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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:16

Présence de Teilhard de Chardin

En 1948, Teilhard recevait ses visiteurs dans la grande pièce qu’il occupait au 15 de la rue Monsieur. Si, à cette époque, son nom était répandu dans les milieux savants, il était par contre, ignoré de ce public auquel j’appartenais. Très vite, cependant, au cours d’entretiens prolongés, pendant plusieurs heures, sa forte personnalité apparaissait. Derrière la sobriété de l’accueil et des premiers échanges, surgissait cette faculté qui, depuis a permis à son nom comme à son œuvre de rayonner sur le monde, en lui assurant l’audience non seulement des spécialistes, mais des esprits que la simple notion de l’homme préoccupe et qui sont à la poursuite de ce problème d’identification dont la pensée de Teilhard propose la solution.

Depuis toujours, certes, cette inquiétude est en nous, mais il convient de signaler la valeur de la coïncidence qui relie l’affirmation de Teilhard aux soucis de notre génération. Deux guerres particulièrement insensées, l’horreur qu’elles ont étalée pouvaient conduire à une déchéance non seulement de l’instinct vital, mais ce qui serait infiniment plus pernicieux, à la déchéance du pouvoir moral, et même, éthique. Il est superflu de rappeler à quelle forme de désespoir une partie de la sensibilité s’est trouvée acculée. A ce moment, le nom de Teilhard sort de l’ombre et l’affirmation de la pensée nous amène à une sorte d’humilité de notre cas présent. Nous comprenons un peu plus que nous appartenons à une existence vouée- peu importe pourquoi ou par qui !- ( et cela depuis l’origine !) à un pouvoir de destruction qui domine l’évolution. Cet homme, Teilhard, dont la générosité est évidente, est, en même temps cet Athlète qui écrit ces lignes : «  Rien ne se construit qu’au prix d’une destruction équivalente.» (Le phénomène humain p.46) et, aussi : « la vie passe sur un pont de cadavres accumulés. » (ib.p.117)En présence d’un découragement possible, il nous donne d’abord une leçon d’énergie. Notre moment doit se situer dans l’écoulement de tant d’autres et doit, à cause de cela, acquérir le sens de la relativité. Le premier effet de son œuvre est de propager une sorte d’héroïsme du pouvoir d’exister, en ramenant nos douleurs au respect de leurs dimensions. Il s’agit donc de sauver l’Homme de la défaillance que l’influence de causes particulières pourrait déterminer en lui, en l’incitant à l’élaboration d’un devenir, où le meilleur de lui-même, momentanément sacrifié, s’affirmera et, peut-être, triomphera. Ce penseur tente de nous réconcilier avec nous même, c’est à dire, avec  la vie, telle qu’elle est. Et il accomplit cette intention grâce à cet enthousiasme que la générosité de sa nature lui a permis de dégager de son contact avec la vie en soi. Mais cette vie, dont il perçoit la cruauté, pourquoi l’aime-t-il  avec une passion farouche ? Parce qu’elle est le lieu où peut éclore la Connaissance, c’est à dire, ce phénomène qui lui parait justifier les atrocités dont la vie est emplie. Exister, pour, peut-être, savoir, en tout cas, pour, au moins se savoir… mais se savoir quoi ?  le témoin de cette existence, et, par là, sa chance de lucidité – que nos affirmations risquent de représenter…. C’est peu. Mais si nous allons au fond des choses, c’est tout ; car, ainsi, nous dominons la chance de vide, comme nous dominons l’absurde – au nom de cette austère discipline, et en assignant cette finalité à tout ce qui est : connaître.

Mais, entendons-nous bien ; il ne s’agit pas de connaissance abstraite, mais de celle, exaltante qui peut-être la conséquence de notre état individuel et collectif. Avec l’aide de l’énergie qui nous environne, qui nous tient, et, aussi, nous anime. Il s’agit d’extraire de la fusion opérée (ou subie) ce principe de chaleur, d’ivresse, pouvant conférer à la simple valeur d’exister cette sérénité courageuse qui permet d’accepter le Fait tel qu’il est. Devant l’effort que doit accomplir l’individu, la génération, ou le siècle, Teilhard exige cette disposition « virginale » qui permet de l’entreprendre avec une gaieté renouvelée. Pour la première fois, sans doute, un grand poète de la réalité nous assouvit à une exaltation qui tend à magnifier « l’ordre » de l’organique, dont il nous présente le chant, ouvrant ainsi les perspectives qui débouchent sur un Humanisme du fait, et non plus simplement de l’Idée, Humanisme qui peut être celui de la conjoncture actuelle.

Un jour, Teilhard me parla de sa « Noosphère » et me remit des exemplaires d’un opuscule dont le titre me frappa : « Une interprétation biologique plausible de l’Histoire humaine : la formation de la Noosphère ». Avec une pointe de mélancolie, il me dit : « Prenez tout : ceci est mieux entre vos mains qu’ici. » Et je devais lire en rentrant chez moi, cet avertissement :

« Graduellement, mais irrésistiblement, (depuis et à travers A.Comte, Cournot, Durkheim, Lévy-Bruhl et bien d’autres) l’organisme tend à se substituer au juridique  dans les conceptions et les constructions de la Sociologie. Le sens du Collectif s’éveillent en nous à la suite du sens de l’Evolutif, jusqu’à imposer au système entier de nos représentations un cadre de dimensions nouvelles. L’Humanité cesse chaque jour de s’offrir à nos yeux comme une simple association accidentelle et extrinsèque d’individus, pour prendre peu à peu figure d’entité biologique, où se prolongent et culminent en quelque façon, les démarches et la rigueur d’un Univers en mouvement… »

