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30 novembre 2022 3 30 /11 /novembre /2022 17:46

Aix en Provence 20 février 1926

Bien cher Monsieur.

Ne sursautez pas ! Cette lettre est destinée à vous annoncer la visite d’un ami : Alfred Autin que le hasard de nos voyages nous a fait découvrir  - universitaire- il est même inspecteur d’académie à Dijon ! Vous savez que c’est un homme cultivé. Vous ne connaissez sans doute pas l’écrivain. J’étais comme vous il y a six mois Autin m’a envoyé son « Anathème » qui est certainement un des beaux livres que j’ai lus . J’étais parait-il à cette époque le 725è lecteur. Chose navrante car l’œuvre est poignante et belle . Je crois qu’il y a dans M. Autin une force . Je le dis comme je le pense. C’est un homme très près de nous.

Je ne peux l’envoyer car il me semble que c’est un devoir pour moi .

Je m’excuserais d’agir avec cette liberté si je n’étais persuadé de bien faire.

Je vous envoie mon souvenir le plus ensoleillé. Les maisons d’Aix en Provence ocre foncé – les arbres ont des torsions tragiques, le ciel est si bleu qu’il semble qu’on le traverserait en étandant la main. Quel,pays prodigieux.

Croyez moi bien  votre

Maxime Nemo.

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D’Aix ce 18 février 1928

Bien cher Monsieur,

Je suis passé samedi dernier à Paris et j’ai, en flânant vu Robert Franc qui m’a appris que vous étiez souffrant. J’aurais été heureux de vous serrer la main , en passant. Mon Dieu sous le tunnel va paraître le 24. Je suppose que je vous dois en grande partie la décision prise. Je vous remercie.

Cher Monsieur je tiens à  vous exprimer toute ma reconnaissance pour votre appui. Voilà le premier pas fait sur une nouvelle route ! Je n’oublierai pas votre accueil et vos encouragements.

Robert Franc m’a dit que vous habitiez Meudon et comme un sot , j’ai oublié de lui demander votre adresse.

Voudriez vous me la faire parvenir,après que je puisse vous faire parvenir un exemplaire de mon livre ? Je suis ici heureux de cette admirable lumière… C’est fini, je suis fixé en Provence.Je ne la quitterais que pour l’Orient, Provence du Sud !.... Je travaille entre deux voyages. J’ai une pièce assez avancée me saurait tout équilibre dans l’esprit…

Que devenez-vous ? J’ose penser que votre indisposition a été passagère.Un mot de vous me fera – croyez le – le plus vif plaisir.

Croyez de tout prix à mes sentiments les meilleurs.

Maxime Nemo

Rte de la Simone par Meyreuil B.du R.

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Ce 27 novembre 1928,

Cher Monsieur,

Jean Prévost m’a dit que vous aviez l’intention de m’écrire au sujet de mon livre dont vous avez eu le manuscrit. Vous devez vous douter que j’attends votre lettre avec une certaine impatience car je sais combien est grande votre sympathie à mon endroit , aussi serais-je vraiment heureux de connaître vos objections. J’avoue ne pas, jusqu’ici du moins, partager l’impression que Jean Prévost m’a résumée dans, il est vrai, une simple conversation : l’absence d’unité d’action. Je croirais plutôt que le pathétique de la fin n’est pas assez gradué et à ce sujet, de nouvelles idées me sont venues.

Voulez vous de votre côté me faire part de votre impression.Je crois pouvoir vous dire que je suis démuni de vanité littéraire et que vous pouvez me parler avec la plus rude franchise. Je fais cet effort avec assez d’honnêteté  pour ne rien redouter. Allez y donc carrément. Si nous ne sommes pas d’accord, je vous le dirai au besoin  avec la même simplicité.

Voulez vous me permettre de vous faire part d’un incident qui m’a surpris désirant lui parler de Lucien Romier dont l’effort m’intéresse, j’allais voir l’autre jour Philippe Soupault chez Kra. Quelle ne fut pas ma suprise de lui entendre dire: «  Je sais pourquoi vous venez me voir ? Vous venez m’offrir un manuscrit que vous vouliez donner chez Rieder » La direction de la maison Rieder lui aurait fait  cette confidence. Ne la trouvez vous pas comme je l’ai jugée moi-même, un peu excessive. Je pensais que le silence le plus complet devait être conservé de part et d’autre  sur de semblables pourparlers et je suis bien certain que vous serez de mon avis.

Vous ne m’écrivez pas souvent Cher Monsieur. C’est une double raison pour moi d’attendre votre lettre avec – si j’ose dire – légère frénésie.

Croyez moi affectueusement vôtre.

Maxime Nemo

 Route de la Simone  Meyreuil (B.du R.)

