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1 novembre 2016 2 01 /11 /novembre /2016 22:41

L'ŒUVRE SOCIALE DE François MAURIAC 1929

Son œuvre est significative. Elle annonce la lente mais sûre dissociation des valeurs d'une classe qui eut son heure d'énergie et, par conséquent, d'utilité sociale.

Jadis, une classe aisée envoyait ses fils achever leurs études dans les universités de Paris
ou de province. Ils y devenaient avec le temps médecins, avocats, et qui sait quoi encore ! Ils y restaient le plus d'années possible, au creux des tièdes voluptés que ces centres contenaient, car ces  fils de famille redoutaient, par-dessus tout, l'existence morte de la petite ville lointaine ou l'isolement dans la propriété paternelle. Ils savaient qu'à moins d'un hasard politique,
ils n'en sortiraient que par la mort. Tandis que leurs frères cascadaient. les sœurs surveillaient l' épanouissement de leurs charmes dans la glace minuscule que les règlements du Sacré-Cœur autorisaient dans la maison.

Frères et sœurs se mariaient -un jour ; l'histoire sociale continuait. L'homme, ou bien se résignait à la mort lente dans la solitude, ou bien s'évadait grâce à la politique. La femme, à l'abri des prestiges sociaux, cultivait son inquiétant bovarysme. Ce monde était tabou. Il était entendu une fois pour toutes que les vertus bourgeoises s'y conservaient intactes et qu'à l'abri des solides façades, la vie familiale s'y poursuivait sans hâte. C'est vers cette sainteté que François Mauriac dirige son regard aigu et ce sont les turpitudes de ce milieu qu'il peint.         A l'heure où s'opère une si redoutable révision des valeurs sociales et humaines, je trouve le document important. Que deviendrait la classe dominante si par toutes les provinces les pays traditionalistes : Angleterre, France,Italie. Espagne, le principe bourgeois s'écroulait ? Tout se tient dans le monde actuel ; le financier le plus émancipé sait très bien qu'avec toute sa puissance, il resterait « en l'air » face avec la gueule populaire, si cet immense et silencieux soutien lui manquait tout à coup.

François Mauriac ! Comme il est bon pour certaines béatitudes que vous ne pénétriez jamais dans les chefs-lieux de cantons où vivent vos Fernand Cazenave et Thérèse Desqueyroux, car quel pouvoir de dissociation est le vôtre, homme amer attachant. « Le peuple est vaste, obscur et incliné », a écrit Charles Vildrac, et cela est vrai. Or,voici, selon Mauriac, devant quelle face de dieu le peuple s'est incliné.

L'ordre bourgeois repose sur ce minime syndicat du sang qu'est la famille. La vie de ses membres s'abrite derrière cette grille.

Sans cesse il repeint les grandes lettres qui composent le mot et. sans cesse, il tente d'en augmenter la hauteur. Ce sont précisément ces barrières que d'une main nerveuse, Mauriac écartera, et c'est cette illusion privée ou collective qu'il va étudier.

Les raisons d'être de la bourgeoisie sont uniquement matérielles et les institutions qui la soutiennent se ressentent de ce constat. Naturellement, et en dépit de tant d'oeuvres romanesques qu'elle a inspirées. l'institution qui préside à l'association de deux êtres, le mariage, est d'essence éminemment pratique.

« Tout le pays les mariait, parce que leurs propriétés se touchaient », écrira François
Mauriac au sujet des causes qui ont déterminé l'union de Thérèse Desqueyroux. livre
donc l'importance, du point de vue social vaut d'être signalée. Lorsque après avoir tenté
d'empoisonner son mari, grâce à  l'injonction de puissantes influences (car sa condamnation toucherait la famille ). Thérèse obtient un non-lieu et, pensant à son mari, se demande :  "Pourquoi l'ai-je épousé ?"  Elle reconnaît que  les deux mille hectares de Bernard (son mari et sa victime) ne l'avaient pas laissée indifférente. D'ailleurs, de son côté,  lui aussi "était amoureux de mes pins ", ajoute-t-elle.
Mais voilà, l'association de deux sexes comporte des complexes que la seule passion
de la terre ne saurait satisfaire, et l'accumulation de tant de biens sur une même tête
a des répercussions tout d'abord Invisibles.

