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28 mai 2020 4 28 /05 /mai /2020 10:24

Extrait d'un inédit "Littérature" où Nemo se livre et relate des anecdotes de son enfance ou adolescence (1898-1909).

"Des amis me disent , qui me connaissent un peu (de qui est-on connu en dehors de soi- et encore? ) "Tu devrais raconter ta vie"  A vrai dire, ma vie ne m'intéresse pas. je ne veux pas dire que je n'ai pas fait ses actes avec plaisirs, certains ( ceux de l'amour en particulier !) avec ivresse ; je ne veux pas dire, même, que je ne tire pas de ces actes une sorte de contemplation qui crée ma seconde vie, je désire simplement expliquer que ma vie ne m'intéresse qu'en tant qu'expérience. Au fait, c'est peut-être aussi ce qu'entendent mes amis. Cependant, il me semble qu'avec cette définition, nous sortons du système de confessions mis à la mode par cette énigmatique crapule de Jean Jacques. Ce n'est pas pour rien que je le fréquente intimement, depuis quelques années. Et que les rousseauâtres cessent de s'indigner: je suis à peu près assuré d'être d'accord avec Jean Jacques, avec ce qu'il désirait obtenir de son destin : de gagner en signification ce qu'il pourrait perdre du côté de la sympathie, de la piété bénigne. La sculpture d'André Bizette Lindet * qui va être érigée au Panthéon  représente bien la signification que, peut être le jugement de demain attribuera à Jean Jacques: c'est la puissance, la signification orgueilleuse de cette puissance qu'a exprimé le jeune statuaire et non ce côté un peu bonne  pâte, un peu Jean de La Fontaine pour chromos, de Jean Jacques herborisant inoffensif, que tant de piété lui avait, jusqu'à ce jour attribué. Peut-être décidera-t-on de ne visiter les gargouilles sexuelles du Bonhomme que pour fuir l'anecdotique et afin d'obtenir la signification humaine de son cas. C'est ainsi que l'on restituera à la généralité - au besoin malgré lui, malgré son triomphe, en dépit de son extraordinaire influence.

Et cela amène cette saveur sous ma langue, je prélude à un autre système de "confessions". Illusion peut-être vaniteuse, mais si candidement sincère qu'elle peut être reconnue.

* André Bizette-Lindet, né le 28 février 1906 à Savenay et mort le 28 décembre 1998 à Sèvres, est un sculpteur et peintre français. Élève à l’École nationale supérieure des beaux-arts, grand prix de Rome en sculpture de 1930 pour son Lanceur de javelot, André Bizette-Lindet part à Rome pour la villa Médicis, alors sous la direction de Paul Landowski

Une vie de IIIè classe souvent....Il n'y a qu'en amour que j'ai pris le train de luxe ! avec son inconfort, ses emmerdements, mais aussi ses enchantements. Lorsque exceptionnellement je suis monté en seconde  ou en première, la gueule des abrutis rencontrés a suffi pour me faire prendre à moi aussi , l'air renfrogné.; j'ai regretté les marchands de cochons et ces paysannes du Midi qui vont au marché vendre leurs oies jaunes et leurs canards bavards. Je ne sais quel amour du vrai peuple m'a toujours enchanté, de celui que j'appelle: le peuple juste, celui qui vit et que le droit à l'électorat défigure.

