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19 octobre 2014 7 19 /10 /octobre /2014 19:56

De ces années nantaises, je garde en mémoire ces balades à bicyclette entre les demeures voisines de la Crétinière bâtie en 1799 ( prononcer crestinière car placée sur une crête qui la préserva des inondations de la Loire de 1910) à savoir  la Salmonière, la Meslerie où avait séjourné le Conservateur de Versailles, Gérald Van der Kemp,que Franck Ferrand a surnommé dans son livre chez Perrin : « un gentilhomme à Versailles », la Verrie où vécut depuis la Révolution la famille du réalisateur Denys de la Pattelière.

A 10 kilomètres de Nantes, c’est dans ce havre de paix que Maxime Nemo et sa compagne Yvonne Bretonnière recevaient à la belle saison ses amis parisiens pendant une période de 25 ans de 1950 à 1975.C’est donc de cette période que datent mes souvenirs des passages toujours pittoresques des habitués dont Henri Rollan de la Comédie Française, le musicien et photographe Gilbert Houel, le couple Annie Lebrun et son ami le poète croate Radovan Ivsic, le poète et galeriste Charles Vildrac ou le peintre Charles Picart Ledoux, ou encore le professeur Horst Schumacher (qui comme Cioran retournera à Heidelberg étudier le français pour mieux comprendre la littérature de Rousseau à Proust après Goethe et Schiller), et de nombreux inconnus qui se retrouvaient pour quelques jours ou semaines à la grande table commune. Chacun laissa dans la bâtisse, alors sans wc ni salle de bains ou chauffage central, sa trace : soit une aquarelle, une photographie saisie au soir couchant, un pied de meuble restauré, une fenêtre à isoler, ou même une hypothétique prise de courant malgré les fils électriques en tissu. Le maître de maison prenait un malin plaisir à montrer à ses hôtes, le wc à deux places où il avait inscrit au fusain : « Sans égal à Versailles » ou encore « Si le trône est obligatoire, la couronne est facultative ».montrant là tout son sens de l’humour et ses facilités d’écriture qui n’étaient pas sans plaire à notre adepte des aphorismes. On se plait non sans sourire à imaginer quels dialogues platoniciens, Nemo et Cioran pourraient avoir eu sur ce trône ?Cioran_Alexandrue_Seres.jpeg

Voici ce que dit Simone Boué sur la Crétinière où elle passa avec Cioran de nombreuses années sur le chemin de Saint Gilles Croix de Vie où vivait sa mère.

« II y avait aussi un certain Maxime Nemo, c'était son nom de plume, qui était très séduisant, très beau parleur, qu'on a présenté à Cioran, au Flore. Sa compagne. qui était professeur de mathématiques, avait un manoir dans les environs de Nantes, extraordinaire, complètement isolé, entouré de très hauts murs, au milieu de vignes. On y allait assez souvent l’été, passer huit jours. Cioran était parfaitement heureux, il passait son temps a élaguer les arbres à réparer les murs. II adorait travailler avec ses mains. Pour lui, jardin égalait bonheur ».

Du séquoïa géant qui offrait un ombrage à la maison on partait parfois à bicyclette pour des parties de pêche en bord de Loire et Cioran revêtu d’un kabic marron très en vogue à l’époque et protégé par une capuche lui donnait l’air d’un homme des oasis de Touggourt, ce qui n’était pas sans effrayer les commerçants du village de St Julien dont le pharmacien mycologue et photographe que notre hypocondriaque assumé, harcelait de ses diagnostics imaginaires et effrayait tout à la fois. Je me souviendrais entre autres anecdotes que le coiffeur du bourg lui demanda un jour à l’issue de sa séance de coupe «  Vous les voulez plus longs ?»

Chaque soir, Cioran, qui comme Nemo avait passé une partie de la journée soit en lecture ou en écriture soit en longues causeries sur Valéry, Mallarmé ou la philosophie allemande venait nous divertir au souper alors que les trois maîtresses de maison ma mère Léopoldine, Yvonne compagne de Maxime Nemo, et Simone Boué compagne de Cioran, s’employaient à répondre aux moindres exigences ou caprices de l’illustre visiteur. Même si la table était digne d’un souper à Versailles, les veloutés et gratins ou desserts n’étaient jamais du goût de notre malade qui se découvrait une allergie subite ou une aversion toute fantasmée qui nous plongeait dans des rires inextinguibles.

Les vacances de Pâques étaient aussi l’occasion de partir avec la Simca noire descendue de Paris:  Cinq CV d’abord de 1949, puis Simca Neuf dite "Aronde" de 1961, puis Aronde P60 enfin la Simca 1501 de 1973.C’est avec l’Aronde que nous descendîmes à Lierna au bord du lac de Côme en Italie où nous rejoignirent Emil et Simone ; belle occasion de faire un tour du lac même si je n’en menais pas large pas plus que mon passager quand parvenus au milieu du lac il fallut ramener la barque au rivage…

Des vacances avec Cioran ce sont surtout des parties de bicyclette qui m’ont marquées ici où là entre Meyronne et Rodez.