Le pas est franchi et sa tâche assignée à la pensée humaine : il faut  lier la possibilité de l’être à la réalité de l’état qui le contient. D’ailleurs, Teilhard précise son point de vue par ces lignes : «Psychologiquement, tout le monde est d’accord sur ce point : ce qui fait l’Homme, c’est le pouvoir apparu dans sa conscience de se replier ponctuellement sur elle-même. Comme on l’a dit, l’animal sait ; mais, seul entre tous les animaux, l’Homme sait qu’il sait. » (ib.) Et, toujours en ce même livret, il indique encore : « On l’a observé depuis longtemps, ce qui, zoologiquement a permis à l’Homme d’émerger sur la Terre et d’y triompher c’est d’avoir évité de se mécaniser : dans son corps anatomiquement. »  Et, encore : «  Sur cette pente dangereuse conduisant à l’emprisonnement organique, l’Homme, lui, s’est arrêté à Temps. »

Donc, le principe indispensable de la liberté se trouve comme inclus dans la nature des choses, si nous sommes capables d’en discerner l’essence pour l’approprier au profit de notre condition totale. Le vital est ce qui correspond à un organique d’où on ne sait quel pouvoir mystérieux permet à une autre forme d’énergie de manifester l’originalité qui assure à l’être favorisé qu’est l’Homme, une indépendance qui peut être l’indice d’un destin particulier.

Donc l’Humanisme de Teilhard de Chardin, est celui du vital, ce qui veut dire que sa présence parmi nous est celle du Poète  parfait. Ce don du poète il le fait à la science, ce qui déjà est considérable. Chez lui, en lui, le fait de connaître se double d’une illumination que d’autres savants ressentirent avant lui. Je songe, ici à Julian  Huxley, et, surtout, à notre  cher Jean Rostand ; mais Teilhard  apporte à leur visible émotion devant ce qui est, l’effet d’une sensibilité prophétique qui lui est personnelle. Cependant, par ce don à la science, sa tâche n’est pas achevée,  car l’homme devant qui nous nous trouvons porte une soutane et sent en lui l’animation d’une foi qui, par son expression dogmatique a souvent reculé devant l’affirmation scientifique. Quel souci ! et quelle responsabilité !.. Teilhard n’ignore pas  le degré de malveillance auquel sa pensée va se heurter. Lors d’un dernier entretien, je dus l’attendre dans le parloir de la rue Monsieur, le portier m’ayant annoncé qu’il se trouvait au Consulat des Etats-Unis. Et comme, quelques instants plus tard, je lui demandais la cause de cette démarche, je le vis hésiter ; puis levant vers moi son regard gris, il me dit : « Je dois me soustraire à l’emprise de Rome. C’est pourquoi je pars aux USA , certes pour y retrouver des amis qui me sont chers, mais aussi, parce que ce coin du monde  est le seul où Rome ne puisse rien sur moi. » Je serrai la main sans insister. Il lui fallait, publier son œuvre avant d’obtenir un rapprochement entre son indiscutable émotion chrétienne et l’affirmation scientifique, au besoin la plus osée. Il est devenu pour beaucoup le symbole d’un tel rapprochement. Donc, encore une fois, son génie qu’anime l’amour de ce qui est, de ce qui est sur terre et pas seulement dans l’au-delà, nous propose l’Humanisme sous la forme d’un point vers qui toutes les tendances de l’esprit  actuel peuvent converger, comme pour une suprême confrontation des connaissances acquises et des espoirs à réaliser. Il n’est pas question d’isoler tel ou tel point de sa doctrine, mais d’essayer de la saisir dans sa valeur  générale et d’en déduire une somme pouvant représenter la totalité des acquisitions obtenues. Car il nous achemine  à la perception de ce qu’en Poète il nomme : «  l’étoffe de l’Univers », apportant ainsi à nos expériences accidentelles le souffle d’une inspiration comique qui, pareil à un long frisson, parcourt l’étendue de son œuvre. Qu’entend-t-il par ce terme «  étoffe de l’Univers » ? Tout et rien pourrait-on répondre. Tout, si l’on admet que la magie des sons  fait communiquer avec celle du Fait ! Rien, si l’on se tient  à la précision de ce seul fait. Lui dans la manifestation du Fait ne voit pas que l’extériorisation d’un phénomène, mais, aussi, on ne sait quoi d’imperceptible.

Maxime NEMO   

Paru dans Europe  n°  63    Mars-Avril Année 1965      

JACQUES MÉNÉTRIER, HUMANISTE

C'est bien par le chemin ordinaire de la médecine que Jacques Ménétrier accède aux «révélations» qui peuvent lui être fournies par la biologie ou certains aspects de la psychanalyse. Mais à l'immédiat de ces avertissements, il joint une connaissance des mathématiques, de la physique, jusqu'en leur prolongement vers l'électronique, car il estime sans doute que, du haut de telles pyramides, plus de 40 siècles nous contemplent, puisqu'elles correspondent à l'architecture du monde et de la vie qui, depuis toujours, propose à notre réflexion la possible solution de l'énigme vitale.

