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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 14:09

Chapitre IV

 

Rousseau, la paix, la vie

 

Pour revenir à l’immédiat après guerre il faut ouvrir la grande parenthèse sur Rousseau qui va hanter Maxime Nemo depuis qu’il s’est mis en tête de créer la Société Jean Jacques Rousseau et ce, depuis la rue Jean Jacques Rousseau justement où il habite à Montmorency depuis 1945. Il va falloir redoubler d’énergie et Nemo n’en manque pas, on l’a vu avec « l’Ilôt ». Il va rassembler tous les esprits de son temps et reconstituer son réseau d’amitiés pour constituer un Comité directeur afin de déposer les Statuts de ce qui sera d’abord « les Amis de Jean Jacques Rousseau » puis la « Société Jean Jacques Rousseau » enfin « l’Association Jean Jacques Rousseau » qui le restera jusqu’à sa mort en 1975, sans que personne en France  n’ai songé à reprendre le flambeau puisque  c’est la Société Jean Jacques Rousseau de Genève qui a accepté de recueillir ses archives, manuscrits, correspondance et qui a donné lieu à cette biographie.

Rousseau, la paix, la vie…

Ainsi titrait le journal Presse Océan dans un article du jeune journaliste qu’était Claude Sérillon quand il relate sa  visite à Maxime Nemo un jour de juin 1972, 3 ans avant sa disparition de ce dernier.

Quand, en mai 1945, après la mort de son fils aîné Claude Baugey ,  Nemo qui habite déjà au Montlouis au 10 rue Jean jacques Rousseau, se lance dans la constitution d’une Société des  Amis de Jean Jacques Rousseau laquelle existe déjà à Neuchâtel et Môtiers en Suisse.

Il va donc contacter le premier cercle dès 1947 dont Gide qui lui répond favorablement depuis l’Hôtel Tamaro*  d’Ascona en Italie 14 Avril et se montre très intéressé par l’initiative  tout en étant « désireux de savoir quelles seront les personnalités qui figureront au « Comité d’Honneur » dont vous me demandez de faire partie. Croyez au demeurant que ma sympathie vous est acquise pour cette Société des amis de JJR et pour les projets dont vous me parlez dont je souhaite la pleine réussite.

*« Des premiers jours à Ascona je garde le souvenir d'interminables pluies. Nous logions, sur la route de Locarno, dans une villa dépendant de l'hôtel Tamaro où nous allions pour les repas. » (Gide familier, Jean Lambert, p.89)

Gide rentrera au 1bis rue Vanneau le 28 avril au matin, c’est d’ailleurs ce que confirme Maria van Rysselberghe dans les Cahiers de la petite Dame et ce qui explique l’adresse mentionnée à Nemo pour lui écrire, ce qu’il fait dès le 16 avril en lui donnant la liste des membre du Comité dont il souhaite adjoindre celui de Gide ; sont déjà partants, MM André Billy Chroniqueur littéraire au Figaro, auteur des biographies de Diderot et Saint Beuve et Membre de l’Académie  Goncourt depuis 1944, Pierre Descaves, écrivain et chroniqueur de radio français né à Paris le 1er janvier 1896 et mort le 23 août 1966. Il est le fils de l’écrivain Lucien Descaves. Auteur, en 1936, d'un livre intitulé "Hitler" (chez Denoël et Steele), il fut à la Libération, l'un des accusateurs de Sacha Guitry, qui fut contraint à 60 jours d'emprisonnement et n'obtint qu'en 1947, un non-lieu de l'accusation mensongère d' "intelligence avec l'ennemi". En outre, Pierre Descaves sera administrateur général de la Comédie-Française de 1953 à 1959.  Georges Duhamel Président de l’Alliance Française, critique musical au Figaro, il  voue un véritable culte à Wagner et cela n’est pas sans déplaire à Nemo, Duhamel a publié une Défense des Lettres en 1937 et signa de nombreux manifestes dans les années vingt aux côtés de  Romain Rolland, Charles Vildrac (son beau frère) , et  Jean-Richard Bloch qui vient de mourir cette même année 1947.Jean Guéhenno lui, est l’homme qui a abordé le drame moral de la « Jeunesse morte », de cette génération qui eut 20 ans en 1914 et parvint à l'âge d'homme sous le signe du carnage, de l'horreur et de la mort . Aucun témoin n'avait, jusque-là, dégagé son récit de guerre des anecdotes individuelles et du fait circonstanciel comme Guéhenno. Son Journal d'un Homme de Quarante Ans parut chez Grasset en 1934 et racontait qu'une histoire morale de la guerre et l'expérience est toujours « transformée en conscience. Une correspondance des années 50 entre Guéhenno et Giono révélera que Guéhenno était peu enclin à s’engager de manière active dans cette Association dont il connaissait alors peu ou mal son instigateur même s’il accepta comme il l’avait promis de faire une conférence pour le Bicentenaire du Discours sur les Sciences et les arts. Enfin,  Jean Paulhan de la NRF et l’Académicien Jules Romains.

La Présidence d’Honneur sera assurée par l’Académicien Edouard Herriot, il est une figure incontournable de « la République des professeurs », puisqu’Agrégé de Lettres et issu de l’Ecole Normale Supérieure, Maire de Lyon depuis 1905 même s’il est né à Troyes, (ville chère à Nemo)  en 1872. Il présidera l’association Jean Jacques Rousseau jusqu’à sa mor en 1957 et on se souvient du portrait que fit Mauriac de ce lettré politicien dans son bloc Notes : « En vérité, Édouard Herriot était un gros homme charmant. Son charme naissait de ce contraste entre la culture, tous les dons d’une intelligence royale et la ruse, disons la finesse, politicienne ».

Restait à adjoindre des personnalités locales, et Maxime Nemo s’emploie à rallier le Recteur de l’Université de Paris dont dépend Montmorency  Jean Sarrailh, mais également  André Allix, Recteur de l’Académie de Lyon, Roger Dupont, maire de Montmorency et René Chapuis Conservateur du musée JJ Rousseau, qui est encore en 1947 « refoulé à la Mairie »

Viendront se greffer des noms illustres comme Mircea Eliade que Nemo connaît bien - tout comme son compatriote E.M.Cioran- et avec lequel il échangera jusqu’à son départ vers les Etats-Unis, Pierre Grosclaude Président des Poètes français, le peintre Charles Picart-Ledoux, et enfin celle qu’on appelle madame Colette  de l’Académie Goncourt. C’ets d’ailleurs le 27 juillet 1949 avec Edouard Herriot et Colette que selon la fiche de l’INA : «  Maxime Nemo présentera l’Association sur les antennes de la radio diffusion française dirigée par Pierre Descaves. C’est  Léon Maurice BATAILLE qui présente Maxime NEMO, fondateur et Secrétaire Général de l'Association Jean Jacques Rousseau. Interview : les personnalités importantes de l'association, Edouard Herriot et Colette. Les buts de la société. Ses résultats et ses difficultés ».

