardennaise s'est fortement reconstituée. Beaucoup sont repartis; nous, nous finirons ici notre vie d'établissement  condamné à mort; dernière année fervente, particulièrement laborieuse; cette fin nous la voulons belle, dans la modestie des œuvres quotidiennes - malgré le décor étranger, malgré toutes les dispersions si prochaines. 

Peut-être ne me sera-t-il plus donné de revoir mon école. je n'ai même pas à y chercher mon mobilier. Il n'y a plus un meuble, plus un chiffon. Je n'ai plus de passé, que les caisses de livres, les quelques meubles apportés pour mon pied à terre en Vendée.

Quand je me retournerai vers une vie toute dévouée aux normaliennes, je retrouverai, parmi mes beaux souvenirs, ceux des heures que vous passiez parmi nous. La découverte de votre art, de votre recherche si personnelle; des angles nouveaux sous lesquels, bousculant la critique classique, vous nous appreniez à regarder poèmes et drames; des éclairages dont vous élucidiez ces œuvres - cette vie poignante et frémissante que vous saviez y mettre, qui les faisait vôtres, les rendait nôtres....

Chaumont : Andromaque, Verlaine; Laon : Ibsen; Charleville : Verhaeren ... Chaque année, de quel cœur vous étiez attendu: vous l'avez senti, et la confiante sympathie de votre auditoire.

Le malheur des temps rend plus précieux les vœux que forme l'amitié.Il leur donne tout leur sens profond et les vents efficaces. Les miens vont à la continuation de votre belle tâche. Elle est si loin d'être finie. Nous avons besoin plus que jamais, de vouloir connaître, sentir, les plus beaux frémissements de l'âme humaine - de fuir les valeurs conventionnelles - de dépouilles laborieusement, douloureusement peut-être, les belles pensées humaines de tout ce qui fait écran entre elles et nous. La jeunesse a besoin de guides comme vous. Voilà pourquoi n'ayant plus d'auditoire à vous offrir, je reste persuadée que nous nous retrouverons sur le même plan de reconstruction. Il me reste à m'excuser d'une lettre trop longue - et à vous demander de partager avec Mme Nemo mon sincère et vibrant souvenir.

L.François

PS: Adressé à "Monsieur Maxime NEMO 5 avenue Porte de la Plaine Paris XVè Seine" puis réacheminée à "Poste restante Troyes (Aube)"

En effet ayant dû interrompre ses conférences itinérantes de l'Ilôt en 1939, Maxime NEMO âgé de 51 ans changera souvent d'adresse de Tréboul en bais de Douarnenez (Finistère) "Villa Ker Paulo" à Courcité (Mayenne) réfugié dans l'école de Mlle Chevrel ou en Juillet 1940 à Nantes chez Yvonne Bretonnière puis dans le sud de la France dans le Périgord chez les Testud et plus rarement à Aix en Provence à Meyreuil (Bouche du Rhône)  où les différends familiaux l'ont éloigné de sa famille . 

Je renvoie à la Biographie d'un passeur de Lettres que je lui ai consacré en 2021 chez Librinova.

Evacuation et exode  de Charleville devant la gare en 1940 ( France3 )

 

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26 avril 2023 3 26 /04 /avril /2023 10:28

Poitiers , 12 Rue Sainte Radegonde,

Jeudi 29 avril 1948

- Allô ! Nemo ? C'est vous ? Allo !

Ici, le valétudinaire.

Depuis un an mon ordinaire

Est le légume cuit à l'eau.

Une Parque inhumaine UREE

A ma gidouille délabrée,

Et je pantèle sous son poids.

Je vis de choux, de petits pois.

Elle se dit ( mais je le nie ! )

Fille de Vénus URANIE !

- Et le coeur , ayant trop servi,

Lui même hélas ! bat la chamade.

...J'aimais sortir, en vrai nomade ,

Vivre, hanter les clairs cafés

où boivent des gens décoiffés,

Cueillir de belles apparences !

J'aimais suivre les conférences

où de Carré, Nadal, Martin

Vibrant le beau timbre argentin

Et la science non pareille,

( mais pour Nadal et son CORNEILLE

Fier à bras et gloriosus,

Si je ne respectais pas les us

Honnêtes....- J'estime oeuvre pie,

Nemo ! de le mettre en charpie,

Et d'en faire du pansement

Pour un Horace évidemment !

 

- Enfin dans nos brumes opaques,

Mon bon Nemo, je suis boudé,

A double et triple tour de clé.

- Et midi pour votre JEAN JACQUES !

Chantez le donc sans moi. D'ailleurs

Cet homme n'est point des meilleurs

(A mes yeux)  de vos personnages:

Ses plongeons effarants, ses nages

En Chimérie et ses écarts

Me le grignotant aux trois quarts;

- Mais vous, donnez lui sa revanche

En chantant sa gloire pervenche,

Et les charmes de ses aveux !

...- Son nombre souple mais nerveux,

*Et dans l'image bien choisie,

Tant de rêve et de poésie !

- Accueillez donc mes meilleurs voeux,

Nemo, pour moi qui geins à terre,

Ce soir je relirai VOLTAIRE,

Aussitôt mon triste repas.

Plutôt CANDIDE , n'est-ce pas ?

Excusez moi de bonne grâce.

Mes maux, Nemo. Je vous embrasse.

Francis EON

Françis Eon (1879-1949) Né à Fontenay-le-Comte (Vendée) en 1879, de père breton et de mère poitevine, Francis Eon est l'auteur de plusieurs volumes de vers et de nombreux articles dans les revues littéraires de son temps. Il a collaboré à La Revue du Bas Poitou

, le Beffroi, Poésie, La Phalange, Le Divan, L'Ile sonnante, Le Mercure de France, la NRF... "La poésie des vers concis et des strophes bien formées, qui est la sienne, ne le prive pas plus d'un goût sensuel des belles syllabes que de la tendresse bucolique et de la gravité élégiaque. La force d'un noble souvenir, une puissante et douce fidélité animent de leur souffle La suite à Perséphone", écrit de lui Henri Clouard. La promeneuse, poèmes, (Ed. du Beffroi, 1905). - Trois années, poèmes, (Le Divan, 1907) - La vie continue, poèmes, (Paris, éd. de La Plume, 1919). - La suite à Perséphone, poèmes (1933).

Docteur en Droit (1906) Avocat à la Cour d'Appel de Poitiers et au tribunal de Fontenay le Comte (Source Data bnf.fr) Erreurs de dates 1879-1942 !!??

 

 

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21 avril 2023 5 21 /04 /avril /2023 18:34