La Démocratie en tout me dégoûte. Le vrai peuple n'est démocrate que parce que l'irraison de quelques imbéciles  le condamnent à la fonction politique. Autrement, et ainsi que Baudelaire le dit : des sauvages et pour les enfants, il aime la pompe et les assortiments éclatants. L'Homme,  vrai, du peuple lève les yeux vers l'élevé; il sent que sa hauteur qui est celle de l'Homme est dans l'aristocratie. J'ai peut-être vu les derniers échantillons de cette catégorie, dans quelques Russes blancs; des officiers allemands; une douzaine de châtelains, français et le rural de chez nous, celui de Bretagne, de Touraine, des Charentes et des provinces méridionales. Au milieu se trouve ce qui compte à l'état de Masse: foules parisiennes, londoniennes, ; les Américains, les autres Russes; ce qui est bourgeois par excellence; et qui comme tel, confine au moyen, c'est à dire au médiocre. On se demande si la Civilisation sombrera dans cette ample béatitude venue de Karl Marx, de la Machine et de l'Argent. Pourvu que la littérature refuse de suivre le mouvement descendant! Mais revenons à mon histoire, puisque j'ai l'espoir qu'elle puisse coïncider quelque peu avec la sienne.(...)

Le grand principe de la vie de mes parents était le déséquilibre. Mon père atteignait à cette sorte de faculté avec un génie certain; il n'était capable de rien, sinon de ne pas posséder. Quatre héritages successifs, des dons intellectuels au moins brillants, auraient permis à un autre être de s'établir dans l'existence, sous une forme ou sous une autre. Les dispositions que je manifestais et que d'ailleurs il exploita (dans la limite où il était susceptible de profiter de l'aventure) tout cela le conduisit à vivre des périodes fastueuses, immédiatement accompagnées de désastres et presque de misère. Il me présenta à des personnages célèbres, plusieurs se seraient, telle Sarah Bernhardt, attachés à ma formation; il évinça les propositions après avoir à coup sûr désiré qu'elles puissent se produire. Si bien que, menant, pendant un temps, une vie extrêmement brillante au milieu des artistes au besoin en renom, finalement, nous tombions dans une sorte de solitude où naturellement, nul ne venait nous chercher. Alors, mon père quittait Paris subitement, juste après avoir noué les relations utiles et s'enfuyait en Bretagne, dans un coin sauvage ou au fin fond des Pyrénées, en plein hiver. Dans cette solitude, il changeait d'allure comme de vie. les costumes commandés chez le bon faiseur  étaient enfouis dans une malle quelconque , en attendant d'être vendus pour des sommes dérisoires.  ! il se vêtait de bure, de velours à côtés, lisait éperdûment et ne faisait rien. En dehors de la formation littéraire à laquelle  j'étais quotidiennement soumis, j'étais libre; faisant absolument ce que je voulais. ma seule compagnie était un setter blanc et noir, témoin de mes promenades quotidiennes . Je sais que dans cet hiver passé  au fond des gorges de Luz St Sauveur, j'ai usé trois paires de chaussures cloutées, parcourant seul, les cimes neigeuses ou gelées, au grand effroi des gens de l'endroit qui me prédisaient un accident certain.

Ces promenades, seul sur les cîmes, avec ma bête blanche et noire, me ravissaient. Ma jeunesse se nourrissait d'une sorte de gravité légèrement exaltée. D'avoir avancé à ce que je me disais être si loin ou si haut, comblait ma tendance à l'orgueil, ainsi qu'à la contemplation. je me sentais infiniment plus à mon aise dans cette solitude glacée  où je parvenais avec des heures de marche, qu'en présence d'un auditoire enthousiasmé par ma façon de dire tel ou tel poème , ou de passages de tragédie. Il me semblait que là seulement, l'accord se réalisait entre la calme grandiloquence du lieu où je me trouvais et celle de la diction classique ou romantique. Il n'était pas rare que je reste de longs moments à contempler les aspects neigeux qui entouraient les vallées invisibles durant lesquels, pour moi seul et mon enchantement, je me disais mes poèmes préférés: ceux de Vigny en particulier.

Ce n'est pas que je me sentisse inquiet de métaphysique ou de notions de destinée, certes non ! j'étais, et peut-être suis-je encore: admirablement simple. Confusément, j'éprouvais je ne sais quelle pression des similitudes qui pouvaient exister et unir la cadence du chant à l'aspect du spectacle.