Mais quel est en 1947 le projet qui sou tend cette Association prestigieuse, écoutons son secrétaire général qui expose à André Gide dans sa lettre du 16 avril 1947 les objectifs et projets immédiats :

« Personnellement, je désire organiser des séries de lectures des œuvres de Jean Jacques dans l’une des salles du Montlouis. La maison que nous serions heureux – même de son état de délabrement actuel – de vous faire visiter, est beaucoup plus vaste qu’au moment où Jean jacques l’habita. Au premier, existe encore (hélas, en quel état !) la chambre qui fut la sienne. Nous possédons son lit, deux petites armoires, sa table, deux chaises. Nous avons l’intention de reconstituer cette chambre. Je voudrais attirer en ce lieu, en particulier, des délégations d’étudiants, de grands élèves de nos établissements universitaires et leur lire avec de légers commentaires des passages, surtout des Confessions et des Rêveries du promeneur solitaire. Par l’intermédiaire de l’Unesco et de certaines Ambassades à paris, nous pensons convier les éléments étrangers à certaines réunions. Telle est l’œuvre à laquelle nous nous efforçons de parvenir.

Vos lignes, si chaleureuses, nous permettent d’espérer une adhésion définitive ».

PS. Je crois devoir vous faire parvenir un exemplaire du « Manifeste »… que je me propose d’envoyer prochainement aux journaux, aux revues, dans le désir d’entreprendre une définition de la pensée occidentale –base, peut-être, d’une action future.

On voit que les acquis de l’Ilôt trouvent là un prolongement naturel et que rien de ce qui n’est annoncé à Gide ne sera  délaissé et ce, pendant trente années d’efforts et de diffusion soutenue et sans cesse élargie. Jean Guéhenno avait sans doute tort d’adresser à son ami Jean Giono ce jugement à l’encontre de Nemo qu’il reconnaît à l’époque « connaître peu et mal » lorsqu’il lui dit en 1950 : « J’ai l’impression qu’iI se pousse sur le dos du malheureux Jean Jacques »

Le 19 Octobre 1947, parvient à Nemo à Montmorency, un tardif mais singulier message de soutien venant de l’Isle Adam : « Monsieur, je suis désolé de n pas avoir pu vous accueillir à la Planque, l’autre jour, avec Picart Le Doux mais vous pouvez m’inscrire parmi les membres de votre société Jean jacques Rousseau. Merci d’avoir pensé à moi. Croyez-moi, je vous rie Monsieur, en toute sympathie. Votre   Francis Carco.

En effet après la guerre, à leur retour de Suisse, Elyane et  Francis Carco, reviennent à l’Isle-Adam où ils achètent, au N° 21 de l’avenue de Paris, une belle demeure en pierre de taille dont les pièces tièdes et fraîches à la fois, donnent sur un jardin de gazon, de feuillage et de fleurs. Carco la baptise "La Planque". François Carcopino-Tusoli,dit Carco voit le jour en 1886 à Nouméa (Nouvelle-Calédonie)Il est entré à l’Académie Goncourt en 1937 .Il restera 7 ans à l’Association car il est atteint de la maladie de Parkison à Paris où il décède en 1958. 

Le 1 juillet 1948, un grand absent se manifeste, mais il est trop tard, le Comité est déjà constitué depuis un an, celui qui était à Mexico en 1947 pour l’Unesco était injoignable. « Le Chef d’Echange d’informations » tel qu’il signe sa missive était déjà en contact avec les deux amis de Nemo : Mircea Eliade et Emil Cioran. Nemo  demande donc le 2 juillet à Theodore Besterman  de se joindre aux « ouvriers de la deuxième heure » avec Maurice Genevoix. Besterman donne son accord le 9 juillet. Théodore Besterman avait déjà rencontré Nemo et sa compagne à  Montmorency pour un brève rencontre sur les lieux du Montlouis en mai  1947 et ils devaient se revoir à l’Hôtel Majestic,  mais Nemo a des excuses, il fait partie du Comité de rédaction des « Cahiers des Hommes de Bonne Volonté » autour de André Cuisenier,Gabriel Marcel, M.De Broglie, L. Guénot, Déhem, F.D. Dubarle, M. Thiébaut, R. Lalou, Vercors, R. Arcos, M. Israel, J-J. Bernard etc , il vient de terminer une série de vingt conférences sur le thème : « Rousseau, de l’homme au rêveur solitaire » en précisant à son destinataire, non sans malices, que c’était « un titre qui ne conviendrait guère à Voltaire » et de surcroît il a la charge de la petite Nicole  âgée de 4 ans, orpheline de son jeune fils Claude Baugey tué en mai 1945 à l’âge 20 ans.   

Est-il besoin de rappeler que c’est au Montlouis que Jean Jacques habita de 1757 à 1762 et où furent composées les premières œuvres capitales : « La nouvelle Héloïse » (commencée à l’Ermitage), le Contrat Social, la lettre sur les Spectacles, Emile, et que c’est sous l’impulsion de la Société des Amis de Jean Jacques qu’elle a été acquise par la Ville de Montmorency en Aout 1947 et louée à la Société. C’est donc de du Montlouis au 10, rue JJ Rousseau  que vont partir tous les courriers de Nemo visant à mobiliser « toute personne désireuse de s’associer à cette œuvre » et de s’ouvrir à « un vaste réseau de « correspondants » à travers la France et les pays étrangers et de susciter la formation de « filiales » avec lesquelles elle entretiendrait de constants rapports. Le document de 1947 précise même : « Une Revue, des collections d’ouvrages, des conférences permettront d’assurer la diffusion et la compréhension d’une personnalité encore énigmatique »

Si les « rousseauistes » font bloc et adhèrent, on verra par la suite que l’Université jusqu’à ce jour restera parfois rétive  et qu’il faudra les grands moments du Bicentenaire du Discours des Sciences et des arts puis de la Commémoration du 250è anniversaire de la naissance de Rousseau avec le Colloque de Royaumont en 1962, pour les associer sous l’égide de l’Unesco, du Ministère de la Culture (dirigé par Duhamel puis par Malraux) et du Ministère de l’Education à travers son Institut Pédagogique National. D’autres initiative s comme le transfert des cendres de Jean Jacques du Panthéon vers Ermenonville se solderont pas un non lieu. D’autres demandes de transfert du Panthéon ou vers le Panthéon suscitent encore aujourd’hui de belles passes d’armes, songeons à Camus.