Un ami de Cioran : le mystérieux M. Nemo

Alexandre Sérès

Dans les lettres envoyées dans les années 70 à son frère Aurel, Cioran mentionne à plusieurs reprises une belle propriété près de Nantes, où il se rend presque chaque été, pendant 10 jours, chez un ami. Nous n'apprenons qu'une chose sur la façon dont il passe son temps là-bas : qu'il aime travailler dans le jardin - bêcher, désherber, planter. Quant à l'identité de cet ami, qui met généreusement à sa disposition non seulement la maison, mais aussi le jardin, il n'y a pas de mot. Il ne nous dit pas dans quelles circonstances il a rencontré son ami ni à quoi est due sa générosité - une aubaine pour Cioran, qui, n'ayant pas trop d'argent, ne pouvait s'offrir des vacances coûteuses. Pour compléter le mystère, vers la fin des années 70,
Des notes prises à cette époque dans ses Carnets, on trouve quelques indices sur ce personnage, à qui Cioran ne révèle pas son nom complet, ne parlant génériquement que de "la famille Nemo". Cependant, il nous indique également où se situe la maison près de Nantes : il s'agit de La Crétinière (autrement appelée Cré – probablement une abréviation). La première mention date de 1967 et ne fait référence qu'à la maison de Cré (en fait un manoir, que les voisins appelaient un château, entouré de tout un domaine, ancienne demeure d'un oncle de Victor Hugo2) : « Du 18 au 28 juillet, à Cré, chez la famille Nemo. Séjour inoubliable dans la maison la plus parfaite que j'aie jamais habitée3 ». Puis, après avoir écrit à son frère à l'été 1968 qu'il était « pendant deux semaines en vacances chez des amis qui ont un grand jardin »4, il note début septembre :
La référence suivante à ce lieu de séjour annuel de Cioran date de 1970 et apporte avec elle un détail important : « 27 juillet. Une semaine dans la propriété de la famille Nemo près de Nantes. L'idée de bonheur est indissociable de l'idée de jardin ».6 L'association du jardin au bonheur est une référence plus qu'évidente à l'Eden ; cependant, il n'est pas gratuit du tout, car dans ce jardin, aussi concret que possible, Cioran mène du matin au soir des activités très terrestres, mais qui lui procurent une grande satisfaction.
Dès la première note sur La Crétinière, celle de 1967, Cioran note la découverte de son nouveau plaisir, le jardinage, auquel il oppose la corvée du travail intellectuel : « Dix jours de jardinage. Mieux que dix jours à la bibliothèque, de toute façon. Entre biner et feuilleter les pages, mon choix est fait. D'ailleurs, je préfère manier une houe qu'un stylo ».7 De plus, en juillet 1971, sa passion horticole lui cause des accents nostalgiques et le désaveu de sa condition intellectuelle, alors il écrit à Aurel : « J'ai travaillé de mes mains pendant dix jours à la maison d'un ami. C'est la seule chose qui me satisfasse pleinement. […] pour moi, chaque fois que j'ai l'occasion de travailler de mes mains, c'est comme si je retournais en enfance. Je n'étais pas censé être un intellectuel. Quelle décadence ! J'aurais mieux fait de devenir serrurier ».8 Et encore, en août 1977, avec encore plus de conviction : « J'étais fait pour la vie à la campagne. Le travail intellectuel est une hérésie »9. Il y a bien sûr de l'ironie, mais aussi une légère dose de cabotinisme dans ces propos. Mais le plaisir que procure le travail physique à Cioran est aussi réel que possible. En effet, aussi bien dans sa maison parisienne, rue de l'Odéon, que dans le loft qu'il a acheté à Dieppe, le plus grand styliste vivant de la langue française s'active chaque fois que l'évier se bouche ou que la poignée de la porte doit être réparée. .
Mais revenons à Nemo, l'ami qui l'héberge chaque été dans son domaine près de Nantes. Une enquête plus poussée m'a permis d'identifier ce mystérieux monsieur d'après les lettres et notes de Cioran comme Maxime Nemo - en fait le nom de plume de Maxime Georges Albert Baugey, né près de Tours en 1888. Trop de références sont introuvables sur ce personnage assez obscur. sans réalisations notables en écriture. Qu'il s'agisse de Nemo dont parle Cioran, je me suis convaincu en visitant le blog que lui consacre son fils, Patrick Chevrel10. rapporté à ses côtés – y compris sur le terrain près de Nantes. Grâce à Patrick Chevrel (qui m'a généreusement fourni des informations exclusives dans un échange de lettres - dont je dois des remerciements), nous pouvons dire avec certitude qu'il s'agit de l'ami dont il est question dans les lettres et notes des Carnets. Quant à la personne de sexe féminin, "l'amie" qui prend inopinément sa place dans les lettres à Aurel, l'explication est simple : c'est la femme de Maxime, Yvonne (née Bretonnière) - la propriétaire de fait du domaine, qui continue de les héberger Cioran et sa petite amie et après la mort de son mari, en 1975.
Il faut dire que le nom de Nemo n'est pas cité par hasard par Cioran, même s'il le mentionne toujours en passant. On peut dire à juste titre que Maxime Nemo est, avec des noms célèbres comme Ionesco, Henri Michaux ou Samuel Beckett, l'un de ses meilleurs amis en France. Dans une longue interview accordée par Cioran à Jason Weiss en 1983, lorsqu'on lui demande s'il a noué de nombreuses relations durant ses premières années à Paris, Cioran répond par la négative, soulignant qu'il n'a pas de relations parmi les écrivains, mais plutôt des personnes qui ne s'occuper de littérature - qu'il trouve beaucoup plus intéressante. En réalité, il connaissait plusieurs écrivains et artistes - c'est vrai, aucun d'eux n'était très célèbre. Parmi eux, Maxime Nemo, qu'il rencontre peu de temps après son installation à Paris et qui deviendra, entre 1947 et 1975, secrétaire général d'une société littéraire consacrée à la personnalité de Jean-Jacques Rousseau. Ce Nemo, autodidacte passionné d'art et de lettres, l'initiera au milieu culturel français après-guerre, lui faisant découvrir des personnalités de Paris à cette époque11, ainsi Cioran écrira à ses parents à l'été 1949, avec une certaine fierté : « J'ai commencé à pénétrer les milieux les plus intéressants de Paris, les grands écrivains... »12 À l'automne de la même année paraîtra le Traité de décomposition.
Les circonstances et le moment exact de leur rencontre ne sont pas très clairs, mais nous avons des indications que les deux étaient déjà de bons amis à la fin de la dernière guerre mondiale. Il existe peu de rapports à ce sujet. Dans une interview donnée à Norbert Dodille, Simone Boué précise que Maxime Nemo aurait été présenté à Cioran au Café de Flore, l'un des lieux de rencontre favoris des intellectuels de l'époque, où Cioran passait son temps ces années-là, assis quotidiennement du matin au soir, comme au travail ; d'autre part, selon Mircea Eliade (qui arrivait à Paris, en provenance de Lisbonne, en 1945), Nemo aurait présenté les deux à de nombreuses personnalités culturelles du moment - écrivains, peintres, gens de théâtre, qui fréquentaient le célèbre café Parisien Les Deux Magots.
Quant aux vacances de Cioran passées avec Simone la Cré, Patrick Chevrel m'a fourni de nombreux détails, certains anecdotiques - par exemple, des balades à vélo le long des bords de Loire, des parties de pêche, ou de longues conversations sur Valéry, Mallarmé ou la philosophie allemande ; mais comme le fils de Nemo était assez jeune à cette époque, ces souvenirs n'ont pas un support très solide.
Notons cependant que l'hôte à figure de patriarche recevait ses amis avec une hospitalité extraordinaire. Affable et chaleureux, il organise de véritables banquets, avec de nombreux convives, dans son hôtel particulier à l'ombre d'un séquoia gigantesque. Au cours de celles-ci, des débats houleux ont souvent eu lieu, Cioran ne partageant pas tout à fait les enthousiasmes littéraires de Nemo - notamment en ce qui concerne J.-J. Rousseau. Cela ne l'empêchait pas d'être son fidèle ami; à tel point qu'il accepte d'être son témoin, avec un certain Gilbert Houel, lors du mariage civil avec Yvonne, en 1968, à la mairie du XIe arrondissement de Paris. Nemo avait alors 80 ans et cohabitait avec Yvonne depuis plus de 30 ans, leur mariage tardif n'ayant probablement lieu qu'en vue d'arrangements successoraux. Car voici ce qu'écrit Cioran, dans une note de 1970, à propos de MN (initiales de Nemo) : « Toute sa vie il vécut dans l'illusion ; la maladie est venue : elle ne sait pas comment la supporter, elle la cache ou y réagit avec des tons de vieille coquette. Il m'a dit : "J'ai assez vécu". A ce moment-là, il était sincère, mais je sentais qu'il n'était pas encore assez mûr pour un tel aveu, qu'il aurait aimé ne jamais le faire. »14 Ainsi Nemo était certainement malade au moment du mariage ; sept ans plus tard, Cioran accompagne son ami dans son dernier voyage, au cimetière du Père Lachaise, sa tombe non loin de celle de Chopin. En 1990, Cioran, lui-même très âgé et faible, devra assister aux funérailles d'Yvonne ; A côté de lui se trouvait assurément Simone, car les deux femmes avaient été des amies inséparables. cachez-le ou réagissez-y avec le ton d'une vieille femme coquette. Il m'a dit : "J'ai assez vécu". A ce moment-là, il était sincère, mais je sentais qu'il n'était pas encore assez mûr pour un tel aveu, qu'il aurait aimé ne jamais le faire. »14 Ainsi Nemo était certainement malade au moment du mariage ; sept ans plus tard, Cioran accompagne son ami dans son dernier voyage, au cimetière du Père Lachaise, sa tombe non loin de celle de Chopin. En 1990, Cioran, lui-même très âgé et faible, devra assister aux funérailles d'Yvonne ; A côté de lui se trouvait assurément Simone, car les deux femmes avaient été des amies inséparables. cachez-le ou réagissez-y avec le ton d'une vieille femme coquette. Il m'a dit : "J'ai assez vécu". A ce moment-là, il était sincère, mais je sentais qu'il n'était pas encore assez mûr pour un tel aveu, qu'il aurait aimé ne jamais le faire. »14 Ainsi Nemo était certainement malade au moment du mariage ; sept ans plus tard, Cioran accompagne son ami dans son dernier voyage, au cimetière du Père Lachaise, sa tombe non loin de celle de Chopin. En 1990, Cioran, lui-même très âgé et faible, devra assister aux funérailles d'Yvonne ; A côté de lui se trouvait assurément Simone, car les deux femmes avaient été des amies inséparables. qu'il aurait aimé ne jamais le faire14 ». Ainsi Nemo était certainement malade au moment du mariage ; sept ans plus tard, Cioran accompagne son ami dans son dernier voyage, au cimetière du Père Lachaise, sa tombe non loin de celle de Chopin. En 1990, Cioran, lui-même très âgé et faible, devra assister aux funérailles d'Yvonne ; A côté de lui se trouvait assurément Simone, car les deux femmes avaient été des amies inséparables. qu'il aurait aimé ne jamais le faire14 ». Ainsi Nemo était certainement malade au moment du mariage ; sept ans plus tard, Cioran accompagne son ami dans son dernier voyage, au cimetière du Père Lachaise, sa tombe non loin de celle de Chopin. En 1990, Cioran, lui-même très âgé et faible, devra assister aux funérailles d'Yvonne ; A côté de lui se trouvait assurément Simone, car les deux femmes avaient été des amies inséparables.
Maxime Nemo fut un homme modeste et philanthrope toute sa vie, un créateur enthousiaste de sociétés et d'associations littéraires. Cela se voit aussi dans le choix de son pseudonyme littéraire : en latin, nemo signifie personne, un homme insignifiant, tandis qu'en grec il signifie partager, partager avec les autres15. Il connaît ses limites et ne fait pas étalage de sa personne ; mais il était particulièrement généreux avec ceux qu'il estimait, hommes de lettres et artistes, qu'il réunissait autour de lui, non sans profit, car il faisait de la conversation un grand honneur, étant lui-même bon orateur. Quant à sa relation avec Cioran, on a des raisons de supposer qu'il l'aidait également financièrement16, lui vivant pendant son "studentship" parisien sur la bourse, mais devant recourir après la guerre au soutien matériel de quelques amis généreux, comme Nemo.
Il faut souligner que ces amis anonymes et bienveillants ont joué un rôle majeur dans sa vie - ne serait-ce que parce que, sans leur soutien, l'existence apatride de Cioran sans aucun revenu constant à Paris aurait été, sinon impossible, certainement beaucoup plus difficile. Il n'en est pas moins vrai que, pour sa part, l'auteur des Exercices d'admiration a su apprécier leur amitié ; seulement qu'il a montré sa gratitude plus par des mots que par écrit...