Ce qu'il peut y avoir d'assez surprenant dans le cas particulier qui nous intéresse, c'est que si c'est un médecin qui pénètre dans ces aspérités monumentales, c'est, en définitive un penseur qui surgira des profondeurs explorées, un penseur conscient de l'acquit obtenu, qui estime devoir faire profiter la thérapeutique de son exploration, et qui, de ce contact, va extraire une théorie qu'il appliquera à l'homme tout court, soit qu'il souffre dans sa sensibilité ou que sa nature mentale se sente atteinte par l'effet d'une disparité qui, en même temps qu'elle l'écrase, l'exalte. C'est le même approfondissement scientifique qui servira dans les deux cas. La conclusion dégagée par l'interlocuteur a fait apparaître ce point essentiel la vie est, ou doit être, un état de santé, appelé à triompher des tendances entropiques qu'elle détient, au nom de cet « instinct de l'ordre » dont Jacques Ménétrier fait état dans le livre qu'il vient de publier sous ce titre : De la mesure de soi, qu'un sous-titre éclaire : « L'examen de conscience d'un biologiste » (1).

Chose étrange à notre époque, l'auteur propose un état de clairvoyance qui est l'indice d'une lucidité sur la vie plutôt que sur la mort. Il suffit, selon lui de savoir regarder pour arriver à telle conclusion.

D'ailleurs, dans une œuvre antérieure : « Mon Socrate » paru en 1964 aux éditions de la Colombe, il prête cette définition de la connaissance à son personnage principal :

« ...laisse-moi te dire qu'il ne suffit  plus aujourd'hui de se connaître soi-même mais qu'il faut aussi et surtout apprendre à la Science la connaissance d'elle-même. » (p. 86). Il faut voir dans l'expression, cet amour de la connaissance qui tend à se définir à l'aide d'une dialectique qui s'enivre de ses capacités. C'est donc à ce point qu'aboutit la personnalitéde Jacques Ménétrier, guidé par ce magnétisme intellectuel qui oriente son activité et domine l'instinct qui le fait à ce degré indépendant. Seules, les manifestations de l'ordre et du désordre phénoménal lui imposent une limite.

Je ne connais pas, depuis Teilhard de Chardin, de forme de pensée à ce point personnelle et universelle. Je ne veux pas dire que tout lui soit connu, mais seulement, que tout lui est familier, et qu'il s'abandonne à une sorte de rayonnement. de l'intelligence pour affirmer un pouvoir de maturité qui emporte le lecteur. Celui-ci sent en effet, que l'esprit du temps lui parvient, à travers des définitions qui aident à dominer l'inquiétude que la simple fonction d'être manifeste.

Que l'auteur l'ait appelée ou non, une jouissance poétique émane des constatations opérées, si bien qu'à la suite de Jacques Ménétrier, l'esprit se prend à rêver aux suggestions qui l'affranchissent de sa condition ordinaire, par la mise en œuvre, et j'ose ajouter la mise en place, de l'état de conscience à travers lequel l'homme arrive_ à cette sérénité joyeuse, pouvant effacer la médiocrité du « vivre », c'est‑ à-dire, cette dégénérescence mentale, prônée par tant d'auteurs en vogue. Vis-à-vis de ces catéchumènes du désespoir, également impuissants à vivre comme à se suicider, Jacques Ménétrier fait usage de ce rire, qui n'est pas un effet du mépris, ou, même du dédain, mais l'éclat de cette liberté de penser qui fait de lui un révolutionnaire-né, qui l'incite à récuser les assertions, d'où qu'elles viennent, si elles comportent cette part, qu'il estime irrecevable, de béatitudes dévotes.

Donc, adversaire de tout conformisme, il nous confie « L'espoir n'appartient plus aujourd'hui à un optimisme béat, mais à une lucidité solidement établie sur une science rendue à la conscience de sa portée et de ses limites, c'est-à-dire de son utilité. »« De la mesure de soi » (p. 151).

Un peu plus loin, il ajoute, au profit d'un des interlocuteurs « Vous confondez trop souvent l'insolite et le surnaturel, le magique et l'irrationnel, la fiction et le merveilleux, parce que vous n'avez pas confronté votre fantastique avec la possibilité d'un matérialisme triomphant » (p. 155).

Peut-on espérer voir poindre une forme de conscience de soi liée au souci de l'acte collectif ? Un tel effort, après quinze siècles d'ambigüité, caractériserait une renaissance de la valeur occidentale, due en grande partie, à la sournoise insinuation des fascinations mystiques. Un tel effort caractériserait une renaissance de la valeur occidentale, après ces quinze siècles d'ambiguïté, due en grande partie, à la sournoise insinuation des fascinations diversement mystiques que la pensée hindoue s'affirme encore capable de propager, ce qui incite certains penseurs contemporains à se complaire à l'inutile alternative de « l'être et le néant ».

L'énergie lyrico-rationnelle de Jacques Ménétrier a pour conséquence essentielle de rendre un tel dilemme à sa vanité profonde ; non que tout lui paraisse assuré, mais parce que son approfondissement du « soi » conduit à une réalité, pouvant contenir et manifester ce besoin de transcendance qui, probablement, sollicite depuis toujours notre attention, ou cette forme de la sagesse ainsi présentée par lui : « Il importe moins d'aimer la sagesse que d'avoir la sagesse d'aimer. » (Éloge de l'incertitude, 1956.) Alors, sous quelle forme de stoïcisme s'affirme la raison « moderne » ? C'est ce qu'une évocation du dialogue, au moment de la mort de Socrateva laisser apparaître. Le Sage dit à son ami Ménétos

Socrate : « Les dieux et les mythes sont des assurances prises par l'homme, une création (souligné par nous) nécessaire de son esprit tourmenté par le néant.

Ménétos : « Tu ne crois ni aux divinités ni aux fables qui constituent la seule consolation de l'humanité ?