Commence entre 1945 et 1947 une singulière correspondance entre Maxime Nemo et un certain Docteur Destouches. Je dois avouer ici dans quelles circonstances j’ai mis la main sur un manuscrit étrange : « Voyage au bout de la nuit » signé du même Destouches et daté du 15 octobre 1944.la date ne correspond bien sûr pas avec le Voyage de Céline de 1932.Alors qui est, ce « Dr L.D.Destouches » et non le « Dr L.F. Destouches » ?

Il s’avère que Nemo a rencontré le Docteur Destouches à Troyes  dès 1940 où Winnie était professeur et où notre homme se déclarait  souvenons nous « incognito »…le Docteur qui pratique la médecine homéopathique, ce qui n’est pas pour déplaire à notre hypocondriaque qu’était Cioran, se pique aussi de poésie et chacune de ses lettres se double d’un petit envoi de poèmes joliment tournés. Il écrit dans sa lettre du 7 janvier 1945 : 

« Dans ses provinces stagnantes – j’allais écrire immobiles, mais l’immobilité n’est-elle pas un prodige d’équilibre où concourent tant de forces actives ? Il n’est pas douteux que la pensée est plus lucide  aux lieux où circule l’Esprit, je veux dire aux lieux où quelques hommes de bonne volonté s’exercent aux jeux désintéressés de l’intelligence »Vous connaissez Troyes où toute conversation qui dépasse le niveau des biens matériels tend à devenir un soliloque ; on n’y a que rarement l’occasion de confronter sa pensée avec une autre pensée si bien que dans une telle solitude on doute souvent si ce qui brille là st une étincelle du feu prométhéen ou quelque feu follet qui nous leurre et traitreusement nous écarte des chemins de la vérité. C’est vous dire que vos lettres sont attendues ici et que nous en avons pour des jours à commenter votre pensée condensée ; je dis « nous » parce que ma chère fiancée est trop la sœur de mon âme pour ne pas s’intéresser passionnément à tout ce qui m’intéresse. »

J’ai retrouvé à Haïti la petite fille du Dr Destouches qui m’a confirmé que « 1944 représente la période d'idylle entre lui et sa secrétaire, Yvonne Tourdot, qui va devenir sa deuxième femme et qu'il va convaincre de partir en Haïti avec leur petite fille de quelques mois. Yvonne partira avec sa mère, son frère et deux cousins qui resteront tous en Haïti après le décès inopiné de Dantès, lors de la fête célébrant son retour...

Yvonne racontait que Dantès se promenait à Troyes avec une canne-épée pour se défendre d'agresseurs le prenant pour l'autre Dr Destouches... C'est vrai qu'ils n'avaient que quelques mois de différence et ont tous deux été médecins militaires pendant la première guerre.
Mais comme je l'ai reconstitué il y a un peu moins d'un an, il n'existe aucun lien familial entre eux 
». En consultant les pages généalogiques, voici ce que révèle sa biographie : je suis d‘abord tombé sur la photo de Louis Dantès Destouches de Troyes de son vrai nom  Louis Etienne Stanislas Dantès Destouches (né le 6-2-1893 décédé le 6-7-1947)
Plusieurs citations pour son courage au sein de la Légion Etrangère pendant la Grande Guerre, il est fait Chevalier de la Légion d'honneur en 1929. Médecin homéopathe à Troyes, il meurt d'un arrêt cardiaque lors de la fête qui célébrait son retour en Haïti en juillet 1947.C’est dire si sa dernière lettre envoyée de Troyes le 20 février 1947  à Nemo avant son départ pour Haïti est émouvante et comme prophétique et surtout son dernier poème : « Mirage »...

Mon bien cher ami, je réponds bien tardivement à votre lettre ! Ne me croyez pas pour cela indifférent : voilà des semaines que je suis tout vibrant des résonnances qu’elle a éveillées en moi et que je souscris fraternellement à votre « manifeste »

Il est bien certain que l’homme est une mesure du monde, cela pourrait-être mathématiquement démontré et en effet des Egyptiens de la Pyramide à Protagoras, de Platon à Léonard et ses successeurs cela a été magnifiquement démontré.

Le malheur de notre monde moderne vient de ce que l’homme n’y occupe pas sa vraie place pour la bonne raison que ce monde n’est pas construit sur une mesure humaine ; il n’est même pas construit sur une donnée cosmique quelconque car s’il en était ainsi il serait harmonieux et dans mainte rencontre par conséquent humain ou humaniste ;

Vous voilà donc obligé mon Cher ami, de connaître l’homme, ce qui n’est peut-être pas une tâche insurmontable, mais de connaître, de savoir quel doit être son comportement harmonieux, son comportement le plus harmonieux. (…)

Tous mes vœux pour occident ! Naturellement mon concours vous serait tout acquis ici si je ne devais prochainement quitter la France (fin avril probablement) Mais l’occident peut-être partout, vous l’avez bien dit et lorsqu’il vous conviendra de parler à mon Antille j’y serai votre écho. Je pars pour un temps indéterminé pour Port au prince, Haïti. J’espère bien vous voir avant ce départ. Voulez-vous m’écrire les moyens pratiques pour vous atteindre ?

Allais-je oublier de vous faire part de la naissance de notre petite Joëlle ? Elle est née le 22 janvier, assez laborieusement. Depuis tout va bien pour la maman et le bébé.

Au revoir, mon cher ami, de ma Vonnick et de moi à vous deux de toute notre vive amitié et de notre joie de vous voir peut-être bientôt.

PS : permettez-moi de vous féliciter pour votre grande activité littéraire et vos conférences. Cependant malgré de diligentes recherches, je n’ai encore rien lu de vous : Romains, Prométhée qui m’a laissé le très vif désir de connaître vos autres ouvrages ? Pourriez-vous m’aider à en trouver quelqu’un.

Il n’y aura pas de suite à cette lettre puisque Dantès meurt dès son arrivée à Haïti et une belle amitié cesse là…et les lettres de Nemo adressées à Troyes ont été perdues (hélas) J’extrais, avant d’abandonner Dantès ce passage de sa longue lettre du 26 janvier 1945, où il aborde le lien entre Maurras et Jaurès : «  Mon cher Ami puis-je vous dire que la fin de votre lettre m’a surpris et peiné. En êtes-vous à croire que Maurras est responsable de la mort de Jaurès ? Certes, il a âprement critiqué le politicien et le démagogue que fut Jaurès, lui opposant l’honnêteté et lucide Jules Guesde. Il ne l’a trucidé que de sa plume qui n’a pu être souillée de sang : Jaurès était une outre de vent pleine…. Non, Maurras n’a jamais prôné l’assassinat et s’il a menacé conditionnellement un Schrameck c’est afin que celui-ci ne continua pas à tuer des « nationalistes » de Maurras qui refuse toujours de donner l’ordre de tuer qui que ce fut. Raoul Villain appartenait au Sillon, mon cher ami et je l’écris sans songer le moins du monde à incriminer Sangnier qui, certainement, n’a pas ordonné à Villain de tuer Jaurès. Revoyez le procès de Raoul Villain et je suis sûr que vous regretterez la confusion que vous avez faite ». 