Note
1. „Mâine plec o săptămână lângă Nantes, la o prietenă care are o casă frumoasă cu grădină şi unde mă duc în fiecare an“ (scrisoare către Aurel Cioran, în Scrisori către cei de-acasă, Bucureşti: Humanitas, 1995, p. 184).
2. Aceste amănunte, ca şi multe altele de acest gen cu privire la casa de pe domeniul La Crétinière, le-am aflat de la Patrick Chevrel, fin al lui Maxime Nemo.
3. Caiete, Bucureşti: Humanitas, 1999, vol. I, p. 234.
4. Scrisori către cei de-acasă, p. 64.
5. Caiete, vol. II, p. 342.
6. Ibidem, vol. III, p. 191.
7. Ibidem, vol. I, p. 234.
8. Scrisori către cei de-acasă, p. 93.
9. Ibidem, p. 157.
10. Blogul lui Patrick Chevrel poate fi găsit pe internet la adresa: http://maximenemo.over-blog.fr
11. Printre numeroşii scriitori pe care Maxime Nemo i-a frecventat se numără Georges Duhamel, Louis Aragon, Jules Romains, Tristan Tzara, Jean Paulhan, André Gide, Jean Richard Bloch şi Teilhard de Chardin.
12. Scrisori către cei de-acasă, p. 32.
13. Eliade îl descrie în jurnalul său din 1945 drept „simpaticul Maxime Némo“, pe care l-a vizitat împreună cu Cioran la Montmorency, în apropiere de Paris.
14. Caiete, vol. III, p. 191.
15. "Nemo" était en fait un surnom que lui avait donné son père adoptif, Georges Albert Baugey, que Maxime garda comme pseudonyme littéraire.
16. En septembre 1946, Cioran écrit à ses parents : « Un ami m'a donné de l'argent et j'espère qu'il continuera à m'en donner davantage. C'est un homme généreux qui m'invite aussi très souvent à dîner avec de bonnes personnes. Le seul contre-service [qu'il] me demande est de soutenir... la conversation, où je pense que je suis vraiment doué. Si j'étais calme de nature, je serais mort de faim depuis longtemps" ( Lettres à ceux de chez nous , p. 18-19). On peut supposer sans risque qu'il s'agit du même généreux Nemo, qui possédait à l'époque une propriété à Montmorency, près de Paris.

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Texte d'origine
Afabil şi călduros, organiza adevărate banchete, cu numeroşi convivi, la conacul său aflat la umbra unui gigantic arbore sequoia.
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19 avril 2023 3 19 /04 /avril /2023 18:05

L'Inspecteur d'Académie de l'Eure               Evreux,  le 18 janvier 1941

Ecole Normale d'Instituteurs d'Evreux

Bien cher monsieur ,

Je réponds bien tardivement à votre lettre, et m'en excuse très sincèrement; depuis la mort de M. Cockenpot , j'assure les fonctions de Directeur de l'E.N  en même temps que d'Inspecteur d'Académie, et mes loisirs sont devenus rares. Que d'événements depuis votre dernier passage à Evreux....Notre ville, vous le savez , a beaucoup souffert; tous les quartiers commerçants sont  détruits. Si les établissements sont par bonheur intacts - j'entends les établissements de l'enseignement public, car les écoles privées sont en ruines, ainsi que le séminaire et l'Evêché. - j'ai eu le regret de voir complètement anéantie notre Ecole Annexe, où l'on faisait un travail si intéressant . Ce pauvre M. Cockenpot a été tué le 9 juin 1940 au moment où il arrivait à la Préfecture; j'ai dû annoncer à sa veuve la terrible nouvelle, et, dans la nuit même, j'ai dû enterrer moi même le corps de notre chef, sans cercueil ( impossible d'en trouver alors...) dans la tranchée du jardin de notre Ecole Normale... Nos établissements, y compris le mien, sont occupés; seul est libre le lycée de garçons où logent mes élèves, où les collégiennes ont également leurs cours; la place, donc me fait entièrement défaut.

Nous n'avons plus de salle de réunion; cependant aux beaux jours, nous pourrions peut-être organiser une séance au Palais de Justice, ou ailleurs. Nous n'aurons bientôt plus que deux promotions d' Ecole Normale, l'une chez les garçons, l'autre chez les filles; nos 3è viennent de passer leur Brevet Supérieur et s'apprêtent en effet à nous quitter, pour aller faire leurs stages pédagogiques.

Je suis très sensible à l'éloge que vous faites de nos établissements; vous avez vous même contribué avec toute votre foi et tout votre talent à l’œuvre que nous essayons d'y accomplir ; vous ne serez pas oublié, n'en doutez pas; plus d'un instituteur, plus d'une institutrice retrouvera, dans son souvenir, le timbre, la chaleur de votre voix.

Veuillez, bien cher Monsieur, agréer l'expression de mes vœux sincères, et de mes sentiments très sympathiquement dévoués.

Pierre Menanteau

Maxime Nemo animateur du groupe l'Ilôt ,petit espace mais libre organisait dans les Lycées et Ecoles normales des cycles de conférences sur la poésie, la tragédie dès 1925. Il était déjà venu à Evreux à l'invitation de M. Cockenpot et Pierre Menanteau lui avait dédicacé à Evreux ses deux recueils de poésies:

Quand la feuille était verte... en 1928 "A Monsieur Maxime Nemo

Ces poèmes et chansons de jeunesse, en souvenir de nos rencontres, et en témoignage de toute ma sympathie, et de mon admiration pour son beau talent et son effort d'art, si noble et si désintéressé".

l'Arbre et la Maison en 1939 : " A Monsieur Maxime Nemo ami des poètes et de la poésie. Avec mon bien cordial souvenir.

Lettre de Pierre Menanteau à Maxime Nemo Janvier 1941
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19 avril 2023 3 19 /04 /avril /2023 10:30

En me plongeant dans la vaste correspondance de Maxime Nemo avec ses contemporains , je retrouve des billets et réponses de Gide, Carco, Cioran mais aussi de son ami Charles VILDRAC (1882-1971) Ressurgissent tout à coup des images, des souvenirs et des échanges qu'a si bien traduit Georges Duhamel (dans le numéro de l'Association des amis de Duhamel animé par Paul Maunoury Inspecteur de l'Education Nationale, lettré et homme de coeur et désormais par Catherine Postal. )
Je ne résiste pas au plaisir de transcrire la lettre (inédite) que Suzanne Vildrac adressa depuis la Maison Blanche Route Sainte Anne à Saint Tropez le 2 juillet 1971 à Yvonne et Maxime NEMO.

Amis,
Que votre lettre m'est douce ! Elle m'arrive lointaine, au fond du gouffre où j'ai coulé avec toute ma cargaison de bonheur.
Charles a souffert les peines les plus inconcevables au point qu'il en a été foudroyé, dans mes bras tandis que j'essayais de le soulager. J'ai reposé sur l'oreiller le visage d'un Christ détaché de sa croix.
Il repose au cimetière marin de St Tropez dans un cadre à sa mesure, le large à l'horizon, la lumière et de grands oiseaux blanc qui planent au dessus du silence.
Je vous embrasse et vous supplie de venir me voir à l'automne pour partager ensemble ce qui nous reste de lui.
Suzanne
Suzanne Rochat était la soeur de Charles Vildrac )

Lettre inédite de Suzanne Rochat à Maxime et Yvonne Nemo 1971
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19 avril 2023 3 19 /04 /avril /2023 10:16
Rencontre avec l'humain de Robert Guichet in Vildrac quaderni del Novecento Francese 7 Diretti da P.A Jannini e S Zoppi. Editori Bulzoni (Roma) Nizet (Paris)
Quelle impression de bonheur, de réconfort , de recueillement, quel transport d'amitié ont-ils éprouvé ceux, qui, comme moi ont connu Charles Vildrac !
C'est en juin 1962 que je vis Charles Vildrac pour la première fois. Par Maxime NEMO fondateur de l'Asssociation JJ Rousseau et qui m'était un ami cher, je lui fus présenté.
Je vis devant moi un homme qui se tenait bien droit, le corps un peu rejeté en arrière, grand quoique ne le paraissant pas. Il me tendit une main franche, un bon sourire éclairait son visage orné d'une courte barbe et ses yeux, derrière ses fines lunettes, tout en me scrutant, pétillaient.
Il émanait de sa personne un calme doux, réfléchi, plein de finesse, mais à la fois curieusement rugueux.
Moi qui suis toujours mal à l'aise devant un inconnu, je fus mis aussitôt en confiance. Il ne fallut pas plus d'une minute pour que cet homme m'attachât à sa personne. Ce fut réciproque. Une communion née de cet instant se fit et cette rencontre fut celle de la chaleur humaine.
Il avait 80 ans, j'en avais à peine 40.
J'écrivais des vers. Il fit de moi un poète ! J'étais solitaire, il m'entoura d'amis. Charles Vildrac avait un don, celui de vous rendre attentif aux autres. Il n'avait de cesse de transfigurer, en quelque sorte, son auditeur. Cette disposition lui était naturelle, elle fut toujours dominante tout au long de sa vie.
Fondateur de l'Abbaye de Créteil, animateur du phalanstère éminemment sympathique et généreux, il poursuivit dans cette vois, en unissant sa façon de vivre, d'agir , à ses écrits .
Il était très curieux de peinture et fut le premier à ouvrir une galerie rue de Seine à Paris.
Il aimait à peindre et à dessiner. Ses aquarelles sont limpides et marquées par le soleil de la Méditerranée qu'il aimait tant et au bord de laquelle à St Tropez, il repose aujourd'hui.
Il fuit le Carrefour de l'Odéon en juillet 1968, à cause de sa santé et des événements tumultueux. Il retrouve sa maison un peu vétuste et envahie de feuillage.
 