Socrate. — Je ne confonds pas les dieux et la divinité, les mythes et les idées car je n'éprouve pas le besoin d'être consolé de mon sort.

Ménétos. — D'où te vient cette assurance, Socrate ? ou cette capacité de ne pas craindre ta propre mort ?

Socrate. — Du fait simple que mon existence trouve son sens et sa réalité dans une participation à l'existence... Pour moi, une vie n'existe que dans la mesure où elle transmet des pouvoirs de vivre et où elle accroît, à sa mesure, les capacités vivantes de refuser la condition des choses... Ce qui nous distingue des choses, c'est le pouvoir de transmettre cette vie, d'en élever l'existence aux hauteurs de la conscience et d'en exprimer le principe d'ordre et de divinité... Elle exige (la Conscience ou la Science) finalement un Amour qui, seul, peut apporter aux hommes le mobile de leurs œuvres et de leurs existences. »

Et le livre s'achève sur cette déclaration : « Il m'importait d'en témoigner. » (« Mon Socrate », pp. 298, 299 et 324)

 

Maxime NEMO

(1)    Collection : Présence-Planète. janvier 1967.

Paru dans Europe 459-460  Année 1967

VALEURS  DU MONDE ACTUEL

En présence de pareils résultats, l'Association J.J.Rousseau se préoccupe de poursuivre la lâche entreprise en rendant permanente la liaison de la pensée de Rousseau et des inquiétudes de l'homme moderne. Elle voudrait aboutir à une définition des VALEURS pouvant incarner les vertus de l'activité contemporaine.

L'esquisse d'une critique des méthodes de discussions au Colloque de Royaumont conduit à cette constatation : l'analyse de la personnalité moderne est demeurée insuffisante ; c'est cet effort qui doit être accompli. A cette œuvre, nous convions les esprits soucieux d'inscrire cette préoccupation dans les marges du temps. Ainsi que le mentionnait l'exposé sur la maturité, les conditions de l'Espace se trouvant, à peu prés, abolies : l'homme est un, ou doit l'être. Il convient de situer l'originalité de cette « condition » et de dégager les conséquences qu'elle comporte. De l'accumulation des connaissances, une « connaissance » doit surgir qui sera celle de l'Homme, ce qui laisse supposer la collaboration de toutes les formes de Rêve : poétique, philosophique, social, politique, etc. Une telle entente peut, seule, édifier un Humanisme, soucieux d'arracher l'existence à l'automatisme du hasard, pour attribuer à la conscience, et à sa volonté, le soin d'orienter l'évolution de l'Espèce.

Le caractère de l'époque nécessite la participation d'une collectivité internationale à toute activité féconde. Il s'agit d'obtenir non seulement l'adhésion, la participation de spécialistes des questions abordées, mais, en même temps, celle de toute ferveur envisageant ce problème des VALEURS que nous proposons à l'attention de nos contemporains.

Une réorganisation de nos « cadres » est entreprise. Elle nous permettra d'associer à l'action du Comité-directeur des personnalités du monde entier. Ainsi, nos responsabilités passeront du plan particulier à celui de l'Humain, et, par conséquent, du Monde. Ainsi, également, l'universalité de Rousseau sera pensée par chacun et par tous.

En France. Nous nous préoccuperons d'avertir tous les milieux universitaires, en leur demandant de nous apporter l'efficacité des valeurs éducatives pratiquées dans un milieu responsable de la formation de l'esprit humain.

Discernant dans les municipalités une « personnalité morale »,nous les prierons d'intervenir auprès des groupes culturels de leur ville dans l'espoir de les associer à notre action. Des liens devront être établis avec les Quotidiens de la Presse régionale qui ne manqueront certainement pas de faire connaître nos intentions à leurs lecteurs et de les intéresser à cette recherche des « valeurs » de notre Age.

Un tel ensemble nous oblige à envisager la création d'une Revue, assumant la responsabilité d'une synthèse des deux derniers siècles de la vie humaine et la définition des valeurs actuelles. Ce terme « VALEURS » servirait de titre et de programme à l'organe entrevu.

De toute évidence, le moment que nous vivons appelle un approfondissement du pouvoir créateur. Une telle forme d'inquiétude permet d'entrevoir un facteur éthique justifiant la « condition humaine » par une conscience de son destin. C'est en orientant notre action dans ce sens que nous assurerons à Jean-Jacques Rousseau cette postérité spirituelle que l'examen de sa pensée permet de discerner.

 

Nota. — Nous nous permettons de soumettre ces suggestions à votre attention, en indiquant que toute communication doit être adressée à : Maxime Nemo, Secrétaire Général de l'Association J.-J.­Rousseau, 160, avenue Ledru-Rollin, Paris-XIe. Voltaire 63-36.

 

CHRONIQUES UNANIMISME ET CONNAISSANCE DE SOI par l’Arbitre        

Ont paru deux ouvrages qui rendent la foi en la dignité humaine : l'un à la Pensée universelle : L'acte de Vivre de Maxime Nemo, l'autre chez Albin Michel : Le Piéton des nuages (feuillets du temps volé) de Gabriel Delaunay.