Pendant que la Société Rousseau se constitue et programme ses conférences, Maxime Nemo poursuit parallèlement un vaste chantier sur « Occident » qu’il développe dans son « Manifeste ». Il semble utile à ce stade de bien distinguer les propos de Nemo sur sa vision de l’Occident avec les courants droitiers du mouvement Occident de mai 1968 à la Sorbonne ( Occident, fondé en 1964, était un mouvement politique français d'extrême droite. Dissous le 31 octobre 1968)

Outre son « manifeste » intitulé « Occident », Nemo travaille sur un manuscrit qui a pour titre Occident terre de l’homme qu’il achèvera à la Crétinière le 20 septembre 1957. Cet essai inédit de 200 pages mériterait d’être publié et de remis à jour. Il se compose de deux grandes parties : « Une éthique de l’homme » et une seconde : « De Salamine à Stalingrad »

En voici la conclusion :

«  L’Occident de demain – et ce mot ne peut-être réel qu’étendu à la surface du globe – va se trouver en présence de l’énorme tâche que la Science lui confère. Une définition de l’Humain est à extraire des énormes possibilités instituées par l’invention de l’Homme. Hier, dans une certaine mesure, tout pouvait rester à l’état d’idée, même d’idée métaphysique. Cette idée planait au dessus de contingences matérielles que le développement du temps modifiait à peine. Les conditions de vie au XVIIIè siècle, sont à peu près identiques à ce qu’elles étaient aux temps de Rome et d’Athènes. La prévision était possible, puisqu’un continu réel l’autorisait. A cette uniformité, notre génie inventif substitue l’infini de nos formes changeantes de vie pratique, de Connaissance. Que sera celle-ci si, demain, le livre de l’Espace s’ouvre devant nos regards attentifs ? Il serait imprudent de compter sur une non-transformation de nos mythes, dans une transformation démesurée de la Connaissance et de nos façons de vivre. L’Homme, que nous pensons, ne sera-t-il pas dépassé, demain, par l’ampleur, à peu près imprévisible, des réalisations entrevues aujourd’hui ? Et où se situera la référence valable ? J’interroge le suprême regard des combattants de Salamine et de Stalingrad. Que demeurera-t-il de réel, de vivant, près de vos tombes associées ? La notion de ce devenir me préoccupe davantage que celle d l’au-delà. Dois-je faire confiance à l’instinct de conservation de la race, et penser qu’il sera supérieur à celui de destruction ? Rien n’est mort il est vrai de la fonction première ; mais nous avons introduit le mouvement dans nos façons d’être ; le Temps ne se mesure plus à l’échelle de jadis et selon la permanence d’hier. Le mouvement nous emportera-t-il désintégrant jusqu’au squelette, jusqu’à la terre des tombes de deux combattants de l’humanité ?  Et replaçant la vie au cœur du tourbillon originel, tout, de ce qui fut, sera-t-il effacé par ce qui sera ? J’ai toujours pensé que l’angoisse du réel, de la Vie supérieur – au moins qu’elle est égale – à celle que le plus pur mysticisme peut éprouver. La position de nos espérances est-elle différente ? Par un effort ‘ascétisme et d’élan, le Mystique espère rejoindre Dieu et trouver dans la béatitude, la récompense de son effort.  Aussi haute est notre pensée, puisque nul ne possède de certitude définitive. Notre espoir réside dans ce capital de pensée et d’actes que forme notre passé. Ce souffle de Vie peut-être un souffle d’espoir. Je ne sais si sa permanence est « divine » - et pourquoi pas ?- mais estime qu’elle constitue la preuve à laquelle, également, il est possible de croire. Si tout est vain d’une telle affirmation, il est permis de supposer que Dieu lui-même le deviendrait. En ce cas Prométhée serait, non le démiurge bienfaisant, mais un fou démoniaque entrainant l’espèce vers la plus sordide des aventures. Le mal serait le Maître et les orientaux triompheraient. 

Je ne sais quelle puissance intérieure se hérisse au contact de ce soupçon. L’idée d’une Forme monte des nuées de l’angoisse éprouvée, celle d’un être nu, juvénile, et puissant, dont la présence projette une telle impression de pureté qu’il paraît impossible qu’un tel pouvoir d’innocence réalisée puisse, jamais correspondre au mensonge.

Que se cache-t-il donc de mystérieux dans la beauté, qui fasse à ce degré, soupçonner la présence d’une intention qui attire et fascine ? Peut-être un pouvoir de compréhension à ce point considérable qu’il lui a été possible d’utiliser le mouvement et sa vibration, sans jamais les détruire, ni succomber à leur attraction. En cela réside la puissance de notre Occident, et se résumerait en une ligne : Le tout est de comprendre, mais pour comprendre, il faut aimer ».

Rappelons que Norbert Elias, (1897,1990) vient de publier en 1939, «la dynamique de l’Occident » où il propose l’esquisse d’une théorie de la civilisation....» qu’il conclue par ces mots: « Les tensions et les contradictions de l’âme humaine ne s’effaceront que lorsque s’effaceront les tensions entre les hommes, les contradictions structurelles du réseau humain. Ce ne sera plus alors l’exception mais la règle que l’individu trouve cet équilibre psychique optimal qu’entendent désigner les mots sublimes de “ bonheur ” et de “ liberté ” : à savoir l’équilibre durable ou même l’accord parfait entre ses tâches sociales, l’ensemble des exigences de son existence sociale d’une part et ses penchants et besoins personnels de l’autre. C’est seulement lorsque la structure des interrelations humaines s’inspirera de ce principe, que la coopération entre les hommes se fera de telle manière que tous ceux qui, la main dans la main, s’attelleront à la chaîne complexe des tâches communes, aient au moins la possibilité de trouver cet équilibre ; c’est alors seulement que les hommes pourront affirmer avec un peu plus de raison qu’ils sont “ civilisés ”. Jusque là, ils sont dans la meilleure des hypothèses engagés dans le processus de la civilisation. Jusque-là, force leur sera de répéter encore souvent : “ la civilisation n’est pas achevée. Elle est en train de se faire !”.