NDLR: "L'Ile intérieure" (Editions Subervie 1968) et Partage d'aimer (Editions Subervie 1965 Préface de Charles Vildrac ) de Robert Guichet Trésorier de l'Association JJ Rousseau jusqu'en 1975.
Portrait de Charles Vildrac par Berthold Mahn.Décédé le 25 juin 1971 à 89 ans il était né le 22 novembre 1882.
Sa veuve Rose Vildrac soeur de Georges Duhamel avait tenu 11 rue de Seine une galerie de tableaux résolument figuratifs s'est fixée en Italie, sa fille Luce Gerbaud veuve du peintre Abel Gerbaud et mère de Daniel Gerbier. Vildrac ne goûta pas du tout l'art cubiste ou abstrait dont l'oeuvre d'Albert Gleize son compagnon à l'Abbaye de Créteil.
Deux siècles après Rousseau, des hommes comme Charles Vildrac ou Jean Guéhenno auraient pu faire leur, la devise de l'auteur de l'Emile : " Vitam - impendere - vero " (Consacrer sa vie à la vérité)
Hommage à Charles Vildrac par Robert GUICHET
Hommage à Charles Vildrac par Robert GUICHET
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19 avril 2023 3 19 /04 /avril /2023 10:11

Pages du Journal de Charles Vildrac 1922 - 1966 (NRF Gallimard 1968 P. 224) " Le Colloque de Royaumont, hier et avant hier, sur Jean Jacques Rousseau et l'homme moderne. (à l'initiative de Maxime NEMO ouverture par Stéphane Hessel )

Quelle sécheresse intellectuelle chez la plupart des docteurs et professeurs qui ont parlé. Les plus brillants ne sont qu'esprits spéculatifs qui jonglent avec les idées. Et quelle terminologie ! Quel charabia philosophique ou scientifique !" "Après l'agréable déjeuner au bord de l'Oise, séance à Royaumont. Un personnage assez jeune et d'un débit oratoire aisé a traité son sujet: " Rousseau et la communication" ( le regard, la parole et l'écriture) " le regard était l'extension du registre préverbal qui met en jeu la relation affective et la relation sociale". Qu'une lettre n'était autre chose que "l'expression de la subjectivité séparée, la modalité incorporelle de la communication"(sic) " Le Moi s'y abandonne à l'expression trompeuse de l'extériorité " Que le conflit est le climat de la parole, le moi s'engage dans l'exposé rationnel de sa certitude Etc... Etc....! Je n'imaginais pas que nos docteurs pussent jouer à ce point et à leur insu, ceux de Molière. J'ai noté ce fatras, étant assis à la tribune à côté même de l'orateur. Et je voyais de nombreux auditeurs prenant sérieusement des notes, comme à un cours en Sorbonne pour apprendre que Rousseau avait échangé des regards, écrit des lettres et même des livres et , prodige ! était capable de converser avec ses contemporains".

p224  Charles Vildrac NRF Gallimard 1968

p224 Charles Vildrac NRF Gallimard 1968

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30 novembre 2022 3 30 /11 /novembre /2022 19:15

Correspondance : Maxime NEMO – Jean Richard BLOCH  1924 – 1945

C'est en rédigeant  la biographie de mon aïeul Maxime NEMO (1888-1975 un passeur des Lettres) que je mis la main sur des dédicaces d'ouvrages de JR Bloch à son grand ami Nemo. Puis est apparue une lettre très personnelle qui devait faire suite à une longue série d'échanges à la fois intellectuels, amicaux et peu à peu pleins de fusions et d'affection.

On ne dira jamais assez combien la séparation du couple Baugey à Aix en Provence sur fond de rancœurs et de drame par avocat interposé, fut un réel cataclysme dans la trajectoire personnelle et professionnelle de ceux qui jusque là avaient cheminé de concert dans des récitals de poésie et des conférences, les amenant à rencontrer la famille Bloch pendant la période heureuse des années 20 à « la Mérigote » près de Poitiers.

J'ai donc consacré un chapitre important sur l'influence décisive que JR Bloch eut sur Nemo l'un né à Paris en 1884 l'autre en Touraine en 1888. 

Il manquait dans cette émouvante évocation les échanges épistolaires de 1924 à 1935 date de la rupture et du vide des archives voulu semble-t-il par  Antoinette Pègues qui dût faire le vide au Montaiguet en Meyreuil chez les Rougier puis de 1935 à 1947 date de la mort de Jean Richard Bloch à 63 ans .

Comme je l'ai précisé il manquait à ces dédicaces et mots espacés la série de lettres entre ces deux amis,  que Daniel Lhérault a bien voulu exhumer des archives de la Bibliothèque Nationale dont il est un fin connaisseur et acteur. Le résultat, sans les réponses hélas de l 'intéressé  qui nous privent de tout un pan de l'histoire littéraire est à glaner dans les biographies et études littéraires  du Groupe d'Etudes Jean Richard Bloch et article du Maitron par Nicole Racine.

Il n'y est pas fait mention du séjour concommitent des deux hommes à Florence en 1913, évoqué par l'un, attesté par l'autre dans de récentes études de M.Trebisch et Isabelle Renard sur l'Institut français de Florence. On sait que Bloch "passa l’année universitaire 1913-1914 à l’Institut français de Florence où il enseigna l’histoire et la littérature françaises. Correspondant en Italie de l’Humanité socialiste, il assista au congrès d’Ancône en avril 1914".
http://www.etudes-jean-richard-bloch.org/spip.php?article29
Maxime NEMO de son côté évoque dans un inédit "Italie terre de l’homme" daté de 1951 un séjour à Florence en 1912 1913 en qualité d’ "étudiant" (il était alors âgé de 24 ans).

Les premiers échanges de Nemo vers Bloch après la guerre de 1914 ont disparu même si les collaborations journalistiques vont  s'intensifier autour de la « culture prolétarienne » avec Marcel Martinet 1887-1944 autre contemporain et ami dans  Clarté avec Barbusse « l'Intransigeant », « L'Humanité » « Monde » puis « l'Effort » avec Bloch enfin « Europe » avec Pierre Abraham fils de JR Bloch. NB Je renvoie aux articles dans ma biographie et mes articles sur moin Blog et la page Facebook sur Maxime Nemo)

Pour revenir à ces trente lettres «  envoyées » de Meyreuil près d'Aix, de Razac en Dordogne, de Nancy, de Troyes ou de lieux improbables, écrites parfois sur une « banquette de train de IIIè classe » elles mentionnent les étapes de longues randonnées au gré des mille conférences données , s'attardant sur les Hôtels et Auberges.

Les premières de 1924 à 1934 sont des suppliques à Bloch pour l'aider à publier chez Rieder ses premiers romans dont « Un Dieu sous le Tunnel »1927  puis « Julot Gosse de Rêve » 1930  (les autres comme « Duel de forces » et « Navire Immensité » restent inédits dans les cartons de l'Histoire)

Une lettre de JR Bloch du 10 septembre 1934 précise que toutes les lettres de Nemo "arrivent bien de Poitiers, Morlaix, Aix et même deux cartes de Fressines et d'Elbeuf et de Varennes et une de Granny ( Louise Bloch) ce qui est très bien".

Pour l'année 1935 Bloch note dans son Agenda : 19 mars: Nemo 1 rue Parrot Hotel Viatov, Mercredi 10 avril Vaillant à déjeuner; Nemo au Parthénon pour Hyménée de Gogol.

De1935 à 1940 l'épaisseur du propos mélange l'anecdotique et la réflexion sur l'engagement des intellectuels dans la foulée de Julien Benda et de beaucoup d'autres. Il faut dire que la menace  qui plane sur une classe politique atrophiée et déconnectée des réalités donne à Nemo une nouvelle vigueur et lui suggère des projets comme une enquête sur la Civilisation ou le lancement d'une Revue ou Groupe de pensée intellectuel vers les jeunes, on sait que ces  « Fêtes de l'Esprit » existent déjà et ont accouché de « l'Ilôt » « petit espace mais libre »

La participation attestée de Maxime Nemo au Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, qui se tint à Paris du 21 au 25 juin 1935, fut un événement et est devenu une légende. Evénement parce qu'il réunit, parmi les 230 participants venant de 38 pays, des écrivains aux opinions diverses, célèbres à l'époque comme plus tard : Aragon, Babel, Barbusse, Becher, Benda, Ernst et Jean-Richard Bloch, Brecht, Breton, Ehrenbourg, Feuchtwanger, Forster, Gide, Huxley, Koltsov, Malraux, Heinrich et Klaus Mann, Mounier, Musil, Nizan, Pasternak, Salvemini, Seghers, Tzara, etc.

 

Quelle réponse le correspondant et « cher ami » de « la Mérigote » apporte-t-il à ces propositions parfois exaltées et brouillonnes ? Elles sembleront à certains des « bavardages » mais prendront tout leur sens dans les lettres que j'ai pu retrouver :

 

De la Mérigote le 9 septembre 1940 puis du 27 rue de Richelieu en date du 17 octobre 1940 ce sont les dernières lettre de Bloch à Nemo, retrouvées par hasard dans le fond de ses correspondances et prennent bien sûr toute leur intensité et leur  valeur.

Elles répondent en effet à celle de son ami datée du 3 septembre depuis Troyes sous les décombres.