L'ACTE DE VIVRE est un livre difficile, hautain ; mais d'un esprit modeste bien qu'il ait entrepris la tâche ambitieuse de sonder le fleuve mystérieux de l'évolution humaine :

« Au-delà des contingences dont elle se plaît à multiplier le nombre, la Vie est-elle animée d'un secret pouvoir que, pour une raison impénétrable, elle aurait pour fonction d'introduire dans l'écoulement du Temps — nature d'une nature seconde, qui serait la nature essentielle? C'est à cette question que notre inquiétude se heurte, engendrant une anxiété dont rien ne nous délivre... Une nature « X » qu'on ne sait d'où venue, sortie d'on ne sait quoi, qui provoque cette confrontation de l'état et de /'être où se découvre le pathétique de notre condition ».

Ce n'est pas la science qui résoudra le problème :

La science répugne à envisager le phénomène qui nous concerne essentiellement et qui est celui de la conscience.

Ni surtout la science actuelle :

« Jamais l'Histoire ne fut à ce degré dépouillée de toute essence de merveilleux, et jamais période n'a affirmé l'exactitude de son anarchie comme en ces temps d'organisation nucléaire où l'individu va d'une génération à l'autre sans se sentir relié au moindre souci d'amélioration de son principe, détourné qu'il se trouve, et, afin d'assurer la perfection des machines inventées, de toute considération de vie intérieure, c'est-à-dire, de son être ».

L'auteur, lui, commence sa recherche dès la Préhistoire :

« Loin de dédaigner cette nature antérieure devons-nous la chérir comme une mère anonyme, cette puissance matricielle, sans laquelle nous ne serions pas »

Il avance d'âge en âge scrutant chaque civilisation, fait une pause éblouie devant le « Miracle grec » :

« L'Art grec donne une représentation des Choses, qui suppose que la Vie n'accepte pas d'être ou de rester séparée d'une partie de son essence et qu'elle entend que son mystère s'incarne dans une figuration esthétique et éthique personnifiant la totalité de son écoulement ».

Il s'arrête longuement à la période du XVIII siècle, à l'avènement de J.-J. Rousseau et l'explosion de la Révolution, faisant une pénétrante analyse de l'aristocratie, arrivée en ce

« siècle des Lumières » au sommet de l'intelligence et de la civilisation, et qui, pourtant, malgré la menace qui pèse sur elle, comme mue par un destin collectif plus fort que l'intérêt individuel, admet et encourage les idées contenues dans « Le contrat social ».

« Cette humanité, qualifiée par sa maturité intellectuelle, devine qu'une heure extrêmement importante pour le devenir de la Race va sonner, que l'élan ne peut reprendre qu'au nom d'une sorte d'absolu humain, exigeant que tout, et par conséquent l'Histoire, soit repensé ».

Une voie s'ouvre, un même courant traverse les êtres. On monte lentement de l'homme à l'Humanité. En 1907, Jules Romains publie : « La Vie unanime ».

« Les hommes ressemblent aux idées qui longent un esprit. D'eux à moi, rien ne cesse d'être intérieur ; Rien ne m'est étranger de leur joue à ma joue, Et l'espace nous lie en pensant avec nous. »

Une nouvelle civilisation se prépare ; le poète a tiré de la Révolution sa quintessence et cette vraie fraternité que dicte l'incompréhensible Amour.

Pourtant, au cours de ses investigations, Maxime Nemo va tout à coup se heurter à l'intelligence moléculaire, à la volonté créatrice et son Acte dans l'Infinitésimal. Comment devant un si vertigineux mystère ne pas tourner sa pensée vers Dieu ?

« Tout ce qui est inventorié existe ; la Science nous aide à nous familiariser avec ce langage des choses et nous passons ainsi d'une évidence à l'autre. Mais à la fin du parcours, l'anxiété, loin d'être dissipée, se pose toujours avec l'unique interrogation du « pourquoi? »

Certes, nous n'en sommes pas encore à révéler le secret du monde. Il faut développer notre intelligence, aiguiser nos antennes.

Et Maxime Nemo de conclure :

« Nous ignorons si Dieu existe. Nous dirons que son existence, en tant que principe initial, ne nous intéresse pas immédiatement, situé qu'il se trouve (ou se trouverait si nous parvenions à la perception de son Fait) à une portée qui ne saurait être la nôtre, puisque celle d'un absolu incompatible avec notre dimension. Il nous suffit de sentir intervenir à travers celle-ci ce qui peut être la conséquence de l'intention divine que nous nommons très simplement l'Amour ; cette force en qui paraît résider le principe des principes, puisque celui de la gravitation universelle

Paru dans : « Les Pharaons » 15 (la Voix des Poètes N°50)  1973 Numéro spécial Jules Romains :la ferveur fraternelle sous la Direction de  Simone Chevallier

 

A un ami Laïque

Si je ne connaissais la qualité de tes convictions, je devrais m’excuser d’écrire ce mot Laïque avec une majuscule, mais comme je sais le degré d’élévation de ta pensée, cette considération me dispense de toute explication.

Il nous arrive fréquemment lorsque nous parlons de ce principe, qui est probablement le principe des principes, d’être quelque peu déconcertés par la superficialité habituelle avec laquelle il se trouve envisagé, c'est-à-dire et simplement sous l’aspect d’une commodité qui a pris naissance au moment où les lois de Jules Ferry instituèrent ce qui fut alors appelé l’instruction obligatoire en 1882, et qui correspondirent en particulier à l’organisation des Ecoles Normales. Il n’entre pas dans ma pensée, pas plus que l’équivalent n’apparaît dans la tienne, de ne pas saluer au passage la naissance de ce principe d’émancipation de l’individu au sein d’une collectivité qui se proposait de lui être fraternelle. Notons en passant que cette disposition affirmait son caractère dans une Europe dont les tendances médiévales étaient encore latentes ; ce qui signifie que la notion de croyance  restait soumise à un impératif dogmatique directement relié à une forme de détermination  monothéiste. Je ne suis pas encore assuré que les promoteurs du nouvel état de foi aient eu conscience  de l’élément révolutionnaire qu’ils venaient d’introduire dans le comportement  collectif et surtout, je ne suis pas sûr que l’élément de libération consciente incarné par le terme Laïque corresponde aujourd’hui à l’utilisation qui est faite de ces quelques lettres, dans leur usage permanent. Et, cependant, le mot n’accède qu’à une signification restreinte s’il ne comporte pas une relation pouvant unir l’homme à l’idée de sa propre transcendance.