Entre les vingt années qui séparent  le Manifeste « Occident » de 1937 et « l’Occident terre de l’homme » de 1957, il y aura eu le fertile dialogue avec un homme exceptionnel et une vraie sincérité alors que tout semblait opposer le laïc et agnostique Nemo et le jésuite et homme d’église qu’était le RP Teilhard de Chardin. Comment vont-ils en être amenés à dialoguer autour de Dieu de l’Homme, du concept de Noosphère ? Nous parcourrons leurs lettres du 16 au 24 janvier1948  et surtout l’article que Nemo consacrera plus tard à son ami Teilhard dans la revue Europe  (Présence de Teilhard de Chardin   n°  63  Mars-Avril 1965 en annexe)

« En 1948, Teilhard recevait ses visiteurs dans la grande pièce qu’il occupait au 15 de la rue Monsieur. Si, à cette époque, son nom était répandu dans les milieux savants, il était par contre, ignoré de ce public auquel j’appartenais. Très vite, cependant, au cours d’entretiens prolongés, pendant plusieurs heures, sa forte personnalité apparaissait. Derrière la sobriété de l’accueil et des premiers échanges, surgissait cette faculté qui, depuis a permis à son nom comme à son œuvre de rayonner sur le monde, en lui assurant l’audience non seulement des spécialistes, mais des esprits que la simple notion de l’homme préoccupe et qui sont à la poursuite de ce problème d’identification dont la pensée de Teilhard propose la solution ».Les lettres de Nemo à Teilhard s’étalent du 13 janvier au 24 janvier 1948 et les réponses datées du 16 au 21 janvier proviennent du 15 rue Monsieur Paris VIIè jusqu’au départ de teilhard pour les Etats-Unis. Les copies sont conservées par The Teilhard Schmitz-Moormann Collection Woodstock Theological Center Library Special Collections Division Washington, D.C. mais les originaux se trouvaient perdues au fond d’un carton à « la Crétinière » Les voici dans leur intégralité car inédites à ce jour :

Cher Monsieur, Merci pour votre lettre du 13 et pour la feuille qui l’accompagnait. J’ai été comme stupéfait (bien que ce ne soit pas ma première expérience en ce genre) de la similitude de nos points de vue, et même de nos expressions. Il se produit certainement en ce moment-ci, de par le monde, une convergence spirituelle extraordinaire, - ce qui n’est après tout que la face interne d’une « hominisation » collective qui saute à tous les yeux. Ce que j’apprécie particulièrement dans votre attitude, c’est l’absence complète d’illuminisme et « d’orientalisme», - le deux pestes ou maladies de tant de mouvements humains unitaires.

Je comprends et j’admets parfaitement que vous vous arrêtiez avant ma « quatrième « option ». J’observerai cependant que, si vous ne l’acceptez pas sous sa forme particulière (càd.chrétienne), vous gardez la charge de fournir à l’ultra évolution humaine, un principe d’irréversibilité (càd .une issue à travers et au dessus du « décomposable ») et une chaleur intérieure (possibilité d’aimer l’Univers, et de s’y aimer) C’est en tant que fournissant à l’Evolution prise, sou sa forme réfléchie (càd. Humaine)  à la fois  cette irréversibilité et cette chaleur  motrice (de personnalisation) que le Christianisme me paraît représenter un rouage ou organe indispensable dans l’Humanité conçue comme « appareil évolutif », - quitte à admettre (si l’on est n’pas chrétien) que cet organe sera relayé demain par quelque chose de plus « critique » et plus évolué. Auquel cas, il s’agit de le remplacer, non de le supprimer ; - de le remplacer j’entends au sens strict, càd. en trouvant quelque chose qui rende  l’Univers encore plus irréversible  et encore plus chaud.

Pr le même courrier, je vous envoie un tiré à part d’un article (sur la Noosphère ») qui achèvera de vous faire sentir la parenté et la convergence de nos points de vue. Bien sympathiquement. Teilhard de Ch.

Cinq jours plus tard une autre lettre parvenait de la rue Monsieur  à Nemo :

Merci pour votre lettre du 18.-J’y répondrai ceci :

« C’est précisément et uniquement  parce que je prends le Christianisme « dans la totalité de son phénomène » que j’ose bien le considérer comme apportant biologiquement à la foi humaine les deux éléments d’irréversibilité et de « chaleur » dont celle-ci, sous sa forme moderne (marxiste surtout), est encore dépourvue. Il est indubitable en effet que, si on écarte la croûte d’une théologie un peu figée ou d’un ritualisme un peu encombrant, le Christianisme est précisément cela : j’entends une Cosmogénèse conçue et vécue sous les traits d’une Christogénèse. On peut discuter la validité de la conception, - mais point la réalité du fait psychologique. Le Chrsitianisme a déchaîné au sein de la masse humaine un élan d’amour qu’on ne pourrait comparer qu’au mouvement boudhique, qu’il dépasse du reste de très loin en élasticité (pour rester à l’échelle du monde) et en valeur dynamique (en tant que moteur évolutif) ; - ceci évidemment si on le prend avec ses dernières explicitations.

Mais pour voir cela, je dis bien, il faut prendre le phénomène au cœur et dans sa totalité. Analysé dans le détail de sa genèse, le Christianisme (comme toute réalité physique,-l’Homme compris) se dissout dans une foule de courants accidentels : lente évolution du monothéisme à travers une sorte  d’animisme primitif ; fécondation iranienne, probablement, -et hellénistique, certainement. Mais ceci même, n’est-il pas une confirmation de valeur plutôt qu’une infériorité ! Plus une chose est centrale plus elle naît de tout.

Voilà comment je vois les choses. Et j’en reviens, (pour le maintenir) à ce que je vous écrivais : si le Christianisme est destiné à disparaître au cours des centaines de mille (ou plus probablement millions) d’années qui se dessinent en quelque chose d’encore plus chrétien càd d’encore plus irréversibilisant et personnalisant que lui.  Vôtre, bien sympathiquement ». Teilhard.