Des visites parisiennes à Cioran je me souviens que tout enfant je devais gravir les étages pour parvenir au pigeonnier de la rue de l’Odéon  où je découvrais l’univers de l’écrivain comme tant de témoins privilégiés ont pu le décrire et que le documentaire « Un siècle d’écrivains » a bien mis en perspective. Etant à l’étranger pour de 1979 à 1995 je n’ai pu assister à toutes les rencontres qui ont émaillé l’amitié étroite dont témoignent les dédicaces communes échangées ainsi que les courriers des uns et des autres. Certains sont égarés dans le fonds légué par Simone Boué à la Fondation Doucet, d’autres ont du se perdre en Roumanie chez le frère Aurel ou la belle sœur de Cioran. C’est dans ces courriers que se trouve le secret du grand passage de témoin de l’aîné à son cadet : souvenons nous qu’en 1937 Maxime NEMO a déjà presque 50 ans et Cioran qui vient d’arriver avec une Bourse à la Sorbonne n’a que 26 ans et tout à découvrir sur la poésie de Valéry, Malarmé ,sur les philosophes du XVIIIè et sur la Tragédie de Sophocle à Ibsen, ou sur la genèse de la tétralogie de Wagner  que le conférencier hors pair qu’était Maxime Nemo diffusait déjà dans toute la France au sein de son « Ilôt »  petit espace mais libre à de jeunes publics conquis par le charisme du grand homme. Si EM Cioran parla épisodiquement dans ses « cahiers » de cette amitié secrète qui le liait à Nemo , Mircea Eliade, autre compagnon de route avec Ionesco arrivé en France à la même période en parle plus aisément. C’est grâce à lui que nous savons que c’est aux « Deux Magots » le célèbre café parisien avec la Coupole et la Closerie des Lilas, que Nemo leur présenta tout ce que Paris comptait d’intellectuels poètes, romanciers, peintres et hommes de théâtre…Simone Boué elle écrit qu’il s’agit du « Café de Flore » Les historiographes peuvent palier à ces divergences par une étude plus approfondie grâce notamment aux photographies conservées par l’INA ou par la Fondation Doucet.

Alors que NEMO fréquente depuis 1935 la jeune Yvonne Bretonnière fille du maire de Saint Julien de Concelles et de 20 ans sa cadette, qu’il voit en cachette entre ses multiples pérégrinations de ferroviaires , dans les hôtels du bord de Loire, et échange plusieurs milliers de lettres avec la dulcinée. Il devra attendre  33 ans pour pouvoir l’épouser civilement à Paris à la Mairie du XIè en 1968 : les témoins sont évidemment EM.Cioran et Gilbert Houel (1er violon de l’orchestre philarmonique de Radio France)  Une note pour six convives de la « Tour d’Argent » atteste de cette journée mémorable  et copieusement arrosée des meilleurs crus.       

J’ai revu Cioran épisodiquement à la mort de Maxime Nemo en 1975 déjà très affaibli au Père Lachaise, mais déjà plus en 1990 à la mort d’Yvonne Nemo car lui-même vivait une fin difficile qui devait l’emporter en 1995 soit vingt ans après la disparition de son fidèle ami et confident.

Chaque aphorisme largement cité  et chaque hommage qui lui  est rendu aujourd’hui devrait mentionner la part essentielle que joua ce passeur des lettres que fut pour Cioran et Eliade l’homme mûr et discret qui les introduisit dans la tourmente parisienne au sortir des années Trente, celui qui côtoya la Reine Victoria, Sarah Bernhardt, Jean Clarétie ,Henri Barbusse, Henri de Régnier, Carco Colette, Gide, JR Bloch, Le Père Teilhard de Chardin, Lévi-Strauss et tant d’autres… Il s’appelait Maxime NEMO et fut de 1947 à sa mort en 1975 : le très actif Secrétaire général de l’Association Jean Jacques Rousseau dont le siège était à Ermenonville puis rue Ledru Rollin à Paris.

Patrick CHEVREL

Plusieurs sites lui sont consacrés :

http://maximenemo.over-blog.fr

http://patrocle44.free.fr/nemo.html

http://patrocle44.free.fr/nemo/parrain.html

Rappelons les ouvrages de NEMO : Julot gosse de rêve et Un Dieu sous le tunnel (Ed. Rieder-1927) L’homme nouveau JJ Rousseau  et Choix de textes de JJ Rousseau (la Colombe) L’Acte de Vivre (La pensée Universelle 1972)

"Un humanisme constructeur" par Maxime Nemo Bulletin de l'Association Guillaume Budé 1953

Le journaliste Claude Sérillon consacra une longue interview à Maxime NEMO titrée : Rousseau: la paix, la vie - Presse Océan - Juin 1972)

Une biographie complète retrace sa vie et son œuvre : Maxime NEMO (1888-1975) un passeur des Lettres françaises et européennes par Patrick Chevrel. (à paraître)        

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