Nous avons souvent au cours de nos multiples entretiens parlé de la manie humaine d’expliquer les manifestations de l’univers à l’aide d’interprétations divines ou supposées telles. Te souviens-tu que nous avons fini par nous rendre compte qu’en somme il était impossible de procéder différemment, car il était impossible à l’homme de ses relier à l’expression de la vitalité autrement qu’à l’aide de considérations mystiques. Il est de fait que nous n’envisageons le plus souvent, et selon nous trop souvent la vie de notre espèce que sous l’angle de l’Histoire, ce qui nous conduit de l’homme que nous sommes à  celui que nous pouvons atteindre et avec lequel nous croyons nous identifier aisément. De cet homme connu, nous n’aimons pas déborder vers un autre que nous estimons inconnu et que, pour cette raison nous n’englobons dans notre système d’appréhension ; ce en quoi nous commettons une grave erreur. Car est-il exact que cet ancêtre lointain soit au-delà de notre appréhension mentale, c'est-à-dire de notre vision intérieure ? Bien sûr cet être là n’a pas connu les avantages ni les inconvénients que les découvertes techniques assurent à nos formes d’existence ; mais cette pacotille laissée à part, cet homme fût-il si différent de ce que nous sommes nous-mêmes ? Nous avions passionnément discuté pour enfin nous sentir proches l’un de l’autre au point  d’envisager qu’effectivement   l’ancêtre d’il y a, nous ne savons exactement  combien de dizaines ou de centaines de milliers d’années  s’est trouvé en présence de l             a responsabilité que la Manifestation du Monde lui imposait. Ce Monde lui était antérieur de nous ne savons combien de milliards d’années et c’est devant ce Fait qu’il s’est trouvé avec des prunelles largement ouvertes et une forme de divination intérieur  anxieuse de procéder à l’inventaire comme à la possible explication  d’une telle quantité de phénomènes qu’en se couchant le soir sur un lambeau de terre, son anxiété devait lui paraître insurmontable. Mais, cher, tu le sais comme moi, il n’avait d’autre puissance d’analyse que ses sens et par conséquent, que son émotion sensitive. Or, veux-tu te représenter ce que cet être, en tant que force incarnait ? Pas tout à fait rien, mais pas loin de ce résidu. Comme nous manquons de fraternité vis-à-vis de nous-mêmes ! C’est-à-dire vis-à-vis de la Race. Ah nous atteignons ici le point terriblement faible de toute la race humaine : nous ne nous aimons pas en tant qu’Homme ; et tu me permettras aussi d’écrire ce mot avec une majuscule qu’il mérite  si bien ! Ce que nous savons de notre principe, nous l’apprenons  par ce que la Science  nous révèle et qu’elle fait bien de nous révéler puisque, sans elle nous ne saurions rien de nous-mêmes, que ce que la mémoire immédiate nous apprend ; mais sens-tu à quel point cela est insuffisant.

Ah, cher, comme notre vie manque de profondeur parce que de liens avec elle-même et peut-être, mais ceci est une autre affaire : avec elle seule. Car cet homme lointain, si lointain que sa trace s’est dissipée dans l’accumulation des durées successives, cet homme – nous, qu’a-t-il vu ? Un monde peuplé d’apparences au milieu desquelles la sienne se dressait, en apparence, toute seule – comprend ce fait : en apparence unique. Et dans une certaine mesure, elle était unique en effet ; car sans elle et sans la contestation plus ou moins arbitraire de son unicité, cet univers qui se manifestait autour de la stature humaine, il était muet. Oh, entendons nous bien ; nous sommes obligés en cet instant et ce ne sera pas la dernière d’avoir recours à une interprétation relative de la réalité. Il est donc inexact que cet Univers soit muet. Nous n’avons qu’à tendre l’oreille et nous savons qu’elle enregistrera un peuple de vibrations sonores. Donc l’Univers n’est pas muet, mais comprends moi, lorsque je tenterai de dire que ces voix multiples sont, comment dirai-je, car, tout, dès ce moment est tellement difficile à expliquer ! Ces voix sont vibrantes sans être pour cela interprétatives. Disons au moins que le sens de leur interprétation possible ne nous parvient pas. Elles sont auditives puisque nous les entendons, sans être pour autant explicatives. Or, le premier mystère de cet être qui se dresse dans la nudité, en quelque sorte de sa stature non seulement physique mais avant tout mentale, c’est d’incarner un désir supérieur à celui du mystère puisque celui de sa compréhension.

Dès lors, comprends-tu ce qui vient de se dresser – mettons tout à coup, bien que le geste ait demandé du temps, c’est le premier sens révolutionnaire de l’Existence.