Le besoin de grandeur qui n'a cessé de me hanter, de façon plus ou moins consciente, et précisément selon les besoins ou les clartés de ma conscience , ce souci se révélait à moi, en ces instants. J'aspirais à je ne sais quelle grandeur: celle de l'état de poète, d'artiste; celle de l'amour. Je crois bien que mes premiers rêves n'ont évoqué que des Princesses. Je les voulais non seulement princesses du Rêve ou de rêve, mais effectives, si j'ose dire, c'est à dire en réalité filles de roi, car j'étais ardemment monarchiste et je n'entrevoyais d'autre sort, qui me plut, que celui d'être le restaurateur du prince absolu. Je ne me satisfaisais pas de rétablir le Prince dans ses droits, il me fallait également le concours du faste que le passé avait vu vivre et je n'entrevoyais de cour possible qu'avec l'apparence de celle de Louis XIII, moment que, pendant longtemps j'ai préféré à tout autre sans doute à cause des Trois Mousquetaires et de Cyrano de Bergerac.

Il est toujours quelque chose d'infiniment puéril dans les admirations de notre adolescence; on ne serait pas en cet état autrement ! Je plains les esprits qui déclarent qu'ils voudraient revenir à 20 ans en conservant l'acquis de l'âge dans lequel ils se trouvent. Que non ! dirais-je comme le Faune de Mallarmé, si j'avais le privilège de revenir à 16 ans, c'est à dire à l'époque des faits que je relate ici, cesserait pour être encore pur et par conséquent jouir de l'adorable candeur qui anime quelque fois les garçons ou les filles de cet âge.

Nous rougissons de nos états virginaux, comme s'ils n'étaient pas indispensables à la maturité du jugement à venir ! Je n'ai qu'à atteindre une partie de mon être: je touche à cette grandeur pure et la contemple avec un plaisir infini. J'ai, ainsi l'impression d'avoir accompli le cycle de l'humanité tout entière. Les quelques états de raison où j'ai pu parvenir me sont chers, mais parce qu'ils n'entament en rien mes  états initiaux et ne troublent pas l'eau pure où j'ai satisfait ma première soif d'absolu. Si bien que je me découvre souvent environné de vieilles gens dont les rides intimes et externes sont pénibles à constater.

Sans doute, n'ai-je pas eu la vie de tout le monde ! Doté, par le sort, d'une faculté qui exigeait des contacts nombreux et constants avec un large public, les dispositions paternelles firent que nous avons, en réalité, vécu dans une solitude à peu près continue.

A peine mes dons d'interprète se furent-ils éveillés que mon père me présenta à Jules Clarétie *, alors administrateur du Français. Cet homme, dont le visage extrêmement doux me frappa donna ce conseil à mon père: 

- Faites qu'il acquiert l'habitude du public, mais tenez le éloigné du théâtre.

*Jules Clarétie Romancier, historien, critique et dramaturge français, né le 3 décembre 1840 à Limoges, Jules Claretie est décédé le 23 décembre 1913 à Paris. Journaliste et critique littéraire notamment pour le Figaro, il est élu membre de l'Académie française le 26 janvier 1888, et nommé Grand officier de la Légion d'honneur en 1913.

C'est probablement, pour suivre cet avis que mon père résista aux sollicitations de Sarah Bernhardt qui manifestait le plus enthousiasme pour mes dons de diseur.

- Je le rendrai célèbre ! disait-elle . Elle réunit un jour dans sa loge fastueuse quelques dizaines de personnages de la Presse, du Théâtre. je devais avoir à peu près 10 ans à ce moment.

- Ecoutez, ce gosse là, dit la grande tragédienne à ses invités. Et quelqu'un murmura, au cours de la soirée:

- C'est un petit Mozart de la poésie ! Dans la loge de Sarah Bernhardt Fort de son histoire intimement liée à cette immense dame de scène et de chant, le Théâtre de la Ville a donc reconstitué sa loge à l’identique afin de proposer aux spectateurs curieux de plonger dans ce que devait être le quotidien de cette personnalité féminine libre et marquante de la fin du 19ème siècle.