Le 24 janvier 1948 Nemo répliquait : « Nous avons à révéler à l’homme « moderne » le sens de la faculté humaine. J’en parlais dernièrement avec Jules Romains dont vous devez aimer « la Vie unanime ». Il convient, à mon sens, d’établir les différenciations élémentaires et de dire que le Social est un permanent dont l’Etat n’est que le reflet momentané, ce qui suppose la soumission du politique à l’Ethique – ainsi que ceci se fit pendant la Chrétienté, sans laquelle (soumission) la convergence des hommes à l’Humain me paraît impossible » et en post scriptum : «  Dire que j’ai publié une « fable » romanesque en 1927, je crois, dans laquelle (le livre s’appelait « un Dieu sous le tunnel ») le principal personnage s’adressant à une foule humaine lui disait : « Je crois que vous êtes le limon d’un Dieu »- car la Connaissance parfaite n’est-elle pas encore à être… ?  »

Teilhard est mort à New York en 1955 et restera ce chercheur, théologien, paléontologue et philosophe français mais surtout un scientifique de renommée mondiale, connu pour ne pas voir d'opposition entre la foi catholique et la science.

Nemo reçoit de  Claude Cuenot, Dr. ès Lettres, le 6 octobre 1963, son dernier article : « La spiritualité de Teilhard de Chardin ».

Le Père Pierre Leroy biologiste cosigne avec Hélène Morin et Solange Soulié en 1989 un livre au beau titre « Pèlerin de l’avenir » Teilhard de Chardin à travers sa correspondance 1905-1955 au Centurion. Dans l’épilogue ils concluent :

« Il est finalement comme nous, avec ses enthousiasmes, ses passions, ses déceptions, ses contradictions, ses amertumes, ses joies et son ambition. C’est un homme de désir que l’obstacle ne rebute pas et dont la volonté s’affirme avec le combat. Son ton direct nous libère de toute appréhension d’entrée en jeu, on se met à l’unisson. Il se veut authentique et ne cherche à dissimuler ni son combat intérieur, ni ses déceptions. Pénétré de science et de spiritualité, le Père Teilhard n’a qu’un désir. « Aider les autres à voir et à aimer une présence dans les dimensions si implacables, si aveugles, si froides du monde. »

Encore un rendez vous manqué, et un dialogue interrompu, après Dantès-Destouches en 1945, Bloch qui disparaît en 1947, voilà que Teilhard nous échappe et traverse l’Atlantique Nemo témoigne de leurs dernières rencontres : « Un jour, Teilhard me parla de sa « Noosphère » et me remit des exemplaires d’un opuscule dont le titre me frappa : « Une interprétation biologique plausible de l’Histoire humaine : la formation de la Noosphère ». Avec une pointe de mélancolie, il me dit : « Prenez tout : ceci est mieux entre vos mains qu’ici. » enfin il ajoute: « Lors d’un dernier entretien, je dus l’attendre dans le parloir de la rue Monsieur, le portier m’ayant annoncé qu’il se trouvait au Consulat des Etats-Unis. Et comme, quelques instants plus tard, je lui demandais la cause de cette démarche, je le vis hésiter ; puis levant vers moi son regard gris, il me dit : « Je dois me soustraire à l’emprise de Rome. C’est pourquoi je pars aux USA , certes pour y retrouver des amis qui me sont chers, mais aussi, parce que ce coin du monde  est le seul où Rome ne puisse rien sur moi »

Et pourtant, le dialogue va se poursuivre avec un être exceptionnel qui,  lui aussi avait rencontré Teilhard, après les douloureuses épreuves de l'occupation nazie, lors d’une conférence de  1946. Rappelons queLe  Père teilhard, un peu avant1922, avait été nommé  à la chaire de géologie de l'Institut catholique de Paris, au moment où il poursuivait ses  recherches de paléontologie en France et c’est à l’occasion du Congrès de l'Union française universitaire de  Besançon qu’ il donna une conférence qu'il intitula lui même : « les découvertes de la paléontologie et  les réflexions qu'elles appellent sur l'évolution de l'humanité », c’est à cette occasion qu’Ernest kahane eut connaissance de la doctrine du Père teilhard.

  " En dehors des Encyclopédistes français du siècle des lumières, faisait remarquer garaudy

dans son ouvrage sur les « Perspectives de l'homme », et en dehors du marxisme,

nulle pensée n'a marqué une plus grande confiance en l'homme et son avenir. Le Père teilhard de chardin  est un maître de la joie de vivre. » Ernest Kahane, Chimiste et biologiste  accompli, doué d'un tempérament et d'un beau talent de philosophe et de poète appuyé sur une vaste culture, ne pouvait manquer d'être séduit par la dialectique substantielle et nuancée de teilhard sur les origines et le destin de l'homme.

Ce qu'avait dit teilhard ce soir-là avait été pour lui le germe de fructueuses méditations. Et c'est pourquoi il eût l'idée d'organiser des conférences, dans le cadre des luttes philosophiques présentes. Car les problèmes posés par les crises et les révolutions

de notre temps dans le domaine social et dans celui de la connaissance ne peuvent être résolus sans le concours de tous les hommes, chrétiens ou non. C’est ainsi que les rationalistes doivent chercher à dégager et à éclairer les options et les courants idéologiques qui tendent à favoriser le développement de « l'homme total».Et Maxime Nemo ardent rationaliste frappera à la porte du professeur Kahane en 1964 en sa qualité de membre du Conseil de l’Union rationaliste puis en 1972 lors de la sortie de son livre « l’Acte de Vivre ».

La sympathie du biologiste montpéliérain se nuance de quelques réserves, car « le patronage de Jean Jacques Rousseau me paraît être une arme à double tranchant. L’évolution telle que je la conçois risque d’aboutir au désastre, c’est bien certain, mais si nous réussissons à l’éviter, elle aura pour effet de placer un Eden en avant de nous et non en arrière. Il n’y a jamais eu d’âge d’or, il n’y a jamais eu de bons sauvages, la civilisation avec toutes ses tares et tous ses dangers vaut mieux que le sort misérable de nos ancêtres. »

A partir de 1973 les deux hommes continuent à polémiquer en toute amitié,mais la fatigue de l’un empêche finalement des retrouvailles sur Paris.

 La Société JJ Rousseau est devenue l’Association JJ Rousseau et son siège s’est déplacé sur Paris au 160 avenue Ledru Rollin dans le XIè.

L’Ilôt qui a été mis en sommeil forcé durant a guerre poursuit ses activités mais cette fois autour d’un projet  plus vaste que Vildrac, Nemo vont formaliser autour du concept de sesn de l’Homme auquel ont déjà) réfléchi : Jean Rostand et Teilhard de Chardin nous l’avons vu.

Un nouveau manifeste voit le jour en 1952 et est largement diffusé auprès des amis de l’Ilôt

 

A   LA   RECHERCHE   DE   L’HUMAIN

C'est le propre de l'homme d'action de ne pas s'inquiéter des conséquences de son geste. Il est semblable au poète, à l'artiste qui trouve, dans l'acte créateur, une justification qui lui suffit.