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Meyreuil ce 8 avril 1931

Mon cher Bloch,

Je voulais vous écrire depuis mon retour en Provence, et puis, j’ai eu tant à faire avec les enfants qui venaient en vacances et une dernière tournée de 45 conférences à préparer…

Je voulais vous lire aussi. Je n’ai pas encore achevé cette lecture et ceci vous dira mieux que tout combien j’ai été occupé. Savez-vous que j’ai été bouleversé en relisant « la Nuit Kurde » ! Je connaissais le roman et j’abordais la pièce avec une vraie appréhension. Je me demande comment il peut se faire que de telles œuvres  ne soient pas représentées. Et j’ai été stupéfait d’apprendre par votre « Heure avec Lefevre » que la genèse de cette pièce avait été un entrefilet de journal local. Ah ! ce que vous le sentez votre Proche Orient . Je voudrais vous parler longuement de votre Destin de théâtre mais c’est une chose que l’on ne peut faire par lettre ! et je lis enfin entre deux rages de dents le livre que vous avez eu la gentillesse de me faire parvenir depuis.

Je voulais vous écrire après mon passage à la Mérigote. J’ai passé une soirée si rare avec vous. Je vous garde de votre accueil une gratitude profonde  et ne souhaite qu’une chose , c’est de pouvoir un jour vous recevoir longuement ici où vous trouverez au moins le confort de l’affection. De tout ce que je lis de vous et de toiut ce que je sens, j’extraie la certitude d’un véritable accord  entre nos pensées fondamentales et cela parce que vous êtes avant tout Poète, mot que je ne crains pas d’écrire avec une majuscule , c’est-à-dire : celui qui crée les choses dans un ordre. Or, notre époque manque d’ordre parce que de divination créatrice.

De Paris, je vous ai fait envoyer Julot , et pense que le livre vous sera parvenu. Je vous demanderais à vous de me dire nettement  l’impression que vous laisse ce livre . Même, et puisque vous n’avez plus rien à voir avec la maison Rieder ( moi non plus d’ailleurs je vous demanderai si vous accepteriez de lire l’ouvrage que j’ai achevé mais auquel je veux travailler tout  cet été. Je vous prie de croire que j’accueillerai votre critique avec reconnaissance car je sais qu’elle ne saurait-être que le résultat  de votre affection pour moi et de votre lucidité. Je ferai un effort l’hiver prochain auprès d’un éditeur ( je ne sais encore lequel )pour que cette œuvre voit le jour ; vous voyez quel service vous pouvez me rendre en m’en parlant à présent.

Le fil est renoué maintenant et j’espère que rien ne le rompra !

Voulez vous dire à votre femme en même temps que mon souvenir, l’hommage de mon respect , ne m’oublie pas auprès de votre fille – celle que je connais – et croyez vous-même à mes sentiments les plus affectueux.

Nemo

Ne viendrez-vous pas en Provence cet été – C’est si beau. 

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Maxime NEMO

Le Montaiguet

Par Meyreuil

(Bouches du Rhone)

Le 7 janvier 1932

Mon cher ami

Cette fois, je viens ! J’ai cru un moment que j’allais être obligé de renoncer à ma tentative ; le type du Catille ne m’ayant pas répondu, mais j’avais heureusement l’adresse d’une autre salle et c’est dans celle-ci, située rue de la Tranchée et qui s’appelle Salle des Fêtes que je donnerai ma conférence-audition sur les Grecs et Œdipe le mercredi 27 janvier à 17 heures.

Je ne crois pas utile de vous dire la joie que j’aurais de vous voir d’autant que je compte vous torturer pour que vous veniez par ici.

J’ai conservé tous les renseignements que vous aviez eu la bonté de me fournir dans votre lettre précédente et je ferai le nécessaire auprès de Fernand Viaux et Jozereaux et sa femme. Ce sont les deux noms que vous m’aviez donnés. Si vous deviez m’écrire, je vous signale que je serai à Nancy le 17 et vous pourriez m’écrire à l’Auberge de Lorraine rue du Casino et à Paris: 1 rue Parrot 17è, le 23. D’ailleurs si vous aviez des invitations à faire, inutile de me les signaler, il suffira que les personnes disent au contrôle qu’elles ont vos invitées pour être admises gracieusement. Et il n’est pas nécessaire que je vous redise  que vous êtes tous les miens.

Je ne sais si je ne vais pas vous envoyer à lire mon nouveau manuscrit. C’est celui que Martinet refusa. J’ai beaucoup travaillé dessus et il me semble que le conflit est prenant. Je voudrais bien connaître votre sentiment. Ma femme me dit que ce ne sont pas nos amis qui doivent nous juger parce qu’ils nous aiment trop…. ! Évidemment mais tout de même…et vous savez que vous pourriez me parler avec dureté car je crois vraiment avoir entrevu un conflit humain et je désire le rendre avec tout ce que je possède. Si je peux achever de le dactylographier, je vous demande de le lire et le reprendrai en passant à Poitiers.

A bientôt maintenant. Mon respectueux souvenir à votre femme et mes amitiés à vos enfants.

A vous très affectueusement.

Maxime Nemo

Je vous enverrai des programmes.

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A Paris ce 5 février 1932

Mon cher ami,

Excusez moi – je vous prie- je n’ai pas pu depuis mon passage à Poitiers un moment pour vous dire ma très vive gratitude pour votre accueil à Poitiers. Les deux cartes de Madame JR Bloch que j’envoie  à ma femme me touchent  profondément. Je ne sais comment exprimer à mon tour ma reconnaissance…. Vous êtes si gentils. Puissions nous avoir la joie de vous accueillir en notre humble bicoque de Provence pour une journée ou deux.