On sait par les recherches de Rachel Mazuy que Jean Richard Bloch et sa femme Maguite se réfugient à Moscou dès la fin de cette même année, d'où le silence qui suivra jusqu'à leur retour en 1945.

La lettre adressée à Moscou est sans doute perdue comme les démarches de Nemo auprès de l'Ambassade d'URSS à Paris. (Le fonds russe n'a toujours pas été dépouillé.)

Je n'ai pas retrouvé d'échanges après 1945 et jusqu'à la mort à Paris de JR Bloch en 1947 mais c'est bien le fils, Pierre Abraham qui deviendra l'ami fidèle et qui apuiera tous les efforts de Nemo dans la création de son « Association Jean Jacques Rousseau » née la même année ainsi que pour la publication des articles recensés dans la Revue Europe.

Je livre donc à la sagacité de Daniel Lhérault et Rachel Mazuy ces transcriptions pour une éventuelle publication et des conférences à venir sur ces fragments d'histoire littéraire que certains jugeront bavardages entre « copains » au sens d' « Hommes de bonne volonté »

En cette période de l'entre deux guerres il y en avait encore , mais qu'en est il aujourd'hui ?

 

Montpellier, le 1 décembre 2022

 

Patrick CHEVREL

 

Rappel des articles publiés sur le Blog de Maxime Nemo http://maximenemo.over-blog.fr

et développés sur la page Facebook qui lui est consacrée.

- Comment Nemo a rejoint « Clarté » et « Monde » avec Henri Barbusse

- Maxime Nemo et Marcel Martinet

- Envois autographes de Bloch à Nemo

- La parenthèse strasbourgeoise 1919 – 1920 : professeur de philosophie Université Populaire

- Chapitre 3 : Journal inédit 1925-1941 puis Journal inédit 1940

- Chapitre 11 : les contradictions d'une époque.

- Réflexions sur le désastre 1939

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30 novembre 2022 3 30 /11 /novembre /2022 17:58

Maxime Nemo Le Montaiguet par Meyreuil (B.du R)

Ce 23 décembre 1932

Très cher ami,

Un mot : pourrais-je savoir le nom de la salle dont vous m'aviez parlé l'année dernière pour une nouvelle tentative à Poitiers ? Une salle de cinéma je crois. Il faudrait que j'entre en relation avec son directeur car au cours des semaines qui viennent je vais fixer l'itinéraire de ma deuxième tournée, la première étant achevé. 46 conférences sur la Tétralogie depuis le 15 octobre. Beaucoup d'enthousiasme, de ferveur. Nous rentrons avec Tonnerre de Dieu qui s'est bien comportée.

J'ai eu tant de travail que mon enquête est restée en plan . Mais je vais profiter de deux semaines de repos vers Nice où j'ai des conférences à donner en janvier pour envoyer la « première vague d'assaut ». je viens d'envoyer à l'imprimeur le texte du premier questionnaire.

Mon manuscrit est royalement refusé_ « Destin d'un seul »- chez Grasset et chez Gallimard. On trouve le sujet très bien, si bien même qu'il ne faut pas l'abîmer en le publiant. Peisson qui habite Marseille et que je voyais avant hier me conseille de faire une tentative auprès de Denoël...

Enfin je me console aisément en me disant qu'il faut bien laisser pour après sa mort, de l'inédit !!!!

Je voulais vous écrire un mot mais cette sacrée machine va toute seule – c'est un autre tonnerre de dieu ! Tout de même me voyez vous avec (…) illisible

Je suis à Périgueux  Hôtel de France jusqu'au 15.

________________________________________________________________________________

Maxime NEMO

Le Montaiguet

Par Meyreuil le 1 janvier 1933

Mon cher ami,

Nous voici rentrés de notre randonnée qui s’est parfaitement achevée en une course de 600 kilomètres accomplies en un jour de Tarbes à Aix.

J’ai trouvé en arrivant une lettre de mon fils qui me disait qu’il avait rencontré le commandant Rébillard, lequel l’avait fort gentiment accueilli . Il accepterait de l’embarquer après le 15 juillet sur son bateau si Monsieur Wolkowitch y consentait ; et je me disposait à écrire à votre beau-frère  en me recommandant de vous lorsque j’ai constaté que je n’ai plus son adresse , envoyée à Christian il y a un mois. Je vais la lui redemander mais si vous aviez l’occasion d’écrire à Monsieur Wolkowitch avant que j’aie la possibilité de le faire , j’ose vous demander encore de bien vouloir préparer les voies. Et dois-je vous dire à quel point je vous suis reconnaissant  (nous vous sommes) de votre amitié  toujours si fervente et si attentive. Je vous prie de croire que je suis infiniment touché de toutes les penses amicales que vous avez pour nous et je vous en exprime ma gratitude entière cher ami… Je souhaite qu’un jour mon intervention me permette de vous restituer une partie des témoignages d’amitié que vous me donnez avec tant de générosité ; je ne puis en échange de la vôtre, que vous assurer de mon affection.

Je vous ai retourné il y a deux ou trois jours les volumes que vous aviez eu l’obligeance de me confier. J’ai trouvé « 5000 » très beau. Surtout dans la deuxième partie, là où le drame commence à apparaître. Je trouve extraordinaire que l’intérêt du livre se puisse maintenir avec cet unique élément de la course. Peut-être placerais-je encore plus haute le livre d’André Obey d’un beau muscle littéraire. C’est vraiment épatant et je ne dis pas qu’un jour je n’utiliserai pas ces deux œuvres pour une manifestation sur le sport. Il y aurait une très belle lecture à obtenir de ces textes. Je trouve le livre de Serge ( Victor Serge ?) un peu candide . C’est pauvre de réflexion. Ces gens parlent du prolétariat comme Pascal de Dieu, c’est-à-dire comme d’une chose acquise. Cette absence totale de sens critique est la cause de mon inimitié avec « les gens de gauche ». Je les trouve pauvres d’idées. Je viens encore de m’irriter en lisant le lamentable appel de Barbusse et de Romain Rolland pour un congrès pacifiste. Il n’y a pas une idée définie, rien que des vagissements sentimentaux qui sentent leur avant guerre d’une lieue. C’est crispant au possible, car on pense à tout ce que les adversaires de la pensée qui devrait être libératrice, peuvent extraire de sarcasmes de cette piètre idéologie. Je pense souvent à organiser un mouvement avec de vrais intellectuels pour remettre un peu d’ordre dans la confusion qui nous envahit.

Enfin cher ami, j’ai lu aussi le « Soldat Chveik » de Jaroslav Hasek. Je le relirai, mais mon impression première est fâcheuse. Elle confirme ce que je pense du rire allemand : il est lourd. Vous me direz que l’auteur est tchèque et (manque une page)

___________________________________________________________________

 18 février 1933

Regrettant le coin du feu ! « Heureux qui comme Ulysse.... !! Soit, mais pas par cette température

Enfin nous voici tous trois à l'écurie et pour trois semaines. Joie de retrouver ses livres, ses projets qui ont grandi en vous- sans que vous ne le sentiez.

Heureux Mérigotins ! Que devenez vous ? Je vous suppose cendrés autour d'un même foyer. Souvent vos figures, vos noms reviennent dans nos entretiens ; Ah j'ai lu dans « Monde » une (….) d'un monsieur Ku.... puisqu'il signe Kurella.... Ex …....

Cher ami ce facheux calembourg  et croyez tous à notre affectueuse pensées. Notre cœur fait la France

Nemo

__________________________________________________________________

Maxime Nemo

« L'Ilôt »

par Meyreuil (B.duR.)

Ce 1 septembre 1933

Mon cher ami,

Il faut bien que je vous fasse part d'un projet que je suis en train de réaliser.

J'écris un livre sur la Tétralogie. Ce ne serait pas le premier me direz vous et vous auriez raison mais le mien présentera peut-être une nouveauté : à l'explication musicale sera attachée la nomenclature des disques correspondant au passage analysé. Cette étude me permettrait en même temps que l'étude des pensées dramatiques , lyriques de l'oeuvre , une même étude du disque associé à mon analyse, et ainsi mon lecteur pourrait suivre phrase par phrase le mouvement musical et celui de la pensée qui y correspond. Alors, le Français moyen connaîtrait la Tétralogie, ce qui n'est pas aujourd'hui car j'ai pu me rendre compte que même à Paris la plupart des auditeurs va à ces représentations dans un état d'impréparation qui en rend évidemment la réalisation par moment fastidieuse.

Que pensez vous de l'idée ? J'ose vous le demander puisque j'atteins un domaine qui est le vôtre ! Mais voilà, qui éditera un tel ouvrage ? Il va sans dire que les disques ne seront pas vendus avec le volume et que l'acheteur restera libre de les acquérir ou don. J'ose vous demander si à Paris vous voyez une maison susceptible de s'intéresser à cette forme nouvelle de publication. Il serait bon qu'avant de mettre tout au point, je puisse établir une collaboration avec une maison d'éditrice, et aussi avec les maisons de disques dont les réalisations seront mentionnées.

A ce sujet je compte surtout utiliser les disques « His master's Voice »dont la sonorité me paraît parfaite et le style excellent.

L'ouvrage ainsi réalisé pourrait être mis en vente non seulement chez les libraires mais chez les marchands de musique.

Ceci terminé enfin que devenez vous, Mérigotins amis ? Nous venons de rentrer du Cantal où nous avons passé deux mois et nous trouvons une Provence grise, sans soleil alors que nous gémissions à l'idée de la chaleur que nous pensions trouver. On nous a changé notre climat et j'avoue que je le regrette.