Exalter la fonction humaine, au lendemain de nos catastrophes ; prétendre le culte de l'homme capable d'empêcher leur renouvellement, est, sans doute, un geste insensé ; c'est néanmoins, le seul qui nous semble plausible. Il faut, ou participer à une nouvelle hystérie collective, ou s'adosser à l'état de foi qui demeure celui de quelques esprits. Chose étrange, le sens de l'Homme continue de progresser.

« De quelque façon qu'il s'envisage, dit Jean Rostand ; qu'il le veuille ou non, qu'il le croie ou non, l'Homme ne peut qu'il ne soit pour lui chose sainte. Il ne peut qu'il ne voie en lui l'ob­jet le plus haut el le plus précieux de la planète, l'aboutissement d'une lente et laborieuse évolution dont il est loin d'avoir péné­tré tous les ressorts : « l'être unique », irrefaisable et irrempla­çable, qui, dans l'immense univers, peut-être, n'a pas sa répli­que ; miracle du hasard, d'il ne sait quoi d'innommé, voir d'innommable, mais miracle... Toucher à cela, quelle responsabi­lité !... » (Conférence à l'Université des Annales. 1952). Et, encore, J. Rostand indique : « Faire l'Homme », c'est : « modeler du mystère » et « construire de l'inconnu ». (id.)

Nous l'avons noté (un « Humanisme constructeur »), il est réconfortant de découvrir cette heureuse coïncidence entre certains aspects de la pensée scientifique (J. Rostand ; P. Teilhard de Chardin ; Julien Huxley ; Lecomte du Noüy ; Bogomoletz ; etc) et notre inquiétude humaniste. Est-il trop tôt, demandons-nous («  la Destinée humaine », Revue Guillaume Budé, juin 1952), pour esquisser la jonction de l'acquis scientifique et d'une forme de Poésie, dont l'Homme constituerait le mobile inspirateur ? Nous pensons que la simple hantise d'un pareil accord justifie l'existence. « Les grandes exigences, a écrit Goethe, rien que par elles-mêmes, sont déjà estimables, même si on ne les réalise pas ».

Chercher l'Homme ; tenter, par conséquent, de le penser ; l'aider à concevoir la permanence de son phénomène, peut-être l'attitude d'un individu qui tend à adhérer au concept de l'Espèce, avec le désir d'enrichir son moment humain par la présence d'un continu vital, sans lequel, il se sent pathétiquement ramené à l'unique contemplation de sa minuscule identité 1 Certes, la relation existe ; mais la plupart des êtres dépensent leur existence dans la parfaite ignorance de l'immanquable causalité.

« Comme on l'a dit (P. Teilhard de Chardin : « Une explication biologique de l'Histoire humaine »), l'animal sait ; mais, seul entre tous les animaux, l'Homme sait qu'il sait ». Evidemment ; cependant, il reste à préciser si l'homme se sait. Or, procéder à l'exploration de l'Univers en restant indifférent à la signification de son propre phénomène, constituerait une invraisemblable gageure... Et, cependant ?... Il importe, donc, de révéler à l'homme le sens et la grandeur de l'accomplissement terrestre ; puisque ce principe de liaison, susceptible d'unir l'individu aux générations, celles-ci à l'Espèce, est encore absent de la Connaissance actuelle, et, en particulier, du système éducatif.

Nous ne pensons pas qu'il y ait de tâche plus impérieuse que cette élaboration d'une conscience de la Vie, réalisant la synthèse de nos aspirations, comme de nos connaissances.

Cet acte n'a que la valeur des gestes symboliques ; mais nous pensons qu'il n'est pas de symboles inutiles ; car la Vie contemple ses actes. Et rien ne dit qu'à la longue, un système de « va­leurs » ne se dégage pas de la répétition de certaines indications.

L'Ilôt,

Paris, Octobre 1952.

L’Ilôt,  160, avenue Ledru Rollin Paris (XIè)

Luçon Imprimerie H.Rezeau-31.067A

 

En 1957  paraît l’Homme Nouveau , Jean Jacques Rousseau à la Colombe aux Editions du Vieux Colombier, partant du constat qu’on a souvent dans des études diverses et d’ailleurs remarquables, analysé l’influence de l’œuvre de Jean Jacques Rouseau sur l’évolution des idées et sa répercussion sur la pensée et la morale contemporaine, il estime qu’on n’a pas assez insisté, cependant sur l’influence que l’ « homme » Rousseau avait eu sur cette même évolution ni comment Rousseau lui-même, en tant qu’individu avait pris autant d’importance.

Maxime Nemo qui a 69 ans et dont on a vu l’inlassable dévouement, -n’at-il pas voué 20 ans de sa vie à présenter à une élite universitaire, les grandes figures de notre patrimoine littéraire ? – établit dans ce livre la liaison intime qui existe entre la sensibilité de Rousseau, soumise à de douloureuses et secrètes particularités, et celle de l’époque qui est le produit de ce que Maxime Nemo appelle : « la désintégration du type gréco-romain ». On comprend alors pourquoi Rousseau, incarnant cet état nouveau de sensibilité, est devenu pour ses contemporains le libérateur de leurs antagonismes insconscients, et pour le XIXè et le XXè siècle, une sorte d’archétype de la sensibilité moderne.

Cependant, ajoute Maxime nemo, le vrai Rousseau présente une image si déroutante qu’elle déconcerte le jugement. Mais sans doute les grands hommes sont-ils comme l’Histoire les a faits !  IL poursuit étroitement sa collaboration avec la revue Europe  de Pierre Abraham (frère de JR Bloch) et commente en 1961 l’ouvrage de Grosclaude Pierre, « Jean-Jacques Rousseau et Malesherbes » puis en 1962 : il signe l’article « Rousseau : L'ère de la maturité. Suivront en 1965 un article au titre provocateur « je hais Balzac » et « Présence de Teilhard  de Chardin ».En 1967, il rend hommage à son ami humaniste le Dr Jacques Ménétrier qui vient de publier trois ouvrages remarqués : « Eloge de l'incertitude, ou, Réflexions d'un tailleur de pierres », La Colombe, Editions du Vieux Colombier en 1956 puis un essai « L'homme quelconque » chez R. Julliard en 1959  enfin toujours à la Colombe, en 1962,«Les vieillissements, Sciences expérimentales de l'homme »

Son éditeur annonce en préparation trois ouvrages à paraître : « Occident, terre de l’homme », « « l’héritage de Rousseau » et « Aphorismes momentanés » manuscrits qui demeureront inédits jusqu’à ce jour.