La richesse porte en elle son œuvre redoutable: cette langoureuse et perfide oisiveté,
mère dos péchés capitaux. La vie sans buts suffisants impose rapidement à ceux qui la
subissent d'éternelles sollicitations et. de la chair abondamment alimentée, naissent ces
frémissements secrets dont rétro tout d'abord s'épouvante, auxquels il s'habitue, et qu'il se prend enfin à - chérir et à caresser,comme un animal familier. Un tumulte silencieux, entretenu dans l'individu-par des sollicitations obscures et lancinantes, œuvre de tant de forces sensuelles contenues par des générations et. aujourd'hui, irritées dans la détente qu'apporte le trop grand bien-être.

Du trouble naît le rêve et le rêve du trouble.Terrible cercle d'abord immobile qui se met
à vibrer, à chauffer et d'où s'élève en spirales la ronde des dangereux désirs. De vibration en vibration, ils envahissent l'être,pénètrent la conscience et courbent sous le pouvoir de. leur seule 'loi toutes les puissances non seulement d'une vie. mais de ce qu'il croit être la vie universelle. Un besoin de jouissance que nul cadre social ne peut réfréner est alors déchaîné, les traditions éclatant comme des vitres qu'on brise, tout est aboli par la force du besoin nu et  " un ".

La famille devient alors ces « barreaux vivants » derrière lesquels François Mauriac voit son héroïne, celle qui incarne si bien la féminité de cette classe : « Thérèse Desqueyroux, a tourner en rond à pas de louve » La chair molle et ardente est dressée contre toute loi et hurle dans son affreuse solitude l'âpre besoin d'être telle qu'elle veut être.

C'est la tragédie de la sensualité, et c'est le crime rendu fatal, car aucun équilibre ne peut contenir cette fureur. L'oeuvre de François Mauriac est le résultat de cette décomposition mentale que le bien-être opère et qui ne peut que provoquer le crime sous toutes ses faces : crime monstrueux du " Baiser au lépreux ", de « Genitrix du "Désert de l'amour"  et de        « Thérèse Desqueyroux» ; crime obligatoire de cette fraction de l'humanité détournée des buts salins et vigoureux que la vie sociale assigne aux hommes sans doute pour qu'ils réduisent, sans le savoir. cette part que le démon s'est réservée dans l'homme. Mais des êtres plus sûrs de leurs muscles et de la solidité de leurs réflexes n'intéresseraient pas François Mauriac,ni ses lectrices, Ceux-là n'auraient pas' l'histoire à leurs yeux ; l'écrivain prend soin de loyalement nous en avertir :
" Beaucoup s'étonneront que j'aie pu imaginer une créature plus odieuse encore (il
s'agit de Thérèse Desqueyroux) que tous mes autres héros Saurai-je, jamais rien dire des
êtres ruisselants de vertu et qui ont le cœur sur la main ? Les cœurs  " sur la main " n'ont pas d'histoire ; mais je connais celle des cœurs enfouis et tout mêlés à un corps de boue
".

Car les intention» de François Mauriac sont à la fois infernales et angéliques ; selon
une conception qui n'est pas d'hier, il estime que le chemin du Paradis passe sinon par
l'Enfer, du moins par le Purgatoire ; mais ceci est affaire entre son confesseur et lui.

Il nous suffit de voir cet écrivain lucide étaler avec une certaine  complaisance les tares
d'un milieu qu'il semble parfaitement connaître et qu'il ne peut s'empêcher de mépriser.

MAXIME NEMO.
La Gazette de Paris 16 février 1929
Initialement paru dans la revue " Monde "

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