. Vous m’avez reçu – en votre bicoque belle !... C’est à vous que je dois (…) Vous allez me dire que je suis exigeant  mais j’aimerais savoir si par hasard, (…) envisagées, auraient eu pour résultat d’apaiser les souffrances de notre homme. Un seul mot de vous me ferait plaisir – sur ce sujet- Je viens, je repars mais en principe je suis ici jusqu’au 20 février. Donnez moi des nouvelles, vous me rendrez heureux.

Ai-je besoin de dire, de préciser la forme de mes souhaits ? Vous les devinez à coup sûr. Transmettez les donc ainsi que mon meilleur souvenir à votre femme.

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Maxime Nemo le 31 aout 1932                                                                    

Lettre BNF 404

Je prépare un très gros effort pour cette année. D’un côté je travaille sur la Tétralogie m’efforçant de simplifier, de rendre claire cette forêt de arahelga dont l’enchevêtrement est tel que je me sens sur le point de manquer d’air parfois. Rien qui vous fasse mieux sentir les différences entre les tempéraments français et allemands. Pour nous rappeler le total de nos divergences, il n’y a je crois rien de meilleur. J’espère arriver cependant à rendre sensible l’énorme puissance du poème. Je suis seulement déçu d’apprendre que ni en France ni en Allemagne, les Préludes – le merveilleux prélude de l’Or du Rhin en particulier- n’ont été enregistrés. Heureusement Wagner qui n’avait pas prévu le phono ni le disque mais qui savait la quasi impossibilité de représentation de son œuvre avait prévu qu’on devrait lire le poème. C’est ce que je ferai en utilisant les quelques disques qui sont bons. Je vous expliquerai à Poitiers ma conception de mon adaptation du poème, car il me faudra en certains passages suppléer par la parole à la musique absente. J’ai donc pris de graves libertés avec le texte.

Il est encore une chose dans laquelle je me lance – je puis le dire – l’idée d’une définition de notre « mal » me hante depuis longtemps. Je suis persuadé que la civilisation peut en ce moment même se définir. Peut-être le faut-il , peut-être avons-nous besoin de cette clef. Certes, mon idée de la chose est bien en moi mais je ne suis tout de même pas encore devenu stupide au point de m’imaginer que la seule solution existe dans ma seule cervelle. Je vais essayer de procéder à une vaste enquête.Je voudrais poser la question primordiale selon moi , à un aussi grand nombre d’esprits que possible :

« L’Humain doit il encore être conçu ou n’est-il que le résultat  des successives expériences ? »

En somme devons nous obéir à l’idée de nous-mêmes et soumettre les faits à sa volonté animatrice ou bien devons-nous au contraire nier tout postulat initial et, scientifiquement, ne nous soumettre qu’à l’expérience ?

Un humanisme est indispensable. Je crois que personne ne peut nier ce fait. Me paraît une évidence, mais cet humanisme doit-il découler de l’esprit scientifique ou le dominer, en assimilant les résultats de l’expérience en conservant, intacte, la notion directrice, l’idée de l’homme, conclusion de toutes les idées religieuses, poétiques et esthétiques passées et présentes.

Et je voudrais cette question la poser à toute une catégorie d’individus : croyants, incroyants, hommes actifs et contemplatifs, français et étrangers ( en Allemagne surtout) à des théoriciens, à des meneurs d’hommes aussi bien qu’au prieur de l’abbaye de Solesmes ; à des intellectuels hitlériens comme à  des personnalités jésuites. J’ajoute que je voudrais travailler sur cette matière vivante et tenter par mon effort personnel une synthèse des idées reçues !Ne me traitez pas de fou mon cher ami, mais simplement voyez en moi un assoiffé de moi-même et d’autrui , un désir intense, dévorant , de saisir mon temps et ma raison d’être. Vous me connaissez assez pour me savoir sincère et je vous parle à cœur ouvert, vous le voyez.

Vous voyez certainement la catégorie d’esprit auxquels je dois m’adresser en Allemagne ; j’oserais vous demander une liste de noms et d’adresses. Ferai-je de cela un livre , un « cahier » périodique , je ne sais encore.

Je vous envoie un bout de papier qui est le commencement de cet effort.

Et savez-vous maintenant que nous sommes décidés à quitter la Provence . Il  serait trop long de vous dire pourquoi ! mais nous rêvons vous pensez bien qu’il n’y a pas de rêves qu’en mes bouquins ! – d’une bonne et vaste maison avec un grand jardin plein de fleurs et de légumes, quelque part, un peu haut (500m d’altitude) vers l’Aveyron, la Lozère, le Lot…. Ce serait tout de même un bond vers la Mérigote et je pense que nous pourrions nous voir mieux !

Encore une fois, merci pour ce que vous avez fait pour mon fils. Dites à votre femme et à vos enfants notre bien affectueux souvenir dont je vous envoie également l’expression et laissez-moi vous serrer chaleureusement les mains.

Maxime Nemo

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