Je ne suis pas très content du travail de ces deux derniers mois. On travaille mal en pension de famille, mais j'y allais pour le repos de ma femme. J'ai entièrement refait mon roman de l'an dernier «  Navire : immensité » et je pense être parvenu à une forme plus haute . En somme c'est le lyrisme de l'amour que je représenterai là, et je voudrais aboutir à une langue splendide, débarrassée de ces tons heurtés si fort en honneur ces dernières années. Plus je m'avance en art et plus je me rends compte que cette belle transparence doit être l'effort suprême de l'artiste. Le repliement et le silence qui sont mon lot depuis des années m'obligent à tout puiser en moi et ce n'est peut-être pas un mal.

Je n'ose vous demander si vous venez jusqu'à nous ; hélas ! J'ai pourtant fait rentrer du vin excellent pas plus tard qu'hier ; ce serait le moment ! Et votre frère ?

A vous tous nous disons notre affectueuse amitié. Ayez la bonté cher ami de partager entre tous le souvenir dont cette lettre est abondamment chargée et croyez moi encore vôtre de tout cœur.

Maxime Nemo.

Maxime Nemo « l'Ilôt » par Meyreuil (B;duR.)  2 Octobre 1933

Mon bien cher ami,

Une bonne lettre d'ami, trouvé le le (…) ou serait inscrite sur le tableau noir – noir noir noir- aurait le créateur du hareng saur saur saur !

Nous quittons la Provence et ses brumes le 9 octobre et direction la Bretagne par Clermont- Bourgogne- Tours – Caen. Si vous aviez à m'y écrire je vous donne des adresses.

Je combine d'arriver à Poitiers le 12. et d'avoir une journée de libre et de pouvoir la distribuer à tous ceux qui l'habitent.

Nos voitures ont de communs tourments – on vient de me changer deux arbres non du pont aux ânes mais du pont arrière. Nous roulions avec un jour formidable et jamais ça n'avait si bien tourné !... Ce jour de l'amour....hmm !... et du rippage...

Liste de nos arrêts principaux :

14 octobre Bourges Hôtel de France

17 octobre Tours Hôtel de la Crouzille vieille façade renaissance et excellente cuisine.

19 octobre Caen Hôtel de la Place Royale

24 octobre Morlaix «  Si Anglais te mord mord les ! » Hôtel de l'Europe très bon surtout le dimanche avec l'orthus mais il est recommandé de ne pas manger le musc.

28 octobre Quimper Hôtel de l'épée

Avec les peintures de Lemordant on n'est pas obligé non plus de le comprendre dans le menu substantiel très bon cidre bouché – un peu cher !

3 novembre Vannes Hôtel du Commerce

6 Novembre Rennes Hôtel Central ( médiocre – c'est rare)

7 Angers – Zut ! Je ne me souviens plus car je n'ai d'autres carnets que ma mémoire pour mon estomac pour ne pas dire- plus bas.

9  La Roche sur Yon  Hôtel de l'Europe.

Ensuite, fêtes de la Victoire. J'espère dans les marais avec Pérochon et le 12 dans vos bras !...

Et dire que je vous quitte pour m'enfoncer dans ce dilemme : «  Un laîciste ne sera pas cru il sera pathétique ». Riez pas – il s'agit des temps futurs.

Dommage que vous ne soyez pas sur les côteaux d'en face  car « Destin du siècle » c'est là.

Affectueusement

Maxime Nemo.

Maxime Nemo l'Ilôt »  9 avril 1934

Mon cher ami,

J'ai reçu votre appel aujourd'hui. Peu décidé à l'action – à cause du dégoût que je me fais si (…) naître. Je réponds seulement par ce mot. Puisque vous en êtes, je (…........)  Et comme je n'aime pas les choses faites à Drieu, je vous écrit aussitôt – et longuement peut-être.

Il faut barrer la route -        est là – Le malheur est qu'on ne puisse partir – peut-être – pour une grande action. Je suis sollicité par Georges Valois qui dit vouloir me rencontrer – mais à quoi bon faire (…....) choses mal faites plutôt que d'essayer d'en réussir une. Ce n'est pas que le papier signé de Laugerin me fanatise mais enfin, ça y est – car vous y êtes – Et maintenant ? Est-ce qu'il est impossible de trouver en France 100000 (cent mille) types capables de trouver cent francs pour le barrage en question ? Ça ferait dix millions tout de même ! Et j'ai idée que si on les demandais avec un certain ton on les aurait. Dix millions «  ça » n'est pas le Pérou mais la presse est tout de même quelque chose, un quotidien, une revue, des échanges.Ah ! voyez vous il faut recréer une âme à ce pays. C'est nous qui devrions juger les salauds qui ont compromis le peu d'idée pure qui soit dans ce mot : Démocratie. Ce n'est pas qu'elle n'ai pas besoin d'une foutue lessive, mais pour la laver, faut-il qu'elle soit encore ! Ces chausseurs la rendraient indéfendables ; c'est de notre justice qu'ils dépendent et la première chose qu'il faudrait restaurer – au risque d'être une fois ridicule!- c'est un tribunal où défileraient tous les compromis. Le moment de la purge est arrivé – et il faut la faire si amère – ou salée- soit elle sinon c'est à dire, si on ne reconstitue pas le principe d'une propreté intégrale aux yeux des gens, tout est fichu et il ne nous reste qu'à aller planter nos roses – dans un coin de France que (….) avec – un peu plus- le dégoût de la politique en nous ;

Et puis, lorsque tout cela sera fait – le nettoyage impitoyable – rien ne sera fait car la démocratie fait trop vite démocrassouille. Nous n'avons pas si j'ose dire – de  vertèbres intellectuelles.Où est notre théorie de la valeur, où est notre centre civilisateur ?

Rien que le vote – et ce qui en naît. Il faut à mon sens hurler que cette forme sociale est (….) au suprême degré si nous n'arrivons pas à lui substituer un état de hiérarchie.

Il faut marier les contraires – ou alors nous mentons à l'Homme – et c'est grave- Or la hiérarchie sera possible par l'éducation. Aristocratie de l'argent, aristocratie du sang – cela est mort ou doit mourir- A sa place celle de l'esprit. Non pas une République des philosophes ou des professeurs mais la pensée raide à sa place – la 1ère – la pensée – principe – la pensée divine – ce qui suppose – je le sais – de rigoureuses exclusions.

En (…...)  il faut partir non d'un plan de la Crise, mais d'un plan de l'homme.

Le bienfait de mon enquête sur la Civilisation est que ma propre personne – pas même vous – ne lui a répondu. Alors je me suis ( lorairé) et il a bien fallu que je découvre que sans un concept initial

l'homme et l'humanisme – cette fleur de l'homme dans la pensée ! - ne vaut pas.

Je sais bien que nous blanchirons sous la terre lorsqu'un peu de tout cela fleurira !...

Mais quel  plu prospère repos au fond des choses éternelles que de savoir peut-être que de la  tige        de notre âme est née cette nouvelle éclosion.....

A mon jour, l'oeuvre est là ; le reste est foutaise.

Je vous écris fraternellement , vous le voyez- parce que je sais que nous nous aimons et que nous pouvons recracher nos pensées au fond d'elles mêmes, comme nos yeux se regardent  ou sûrement de notre avis à la Mérigote – près du départ, lorsqu'ils savent que c'est le départ.

Dites notre souvenir à votre épouse et à vos enfants – à tous ce monde si près de nous ! Et saluez moi,  vôtre entre toute affection  

___________________________________________________________________

le 9 avril 1934

que ce n'est pas la même chose. Et bien si ! Je trouve dans le livre cette épaisseur de matière que je reproche aux caricatures du Simplissimus et de George Cros. En somme beaucoup plus que Don Quichotte, le livre se rapprocherait de Candide, mais un Candide à l'ironie superficielle et lourde. Le don du rire a été refusé à ces races, même le rire douloureux et j'avoue mal digérer ces scènes, toujours les mêmes avec le feldpurat. Je pense au rire de Gogol, par exemple ou l'émotion ironique et attendrie de Gontcharoff. Le rire allemand m'a toujours semblé aussi faux que leur fantaisie. Voyez ce qu'un type comme Israël Zangwill ferait avec un tel sujet. L'ironie du Roi des Schnorrers ! N'êtes vous pas de mon avis, vous l'homme de «  Dix filles dans un pré » !

Et maintenant je vais m'enfoncer dans les profondeurs de la forêt wagnérienne. Je prépare un effort sur la Tétralogie et bien que Mlle Pineau n'aime point Wagner j'apporterai peut-être ceci à Poitiers l'hiver prochain .

Mais n'aurons nous pas la joie de vous revoir avant ? Il fait à présent un temps magnifique ici ! Une chaleur d'une légèreté exquise. Je n'ai pas su vous taper cette lettre dehors tellement il fait frais ce matin. Ah si je pouvais voir un jour nos deux Ford côte à côte dans notre garage !...

Dites, je vous pris notre affectueux souvenir à votre femme, à vos charmantes filles ; ma femme et moi vous envoyons nos pensées les meilleurs et je vous serre la main comme si, encore vous descendiez de votre fenêtre comme vous l'avez fait si gentiment pour nous accueillir plus vite à la Mérigote .

De tout cœur vôtre.

Maxime Nemo.

___________________________________________________________________Maxime Nemo

par Meyreuil en Provence

de Paris , 1 rue Perrot, Diderot : 11,00

Mon cher ami,

J'ai pris connaissance du programme ébauché par le Congrès d'Ecrivains et que vous avez eu la bonté de me remettre.

Permettez moi de vous faire part de mon adhésion. Nous en reparlerons mais vous pouvez compter sur moi et j'envisage non seulement de me trouver à Paris à ce moment mais si vous le désirez, de faire connaître le congrès et de attirer des sympathies.