Voyons, il faut une fois de plus essayer de nous comprendre. Je ne dis pas que cet homme a été créé, au sens ordinaire du mot ; je ne le crois même pas, car les découvertes qui viennent de se produire – disons modestement depuis 50 ans- ces découvertes nous ont révélé de quelle façon le corps se forme et avec l’aide de quelle fornication d’éléments qui n’ont d’autres raisons d’être que celles de leur association depuis le mode le plus infime jusqu’à sa représentation que nous appellerons intégrale parce qu’il semble qu’elle ne saurait aller plus loin dans le sens de ce que nous appelons la structure. Ainsi, tu le vois, l’homme n’est pas sorti du caprice d’un dieu hétérogène subitement obsédé par le désir de se procurer une ressemblance, il a été « fait » par une volonté de patience à l’image de l’immensité qui lentement, point par point, assemble des particules afin, mais ceci n’est qu’une interprétation subjective, afin de constituer un ensemble qu’on peut, à la rigueur estimer cohérent, parce qu’il respire, qu’il vit et qu’il meurt. N’allons pas plus loin pour l’instant .Cet être – pardon ! cet état que tu es dans son apparence qui a si peu changé, que tu es, il y a – mettons 500 000 ans- qu’est-il sinon cet agglomérat d’éléments physico-chimiques grâce auxquels et quand il aura atteint un certain degré de développement, il va, avec le temps, produire un système de circulation de l’air, de l’oxygène et d’autres conséquences ambiantes avec lesquelles, donc, va se composer l’état, tu vois, je dis bien l’état de cet homme. C’est déjà considérable ce qu’a fait cette force qu’un jour nous nommerons la Nature, ou, si tu préfères, la Vie. Cet état il a pris place parmi d’autres états plus ou moins achevé, ou plus exactement plus ou moins achevables que le siens. Il circule selon un mode de locomotion que j’ai quelque peine à imaginer au milieu d’autres systèmes d’autre locomotion, ou, plus exactement de la même ; car il est probable que l’unique problème consiste à se déplacer de tel point à tel autre sans risquer que l’aventure ne soit contrariée par un quidam quelconque que ce mode de déplacement pourrait irriter. Car, sans ce monde que nous sommes obligés de supposer, rien n’est à l’abri de l’autre et les esprits qui surviendront un jour, lorsqu’ils prétendront que tout a commencé par l’âge d’or auront bien de la chance de pouvoir émettre cette prétention à une période heureusement fort éloignée de la période des reptations auxquelles nous faisons allusion. Mais, n’est-ce pas, l’histoire de la Vie est si longue et si invraisemblable qu’on peut se permettre de tout relater, même l’invraisemblance. Ne disons donc pas que nous sommes sortis tout fabriqués d’on ne sait quel magasin de confection pour espèces, mais au contraire que notre sens de la Vie, obligatoire, a fait son rude apprentissage, pour finalement savoir se tenir debout dans un commencement d’équilibre qui a dû nécessiter pas mal d’essayages avant de coller aux prééminences du squelette – à moins que celui-ci ait été au reste.

Or, sans nous abandonner à un mode quelconque d’interprétation, qu’est-ce qui est à ce moment ?

Rien d’autre Frère que l’Existence : ce qui veut dire que les Dieux et leurs contingences sont encore d’être dans ce grouillement des effets qui sont sans être en réalité, puisque ni toi, ni moi, ni « Lui » l’ancêtre nous ne sommes, bien qu’existant sous une apparence parfaitement inconnue. Nous grouillons tout simplement dans un Univers qui se fait et qui, probablement n’est pas satisfait de son apparence puisqu’il va entreprendre de faire autre chose que ce qu’il a réussi à faire jusque là.

Si nous nous penchons sur ce qu’il peut alors représenter, que pouvons-nous imaginer ? Mais attention, je viens de faire intervenir un terme  qui paraitrait inadéquat car enfin, si nous nous inclinons sur le total probable  de ce qui est, nous n’apercevons aucune trace de ce que ce monde peut représenter. Si l’imagination existe, sans être pour autant insensible, elle est probablement invisible. Elle reste aussi à l’état de molécule, mais entendons nous bien, de molécule non seulement invisible mais probablement impalpable. Et pourtant elle existe parce qu’autrement elle ne serait pas, elle ne serait jamais. Il nous faut donc non plus regarder en arrière, non plus considérer le présent, c'est-à-dire ce qui est, mais nous porter en avant à l’aide de ce pouvoir invisible  qui existe à coup sûr, sans posséder d’apparence saisissable. Tout est dans sa substance, mais cette substance n’est pas fixe, elle change, elle change mon ami, d’instant en instant, à tel point qu’au moment où j’exprime sinon une pensée, mais au moins une tendance, l’instant qui a contenu ma proposition est déjà dépassé et renvoyée vers un antérieur qui signifierait la mort si la mort pouvait exister.          

Et bien mon ami, ce qui existe en substance dans la substance, c‘est l’être, c'est-à-dire non pas l’opposé de l’état, mais son invisible complément. Et voilà, nous sommes toi et moi  devant la grande échéance que, peut-être la constitution du Monde attendait et que sans doute elle préparait dans la gestation progressive de l’état initial. Ne me demande pas ce que nous venons faire dans l’aventure gestative, car tu m’obligerais à répondre que la gestation, ça est mais ce n’est rien, puisqu’un souffle qui fait une ride ; à peine son expiration achevée tout est éteint et cependant tout a été. C’est une forme d’économie qui donne tout à l’accidentel. Mais curieux que tu es, tu me demanderas : « Alors l’éternité ? ». Mais mon ami l’Eternité elle existe ; seulement pas qu’à l’état d’abstraction mais aussi, et tu vois que je dis : « aussi », à l’état de faits. Il faut supposer que les deux états co-habitent et tout porte à croire que c’est afin de s’entendre, ou, si tu préfères de co-habiter. Nous avons du pain sur la planche.