L’Association JJ Rousseau s’est dotée à la mort  d’Edouard Herriot en 1957 d’un nouveau Président en la personne de Charles Vildrac dont on sait l’attachement à l’œuvre de Rousseau et aux engagements de Maxime Nemo qu’il connaît depuis les années 20. Avec le nouveau comité directeur ils rédigent un exposé qui résume l’activité de l’Association engagée dans une recherche des « valeurs » du monde moderne.

Cette action centrée sur la pensée de Rousseau, se propose d’entreprendre l’exploration de la vie contemporaine, dans l’espoir d’établir les grandes lignes d’un Humanisme nouveau.

Nos moyens d’action s’étendent aujourd’hui au Japon avec M. E.Nagata professeur à l’Université de Kyoto, et en Uruguay avec M. Coppetti-Burla le fondateur de la formidable Bibliothèque Rousseau de Montevideo  mais c’est évidemment en Europe  que doit partir l’impulsion, permettant d’atteindre le but envisagé. « Aussi, adressons nous cette lettre aux dirigeants des principales villes du Continent.

Nous serions heureux d’intéresser à cette œuvre les personnalités appartenant au monde de l’Université, des Centres épris de culture ; comme il nous parait essentiel d’établir des contacts avec les représentants de la presse, des Revues, ainsi que tous les groupes que cette recherche des « valeurs » pourrait intéresser ».

Après la grande Exposition au musée pédagogique du 17 avril au 15 juin 1956 sur « Genèse et rayonnement de l’Emile » dont le Livre d’Or que j’ai retrouvé rassemble les opinions des visiteurs tous unanimes et émerveillés.

 

Le 17 avril 1956, a été inaugurée, au Musée pédagogique, une exposition intitulée J.-J. Rousseau, genèse et rayonnement de l'Émile. Des photographies d'Ermenonville, du Montlouis, des portraits prêtés par des particuliers ou des Musées nationaux, des lettres autographes prêtées par les Archives et la Bibliothèque nationale, les pièces essentielles du procès de l'Émile, de nombreuses éditions en langues étrangères, qui sont exposés, ont donné à M. Nemo, secrétaire général de la Société J.-J. Rousseau « l'occasion de faire revivre... un ouvrage que l'on doit considérer comme le couronnement des recherches pédagogiques antérieures à sa parution et comme le point de départ de toutes les découvertes qui ont abouti à l'éducation nouvelle » 

Dans le cadre de cette exposition qui a pris fin le 19 mai ont eu lieu différents concerts : les 19 avril et 12 mai par le Groupe d'instruments anciens de Paris sous la direction de Roger Cotte , le 5 mai par l'Orchestre de chambre de Versailles.
Notes :

1. Voir : L'Éducation nationale. 12e année, n° 14, 19 avril 1956, p. 19.

A plus de 70 ans, Maxime Nemo se lance alors dans une tournée européenne qui le conduira d’Edimbourg à Florence, de Londres à Heidelberg, pour les Commémorations du Bicentenaire de la naissance de JJ Rousseau en 1962. Année particulièrement fertile en événements  comme le sera le Tricentenaire en 2012 auquel s’attèle déjà son Comité d’organisation. Ce sera pour Nemo l’occasion d’approcher les institutions culturelles européennes fort de ses relations à l’Unesco en la personne de René Maheu, les Activités Culturelles avec André Malraux, Gaétan Picon  directeur général des Arts et Lettres, Georges Duhamel, l’Education Nationale avec  les Directeurs de Cabinet successifs. Et tout cela en assurant inlassablement le secrétariat général de « son » association et la rédaction de ses essais comme « l’Acte de Vivre »  qui paraît en 1972 et dont Roger Secrétain, maire d’Orléans, Directeur du centre Charles Péguy et rédacteur à la République du centre fait le compte rendu suivant :

La République du centre                                                                  Orléans 23 mars 1972

A travers les livres :

"L'Acte de Vivre "Maxime NEMO

D'origine tourangelle, entrainé par l'ardent désir de faire partager la passion que la poésie, inséparable du théâtre tragique lui inspirait, Maxime NEMO, il y a quarante ans, fondait "l'Ilôt", qu'il définissait "petit espace mais libre". Il s'agissait de présenter à des auditoires universitaires, mais élargis à d'autres amis fervents, "une image de la destinée" qu'il empruntait à Eschyle, Sophocle, Shakespeare, Molière, à la tétralogie wagnérienne, à Ibsen.
Furent ainsi créés en France, une centaine de centres pour accueillir ces manifestations qu'un professeur de l'Université qualifiait de "fêtes de l'esprit".
Mais Maxime Nemo est aussi un écrivain qui apporte le témoignage durable de cet apostolat lyrique et actif, dont il fut toute sa vie le pèlerin. Secrétaire général de l'Association Jean Jacques Rousseau, à qui il a consacré deux livres *, il se situe en effet, par son ouverture à l'humain, à la pensée poétique, dans la double vocation de l'individuel et du social, sur la ligne de celui qui engendra tout un aspect de la pensée et de la sensibilité modernes.
Nous voudrions pouvoir suivre, de chapitre en chapitre, cet essai dont la richesse et la densité se dérobent à une brève analyse. L'homme spirituel y est confronté à l'homme total; l'homme incarné à l'histoire; le psychologue et le poète à la science et à la bouleversante évolution du monde. C'est tout le problème de l'être et de la destinée, des choix et des vocations que Maxime Nemo ne cesse de poser à travers les cultures, les métaphysiques. dans une dernière partie, il cite et compare Teilhard de Chardin et Jacques Monod. Il écrit :
"A une époque où le sens de l'homme paraît être remis en cause par  l'accroissement des procédés techniques qu'il produit - ce qui tout de même, est passablement paradoxal - il importe de restituer cet être dans une compréhension enfin sereine de sa capacité créatrice, en lui suggérant quelle part de responsabilité l'exploitation du capital des découvertes opérées impose. Chose étrange, une sorte de renversement de l'inquiétude habituelle intervient. A l'habituelle question du "comment » ?  il faudrait immédiatement joindre  un "pourquoi ?" complémentaire. C'est en définitive en face d'une totalité de la fonction humaine et par conséquent d'un nouvel humanisme que la synthèse de l'esprit  créateur nous achemine."
Pour conclure et signifier cet "Acte de vivre", c'est le sens exhaustif de l'Amour et sa réinsertion dans le mystère universel, qu'invoque Maxime Nemo.
L'Acte de vivre - (Editions de la Pensée Universelle)
Roger Secrétain  Directeur du centre Charles Péguy et ancien Maire d'Orléans.

 

 

Notice bibliographique :

 

« J.-J. Rousseau, genèse et rayonnement de l'Émile », BBF, 1956, n° 4, p. 295

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