Bien affectueusement à vous.

Maxime Nemo

Maxime Nemo

5 av Porte de la Plaine

Paris XVè

Ce 7 décembre 39

Mon cher ami,

Où êtes vous ? J'envoie ce mot à la Mérigote, pensant que peut-être la chère maison a été votre centre d'accueil depuis les événements de septembre.

Je suppose également que l'impure politique – elles sont toutes impures – et le cessation de «  Ce soir » vous auront rendu à vos amitiés et aussi – elles se rejoignent parfois!- aux Belles Lettres ( autre forme de la pureté) . Je repose donc et avec affection la question : où êtes vous et que devenez vous. J'aurai un plaisir infini à recevoir de vos nouvelles, de celles des vôtres : vos filles Pierre Abraham et, naturellement, Mme JRB, comme disait si bien notre ami Eon. Je pense parfois à ce cinéma où vous vîntes si gentiment à moi, à ces « fêtes »  au cours desquelles nous nous retrouvions dans une intimité profonde. J'ai quelque peu regretté notre « éloignement » dû, je le crois à l'activité de votre vie , à Paris.

Qu'est-ce que je fais ? En apparence rien. Je vis un événement que je peux éviter, comme le Choeur vivait la violence stupide ; j'englobe en un même mépris toutes les formes de matérialisme, marxisme compris – non pas avant tout autre car il n'est que le succédané du capitalisme bourgeois

( la consécration de la bourgeoisie à l'usage des masses)  et j'écris et vis en essayant de demeurer humain, même si cette attitude est seulement spéculative ( surtout si cela est!)

Le monde actuel est impensable – et c'est pour cette raison que les meilleurs « dévouements » n'arrivent pas à le penser. C'est dans le silence et en vue du seul avenir qu'il faut édifier l'éternelle logique des Idées sans se soucier des usages que l'homme – brut en pourra faire – ou le social qui lui correspond. Cette attitude ne me vaudra aucun succès, dans aucun clan (page manque) __________________________________________________________________

Troyes le 16 décembre 1939

Mon bien cher ami

A moi aussi, votre lettre fait bougrement plaisir. Il y a longtemps que je désirais vous écrire, pour vous dire en ces circonstances, mon amitié. Et puis on ne sait comment on a vécu. J'étais en Bretagne dans le coin splendide où depuis quatre ans je passe mes vacances.

Nous avons vu ces pauvres gens souffrir – en silence- leur douleur nous a pris. C'est cette chaire humaine là dont la souffrance vous déchire. Je n'oublierai jamais notre laveuse de linge nous parlant de son « petit » parti avec des larmes si graves qui coulaient de ses yeux. Et tous et tous...

Alors, et bien que j'aie dès cet instant senti votre solitude et que j'aie eu l'intention de vous écrire, je ne l'ai point fait. Et voilà ! Votre lettre chaleureuse vient me dire votre amertume – dont je me doutais un peu.. Hélas mon cher ami, l'amitié est une qualité et l'homme une quantité. La quantité est chose aisée ; rien n'est plus commun que le Nombre. L'Homme va vers le Nombre et quand nous rêvons ce Nombre dans notre générosité, nous oublions que la qualité est chose d'élite, à quoi le Nombre quel qu'il  soit, ne parviendra jamais. Sauf par amitié !...

Croyez que depuis quatre ans, j'ai eu des amertumes pires que les vôtres, je les dirai pires parce qu'elles étaient intimes ; j'ai constaté des défaillances qui seraient capables d'amener en moi la haine si j'étais capable de haïr. La pitié est préférable – parce qu'il y a le destin. Et j'ai entrainé dans cette expérience, un être jeune et doux sur qui l'Administration s'est acharné, si bien que comme le Roi Jean à je ne sais plus quelle bataille, il fallait se garder de toutes parts ; La dégradation morale était notre ennemi. Sans le serveur qui m'a simplement soutenu , je ne sais ce que je serais devenu. J'ai le bonheur, nous l'avons mais pas gratuitement. Comme ça nous ne devons rien à personne.

Et voici pourquoi, mon cher ami, je suis à Troyes où elle enseigne. C'est vrai que c'est une ville déconcertante, avec une pouillerie centrale curieuse et des alentours admirables. Je travaille paisiblement. Je crois même avoir beaucoup travaillé depuis quatre ans. J'ai – plus qu'un projet ! La matière d'un sujet qui me tient au cœur. J'aimerais pouvoir réaliser deux choses : un roman dont je vous avais parlé, et une œuvre de pensée. Je dis que c'est – peut-être que ceci vous paraîtra ambitieux ! Une métaphysique de l'esthétique. C'est évidemment une métaphysique puisqu'une explication (envisagée) de la vie en soi. Cette vie en soi a toujours été placée en un être que les religions ont nommé : dieu. Ce en quoi elles ont eu raison. Ce dieu est la clef de voûte de l'existence. Plutôt les religions – et là elles ont tort – en font la base sur laquelle s'ébauche la vie. Ainsi le dieu est une forme du Passé. Or jamais nous ne rejoindrons le passé. Il est fatalement aboli. La vie étant éternelle, si haut que puise remonter nos investigations, elles s'épuisent dans l'infini. Mais si dieu ou plus exactement le divin  est cause, sa révélation existe dans l'existence même. Le problème de la vie se pose par lui même.  La vie devient le terrain de notre expérience où nous devrons discerner le but que la vie se propose. Dès cet instant la révélation n'est plus antérieure et faite une fois pour toute : elle devient constante et se place dans l'avenir – et non plus dans le passé. Vous apercevez déjà tout ce que je dois à Bergson et à Spinoza. Mais je crois devoir à moi même en définissant ce but existentiel.L'instinct de beauté porte en soi la suprême indication de la suprême intelligence. La vie réelle ne commence qu'à l'instant où elle peut-être comme désintéressée, où cessant de vibrer et de se mouvoir, elle devient forme.L'instinct s'idéalise alors, abandonne -  mais sans l'oublier ! Son état premier, devient méditation, puis pensée, enfin : Idées pures. Des rapports sont alors possibles entre ce que nomme l'Etre et notre propre permanence . C'est par une identification de valeurs   que nous parvenons au divin et plus notre art est rigoureux, plus il incarne le Temps immuable. Entendons nous bien c'est le réel que je veux diviniser. Et l'Etre , le seul, qui, selon moi est parvenu à cette réalisation, c'est l'artiste grec. Il échappe au symbole où le gothique, l'égyptien, le chinois même cherchent une expression simulée pour atteindre avec le Grec, la nature divinement réalisée.

Est-ce coïncidence ? Ma double vie mentale et affective, a trouvé en même temps sa solution. Je crois inutile de vous dire l'affection, l'estime que je voue à l'être qui m'a fait ces dons. Je vis donc ici, pensant ou tentant de le faire ; écrivant. Pour l'instant j'ai laissé momentanément ces problèmes et je réécris un livre dont je vous avais parlé : « Navire Immensité » . Un roman également. Seulement, l'être féminin y sera moins « imprécis » appartenant à la réalité.

Mes fils vont bien. Christian s'est une fois de plus débrouillé ! Il est je ne sais quoi au juste à Toulon, dans la marine ; il sait nager. Du second je sais peu de chose ; on me l'a enlevé. Il m'écrit lorsqu'il a besoin de moi, mais ce n'est pas de sa faute ; on a dû tellement lui bourrer l'entendement.

 Je vais me trouver à Paris pour les fêtes de Noël et j'aimerais bien vous voir. Si vous êtes à Paris. Je serai, moi chez ma mère à Montmorency. C'est vous dire que je peux venir facilement. Je voudrais bien revoir Pierre Descaves que j'ai connu par vous. Et dites, savez vous ce qu'on a fait de Giono ? J'ose croire qu'en dépit de l'imbécilité nécessaire à toute guerre – même de Droit  !- on l'a relâché. Quand on pense que c'est un Albert Sarraut qui n'a pas eu le courage de saisir Hitler au collet qui ordonne cela, c'est vomissant. Je suppose d'ailleurs que Giono s'en fout !...

Vous voyez mon bavardage ? C'est vous dire cher vieux, si votre lettre a été bien accueillie.

Laissez moi vous serrer la main avec toute mon affection en vous chargeant de mon souvenir pour vos nombreux « vôtres ». Toute cette vie future qui reprend... Malgré tout je dis : la vie est belle mais vous savez à quelle réalité correspond cette beauté.

Bien à vous.

Maxime Nemo

Jusqu'au 23 : Poste restante à Troyes.

Après, chez Mme Baugey 10 rue J.J. Rousseau Montmorency (S.et Oise)

Troyes le 5 septembre 1940

Mon cher ami,

Vous devinez qui vous écrit de Troyes ? J'adresse cette lettre à la Mérigote ignorant où se trouve votre résidence actuelle. Je pense tout de même que vous n'êtes pas dans un camp de concentration bien que vous concentriez en vous des motifs qui sont devenus d'accusation. Enfin bref, je me compromets.

Où êtes vous ? Question que je me suis posée bien des fois en songeant aux amis, depuis juin. Je suis sans nouvelles de Picart Le Doux et de tant d'autres juifs ou pas juifs. !

Nous, nous avons vécu ici dans tout ce que cette pauvre ville a subi. J'ai dirigé un centre d'accueil, recevant des milliers de ces malheureux qui venaient des départements au dessus de nous. Ce que j'ai pu constater de malheurs, de douleurs – et de courage simple aussi !...Puis, les blessés sont arrivés et en quel état, grand Dieu ! C'était l'épreuve que je redoutais le plus : soigner des blessures.