Il nous faut donc dans ce passé immémorial assister à la déflagration du futur ? Or, qu’est-ce qui va naître de l’agglomérat déjà en voie d’épanouissement ? Des états qui se composent , se forment, se composent et se forment en des à peu près de plus en plus perfectionnés ou, si tu préfères de plus en plus capables d’exister. Mais ce mot s’il comporte cet état sans cesse progressant, s’il comporte sa chose sans cesse plus élaborée, s’il comporte sa Matière de plus en plus accessible à sa fonction, à quelle impulsion de plus en plus cohérente obéit-il ? A la volonté de la fonction, évidemment. Mais alors à quelle impulsion de cohérence la fonction se trouve-t-elle soumise si ce n’est à celle d’une intelligence de soi même qui permet de supposer l’existence d’un destin ou enfin d’une intervention à laquelle nous donnons ce nom pratique autant qu’il est incompréhensible : l’être.

Ou nous ne comprenons rien à l’Existence – ce qui d’ailleurs est parfaitement admissible – ou bien, vois-tu, tout ce qui se fait, tout ce qui se brasse dans cet ensemble qu’on pourrait croire, qu’on devrait croire incohérent, tout ceci ou tout cela reste incompréhensible si l’être ne constitue pas le sommet, l’émergence de l’ensemble qui comprend la planète que nous habitons, le système galaxique auquel il semble que nous appartenions et les autres ensembles qui rôdent autour du nôtre en ajoutant leur structure à la nôtre pour constituer ce que nous nommons d’un terme imprécis : l’Univers. Tout cela n’est rien  si l’être n’est que l’illusion de notre imagination délirante. Bien, mais alors qu’est-ce que l’être ? Eh bien et pour ridicule que puisse paraitre l’assertion, cher, l’être c’est toi, c’est moi, ni plus ni moins. C’est à dire, et je te demande de ne pas bondir en présence de l’affirmation que je vais proférer : « l’être c’est le Laïcisme dans son essence ; ce que, tour à tour nous nommons le « toi », le « moi », c'est-à-dire encore le « Soi » indémontrable autrement que par lui seul et par lui-même.

Il m’arrive d’entendre assez souvent des gens prétendre en face de certaines expressions de penseurs plus ou moins énigmatiques : « que tout cela est compliqué ! ». Mais croient-ils naïvement que la Vie soit simple ? Juges-en. On ne sait exactement pourquoi un système deviendra l’Energie entre en branle. Cela commence nous apprend-on et si l’on considère que l’aventure de notre système solaire par l’apparition, disons la manifestation de gaz. On dit car on ne peut encore remonter au-delà, d’hydrogène pur, d’hélium qui se mettent à envahir ce que nous supposons être le vide. Puis, cela se condense presque à perte de vue, - une vue qui n’existe pas encore afin de former le premier atome de Matière dont, nous dit un savant ( celui là et quelques autres) qu’on ne sait pas d’où elle vient, mais que simplement : à un moment, elle n’est pas là et que l’instant après, on constate sa réalité (Fred Hoyle). Tu vois comme c’est facile à comprendre et à quel degré l’opération divine parait simple à côté de celle-ci. Au moins avec un dieu créateur, le mal de tête est évité pendant une période incommensurable  de la Durée, il n’y a rien et puis, tout à coup et grâce au caprice de ce génial individu, tout existe. Un petit geste de ce parfait comédien dell arte et, mon vieux, le  soleil, les étoiles, la fantasmagorie des eaux, des sols productifs, des animaux consommables, de l’homme enfin et de la complicité féminine, tout cela est institué – c’est le cas de le dire, comme par enchantement. La malheur est que tout cela est entaché d’inexistence parce que, ce n’est pas vraisemblable et qu’il a fallu tout simplement le génie d’un poète pour aboutir à une représentation qui ne représente rien si ce n’est la faculté d’invention  de l’individu Moïse.

Si nous n’avions que cela à placer dans le frigidaire de la mémoire, notre préoccupation mentale se réduirait à la constatation de quelques phénomènes parfaitement épisodiques et à la répétition de quelques formules du bréviaire dogmatique institué par le cher homme.

La réalité est autrement vaste et compliquée. Est-ce à dire que celle de Moïse et consorts est dépourvue d’attraits ? non pas ;mais elle n’est qu’un reflet dérisoire de la somme d’intérêts que la  vraisemblance existentielle propose à notre attention et que le problème de l’être s’y affirme avec une ampleur que sous peine de superficialité  nous ne pouvons éviter. En tant que Laïque, tu tiens ce problème du monde dans les limites de ta main, c'est-à-dire plus exactement, dans les ressources de ton appareil cérébral. Mais pour cela il faut que tu te plonges dans l’immensité de la résonance des effets innombrables et sans prétendre étreindre les possibilités de la cause initiatrice de la formation cosmogonique. Car tout est là, et nous pouvons dire que les théories théogoniques manquent de modestie en même temps que d’intelligence en affirmant d’entrée de jeu la véracité du mot Dieu. Car à partir de cette affirmation, tout est découvert et il n’est plus besoin d’inventorier. Comprends-tu : Dieu est ; dès lors qu’importe que le Monde soit constitué de telle ou telle autre façon, puisque l’essentiel existe et a été saisi par notre appréhension du tout.

Maxime NEMO (1888-1975)     

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