C'est au cours de l’entracte d’un spectacle que vous pourrez découvrir, au 2ème étage, les meubles de l’actrice : dont un sofa à sphinx et sa baignoire tub, mais également beaucoup de ses souvenirs, directement liés à l’histoire du théâtre français. C’est un peu comme si rien n’avait bougé. La visite est d’autant plus insolite qu’il vous faudra emprunter les escaliers métalliques au niveau 3, côté impair et passer près des loges où vous croiserez sans doute quelques comédiens !

La célébrité facile devait être mon destin: j'ai vécu obscur et sans souffrir de cette particularité.

Les succès, les triomphes obtenus, mon père, avec une sorte de tendresse jalouse, m'arrachait à mes admirateurs. Cette faculté de dire, chez un si jeune enfant était à ce point extraordinaire que des médecins sont venus dans notre appartement  pour me surprendre dans ma vie enfantine, ne pouvant croire aux affirmations de mon père  qui soutenait que j'étais normal et que mes "concerts" achevés, je jouais comme un gosse ordinaire et avec la fougue habituelle aux enfants de mon âge et avec les objets les plus simples.

Ces fuites m'enchantaient. Je savais que nous allions enfouir notre existence dans un beau paysage  au creux d'une maison perdue dans la verdure. Je savais que je jouissais d'une liberté absolue, mon père détestant la marche, que j'adorais. (...)

Cette solitude, ce contact avec des réalités qu'il fallait ou vaincre, ou surmonter m'ont , de bonne heure, rendu l'exercice du courage à peu près familier. Tout n'était pas aisé dans l'existence quelque peu fantaisiste  qui m'était faite par l'insouciance de mes parents. Notre position alternait de manière assez constante, entre le luxe et la misère. Emporté par l'imprévoyance de son tempérament, et puissamment secondé par la légèreté de nature de ma mère, l'être le plus vain et le plus frivole que j'aie jamais rencontré ! mon père, dès qu'il se trouvait en possession d'une somme d'argent, dissipait ce bien avec un facilité incroyable. Tout à coup nous nous trouvions pourvus d'une demeure  presque fastueuse, et du personnel que son entretien supposait . Mon père qui avait la passion des chevaux, achetait un pur sang, une voiture , des harnais; prenait un cocher  auquel il faisait faire , selon le goût du temps, une tenue: redingote grise, chapeau haute forme de même teinte, gants.... cette splendeur durait six mois. Puis notre prospérité, comme un ciel de Bretagne, trop claire dès le matin, se bouchait progressivement; les créanciers changeaient d'allure et de ton; de fournisseurs obséquieux, ils devenaient des revendicateurs insolents; le coeur serré, j'écoutais les altercations que notre impécuniosité faisait surgir et je devinais que mon père ne tarderait pas à me faire part de ses graves soucis.

J'étais le confident des heures tristes. Lorsqu'une réussite, quelconque amenait dans la maison un afflux monétaire, au moins momentané; ma mère jouait le rôle des grandes coquettes. Puis quand ces dissipations avaient produit leur effet, j'étais assuré de voir mon père partager quelque unes de mes promenades et me parler d'un air mélancolique . Je devenais l'ami auquel on peut ouvrir son coeur. Nous nous aimions passionnément ; aussi lorsque les difficultés économiques avaient eu pour effet de dissiper le fastueux train de vie, si imprudemment adopté, mon influence redevenue entière, entrainait mon père vers la solitude quelconque où nous enfouissions nos vie. Tout était vendu, jusqu'aux robes, aux bijoux maternels, nous vivions d'espoir, d'ambitions fabuleuses: j'assurais mon père , que l'âge venu, je serais son soutien; en attendant j'avais 16 ans et la vie à entreprendre.

 

 

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