J'y suis parvenu jusqu'à faire boire un malheureux aviateur dont le visage était horriblement brûlé et auquel on avait coupé les lèvres. Mais , parfois,  le soir, lorsque subitement de tels souvenirs renaissent, on sent une sueur glacée vous recouvrir. Les morts, les morts parfois si beaux ! Les jambes coupées, les crânes ouverts et dont la matière cérébrale « s'en allait ».... Ah mon ami, si je vous disais qu'au regard de ceci, les bombardements ne me semblent que peu de chose. Pourtant, la ville a beaucoup souffert, des quartiers sont anéantis – et que de morts encore... des tombes dans tous les coins de la ville, jusque dans la cour de l'Ecole Sup. Où dix corps sont enterrés.

Enfin les militaires nous ayant royalement laissés en plan sans déclarer la ville ouverte, nous sommes partis un matin, à l'aube, au milieu d'une ruée vers le Sud.... Nous sommes intacts, je vous assure que ça fait une drôle de sensation de le constater. On se demande si on n'a pas exagéré le danger ! Mais il y a les tombes.

Et maintenant, on attend le retour de cet ordre je ne sais combien de fois sacré puisque béni par tant d'Eminences présentes et futures. J'occupe une chambre avec des meubles, des affaires à mes amis, ne possédant plus rien à moi, le peu qui me restait ayant été « cédé » à tous les étrangers qui, depuis quatre ans me pillent et aux derniers d'ici qui ont pris ce qui était encore. Je suis riche de deux ou trois manuscrits – et de la liberté de mon cœur, ce qui est, foutre quelque chose ! Et je possède tout de même quelques amis. Je ne sais pas où ils sont encore mais je suis certain que ce sont mes amis. Ma vie est comme frugale ; elle ne l'est pas encore assez. Je rêve d'un coin de terre bretonne, comme dans Reynaldo Hahn, où vivre deux dans un immense ensevelissement préparatoire. Ce pays, où nous passions nos vacances me manque terriblement ; j'en ai la nostalgie, nostalgie d'un être enfin identique à soi.

Oui, je sais il y a le reste ! Mais ne peut-on à partir de l'âge où je suis parvenu, se détacher au moins en esprit de cette folie furibonde si complètement ahurissante qu'on ne la comprend pas.

M'écrirez vous. Je ne suis pas compromettant ; du moins je le suppose... car qui peut être sûr ?

Affectueusement à vous et à tous ceux qui sont vôtres.

Maxime Nemo

NDLR : C’est à cette période que les échanges avec Jean Richard Bloch vont prendre toute leur valeur ; ils s’ouvrent par une belle lettre de Bloch datée de la Mérigote du 9 septembre 1940 en réponse à celle de Nemo du 5 , qu’il juge « belle et bonne »

Troyes ce 9 octobre 1940

Mon cher ami

Votre lettre m'a fait,  vous le pensez, plus que plaisir, puisqu'elle m'apprenait que vous étiez de ce monde non que cette situation soit particulièrement celle des « privilégiés », mais elle est, en somme obligatoire.

Je me doute que de vos côtés, non plus, le mois de juin n'a pas dû être drôle et, à l'amertume de ce que nous avons subi s'ajoute la répugnance provoquée par certaines campagnes. Vous êtes devenus

l'ennemi n°1 mais vous avez pas mal d'ex-aequo.

Et, hélas ! Je n'ai pas votre bel optimisme en ce qui concerne la voix de peuple. On lui fera dire ce que l'on veut comme en Allemagne et ailleurs. D'ailleurs, je ne reconnais pas au peuple le pouvoir de gestion des affaires publiques. Peut-être – je le crois personnellement sommes nous où nous en sommes parce qu'aux mystiques théocratiques, nous avons substitué celle du Nombre  ou de l'incompétence en soi. Je crois qu'il faut faire le bien du peuple parce qu'on est plus qu'un homme : un humain, parce que la fraternité est une Idée éternellement amoindrie par les réalisations que  nous pouvons faire, mais je doute que les valeurs du discernement s'accordent jamais avec la fonction du Nombre ; qui est avant tout celle d'une énergie aveugle. Partir du Nombre c'est établir un postulat nécessairement faux. Je sais le nombre démocratique fut une nécessité qu'il fallut opposer au Nombre-argent, le malheur est que nos prévisions ne vont pas au delà de ce stade ; au contraire à chaque déconfiture, nous pensons à un Nombre plus nombre que le précédent. Il faudra imaginer autre chose si nous voulons surgir du statu quo actuel. Hélas, c'est à l'aveuglement fatal du nombre que nous devons d'avoir porté « en haut » la médiocrité dirigeante qui nous domine depuis 50 ans.

Dans l'isolement où je vis, j'envisage des actes futurs et je songe à des « Maisons de la Jeunesse » dont l'intention et l'effet seraient intellectuels ; je songe à une Revue « la Renaissance Laïque » car là encore , notre laïcisme fut pauvre et tirait les décisions à prendre à la courte paille.

C'est une erreur fondamentale pour un principe de n'envisager que le court espace qui unit la naissance à la mort.

Faute d'une position spirituelle en face des grands problèmes de la vie totale, nous avons perdu la bataille de la laïcité. Au vrai nous avons tout perdu. Je dirai : tant mieux, si nous sommes vraiment quelque chose, car, alors, nous repartirons des bases et celles ci ne sauraient être que l'humanisme, c'est à dire un Rationalisme comprenant ou supposant un sur rationalisme. On n' »est pas neutre en face de la grande question du destin, du dieu possible et, de l'âme humaine, ou alors on est ce que nous sommes devenus : des vaincus absolus. Quand je pense à tout ce que nous avons laissé perdre, je pleure un peu secrètement. Aujourd'hui, tout est à terre, mais il reste le sol. Puissions nous y établir une hutte pour commencer..

Dire que je suis passé en avril devant la Mérigote – fermée ! Je pensais à vous ( je venais de St Maixent) Je n'imaginais pas que si peu après, votre maison se trouverait au centre de  la tourmente. Que ne suis-je à quelques kilomètres de Poitiers. J'irais vous y serrer la main et échanger ce peu de chaleur humaine qui reste notre fortune. !

Je suis toujours ici : Troyes, Poste Restante, n'ayant pas l'espoir de vous y voir non plus.... Il faut vivre , c'est à dire attendre.

Je vous dis cet « au revoir » par lettre, mais vous savez que ce que je mets de fraternel dans la pensée et dans le geste....

Maxime Nemo

NDLR : Puis de sa belle écriture et dans un style irréprochable suivent des lettres du 17 Octobre 40 depuis son domicile parisien du 27 rue de Richelieu où il analyse « l’aveuglement orgueilleux ou intéressé (ou les deux) d’une petite élite oligarchique à qui le gouvernement est confié »,il ajoute « « je me suis rallié, depuis longtemps à la solution moyenne qui était – et sera – celle d’un parti, supprimé à cause de cela précisément. Un Parti assez vaste pour être immergé par la base dans la masse et imprégné à tout moment des justes aspirations du nombre, -assez restreint pour rester à tout moment une formation aristocratique au sens étymologique du mot, disciplinée, nourrie intellectuellement et instruite politiquement, apte à la manœuvre, ouverte à la compréhension et à la communication rapide des nécessités de l’action et, à la fois, de la doctrine, soumise à une obligation constante de culture et d’amélioration, animée d’un grand esprit de sacrifice, de jeunesse, d’enthousiasme et d’amour . Ce parti existait, il existera ». Et il ajoute : « Affectueusement, fraternellement à vous, ami. JR B.

PS : Je ne m’occupe d’ailleurs plus du tout de politique, mais uniquement de poétique »

___________________________________________________________________

Le 6 janvier 41 ses vœux vont  à Nemo « à tous nos amis, à ce pauvre, grand et douloureux pays qui ne veut pas mourir et ne mourra pas  » 

Enfin le 16 mars 1941 Bloch parle de son installation précaire et provisoire à Paris mais aussi d’allers et retours à la Mérigote qui est menacée de réquisition. On connaît la triste fin de cette mise en vente de 1943 de la maison de « JR Bloch de race juive » précise l’affiche remise à jour par ses descendants.

Maxime Nemo

10 rue JJ Rousseau

Montmorency (S. et Oise)

Dimanche Janvier 1945

Mon bien cher ami,

Je ne sais si vous doutez de la joie éprouvée hier lorsque j'ai appris, à l'ambassade d'URSS que vous étiez de retour.

Je vous avais écrit à Moscou il y a huit ou dix jours. Et vous êtes ici.

Où nous voir ? J'ai tellement à vous dire !

J'aimerais vous rencontrer dès que vous serez déchargé des entretiens « officiels » dans un cadre intime. Je suis trop loin pour vous demander de venir ici. Dites moi comment nous pouvons nous rejoindre . Votre frère, vos filles.... que j'ai hâte de les revoir ; j'ai tellement pensé à vous pendant ces années.

Je suis écœuré par la veulerie des gens que je rencontre ; on dirait que le conflit nous a vidé de toute substance grise. Dieu merci ! Je l'ai pensé et je veux agir, créer une jeunesse, lui donner un destin ; former des institutions, créer, enfin ( c'est ce que vous confiait ma lettre) un Occident qui n'est pas et ne peut pas être.... pour des raisons que nous envisagerons.

Comme j'ai hâte de serrer votre main, de vous rejoindre par dessus ces cinq années de  vide,  car l'humanité n'a rien fait si nous ne lui faisons accomplir ce pourquoi elle a, obscurément, versé son sang.

A vous et de tout cœur.

Maxime Nemo

plus à vous demander !

 

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